trois heures cinquante-quatre, il chercha ses chaussettes dans le noir.
Le rai de lumire qui filtrait sous sa porte lui redonna du courage.
Mademoiselle Camille ? Puis, peine plus fort :
Camille ? Camille ? C'est Philibert... Pas de rponse. Il essaya une dernire fois avant de rebrousser chemin. Il tait dj au bout du couloir quand il entendit un son touff.
Camille, vous tes l ? Je me faisais du souci pour vous et je... Je...
... porte... ouverte... gmit-elle.
La soupente tait glace. Il eut du mal entrer cause du matelas et buta contre un tas de chiffons. Il s'agenouilla. Souleva une couverture, puis une autre, puis une couette et tomba enfin sur son visage. Elle tait trempe.
Il posa sa main sur son front :
Mais vous avez une fivre de cheval ! Vous ne pouvez pas rester comme a... Pas ici... Pas toute seule... Et votre chemine ?
... pas eu le courage de la dplacer...
Vous permettez que je vous emmne avec moi ?
O?
Chez moi.
Pas envie de bouger...
Je vais vous prendre dans mes bras.
Comme un prince charmant ?
Il lui sourit :
Allons bon, vous tes si fivreuse que vous dlirez prsent...
Il tira le matelas au milieu de la pice, lui dfit ses grosses chaussures et la souleva aussi peu dlicatement que possible.
Hlas, je ne suis pas aussi fort qu'un vrai prince... Euh... Vous pouvez essayer de passer vos bras autour de mon cou, s'il vous plat ?
Elle laissa tomber sa tte sur son paule et il fut drout par l'odeur aigre qui manait de sa nuque.
L'enlvement fut dsastreux. Il cognait sa belle dans les tournants et manquait de tomber chaque marche. Heureusement, il avait pens prendre la clef de la porte de service et n'eut que trois tages descendre. Il traversa l'office, la cuisine, faillit la faire tomber dix fois dans le corridor et la dposa enfin sur le lit de sa tante Edme.
coutez-moi, je dois vous dcouvrir un peu, j'imagine... Je... Enfin, vous... Enfin, c'est trs embarrassant, quoi...
Elle avait ferm les yeux.
Bon.
Philibert Marquet de la Durbellire se trouvait l dans une situation fort critique.
Il songea aux exploits de ses anctres mais la Convention de 1793, la prise de Cholet, le courage de Cathelineau et la vaillance de La Rochejaquelein lui semblrent bien peu de chose tout coup...
L'ange courrouc tait maintenant perch sur son paule avec son guide de la Baronne Staffe sous le bras. Il s'en donnait cur joie : Eh bien, mon ami, vous tes content de vous, n'est-ce pas ? Ah ! Il est bien, l, notre preux chevalier ! Mes flicitations, vraiment... Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait, prsent ? Philibert tait totalement dsorient. Camille murmura :
... soif...
Son sauveur se prcipita dans la cuisine, mais l'autre rabat-joie l'attendait au bord de l'vier : Mais, oui ! Mais continuez... Et le dragon alors ? Vous n'y allez pas, combattre le dragon ? , Oh, toi, ta gueule ! lui rpondit Philibert. Il n'en revenait pas et repartit au chevet de sa malade le cur plus lger. Finalement ce n'tait pas si compliqu. C'est Franck qui avait raison : quelquefois un bon juron valait mieux qu'un long discours. Ainsi ragaillardi, il la fit boire et prit son courage deux mains : il la dshabilla.
Ce ne fut pas facile car elle tait plus couverte qu'un oignon. Il lui ta d'abord son manteau, puis sa veste en jean. Vint ensuite un pull, un deuxime, un col roul et enfin, une espce de liquette manches longues. Bon, se dit-il, je ne peux pas la lui laisser, on pourrait presque l'essorer... Bon, tant pis, je verrai son... Enfin son soutien... Horreur ! Par tous les saints du ciel ! Elle n'en portait pas ! Vite, il rabattit le drap sur sa poitrine. Bien... Le bas maintenant... Il tait plus l'aise car il pouvait manuvrer ttons en passant par-dessous la couverture. Il tira de toutes ses forces sur les jambes de son pantalon. Dieu soit lou, la petite culotte n'tait pas venue avec...
Camille ? Vous avez le courage de prendre une douche ?
Pas de rponse.
Il secoua la tte de dsapprobation, alla dans la salle de bains, remplit un broc d'eau chaude dans lequel il versa un peu d'eau de Cologne et s'arma d'un gant de toilette.
Courage, soldat !
Il dfit le drap et la rafrachit du bout du gant d'abord, puis plus vaillamment.
Il lui frotta la tte, le cou, le visage, le dos, les aisselles, les seins puisqu'il le fallait, et pouvait-on appeler cela des seins, d'ailleurs ? Le ventre et les jambes. Pour le reste, ma foi, elle verrait... Il essora le gant et le posa sur son front.
Il lui fallait de l'aspirine prsent... Il empoigna si fort le tiroir de la cuisine qu'il en renversa tout le contenu sur le sol. Fichtre. De l'aspirine, de l'aspirine...
Franck se tenait sur le pas de la porte, le bras pass sous son tee-shirt en train de se gratter le bas-ventre :
Hou, fit-il en billant, qu'est-ce qui se passe ici ? C'est quoi tout ce merdier ?
Je cherche de l'aspirine...
Dans le placard...
Merci.
T'as mal au crne ?
Non, c'est pour une amie...
Ta copine du septime ?
Oui. Franck ricana :
Attends, t'tais avec elle, l ? T'tais l-haut ?
Oui. Pousse-toi, s'il te plat...
Arrte, j'y crois pas... Ben t'es plus puceau alors !
Ses sarcasmes le poursuivaient dans le couloir :
H ? Elle te fait le coup de la migraine ds le premier soir, c'est a ? Putain, ben t'es mal barr, mon gars...
Philibert referma la porte derrire lui, se retourna et murmura distinctement : Ta gueule toi aussi...
Il attendit que le comprim ait rendu toutes ses bulles puis la drangea une dernire fois. Il crut l'entendre chuchoter papa... . moins que ce ne ft pas... pas... car elle n'avait probablement plus soif. Il ne savait pas.
Il remouilla le gant, tira les draps et resta l un moment.
Interdit, effray et fier de lui.
Oui, fier de lui.
21
Camille fut rveille par la musique de U2. Elle crut d'abord tre chez les Kessler et s'assoupit de nouveau. Non, s'embrouillait-elle, non, ce n'tait pas possible a... Ni Pierre, ni Mathilde, ni leur bonne ne pouvaient balancer Bono plein volume de cette manire. Il y avait un truc qui ne collait pas, l... Elle ouvrit lentement les yeux, gmit cause de son crne et attendit dans la pnombre de pouvoir reconnatre quelque chose.
Mais o tait-elle ? Qu'est-ce que... ?
Elle tourna la tte. Tout son corps regimbait. Ses muscles, ses articulations et son peu de chair lui refusaient le moindre mouvement. Elle serra les dents et se releva de quelques centimtres. Elle frissonnait et tait de nouveau couverte de transpiration.
Son sang lui battait les tempes. Elle attendit un moment, immobile et les yeux clos, que la douleur s'apaise.
Elle rouvrit dlicatement les paupires et constata qu'elle se trouvait dans un lit trange. Le jour passait peine entre les interstices des volets intrieurs et d'normes rideaux en velours, moiti dcrochs de leur tringle, pendaient misrablement de chaque ct. Une chemine en marbre lui faisait face, surplombe d'un miroir tout piquet. La pice tait tendue d'un tissu fleurs dont elle ne distinguait pas trs bien les couleurs. Il y avait des tableaux partout. Des portraits d'homme et de femmes vtus de noir qui semblaient aussi tonns qu'elle de la trouver l. Elle se tourna ensuite vers la table de nuit et aperut une trs jolie carafe grave ct d'un verre moutarde Scoubidou. Elle mourait de soif et la carafe tait remplie d'eau, mais elle n'osa pas y toucher : quel sicle l'avait-on remplie ?