Vous tes l pour combien de temps ?
Je ne sais pas.
Et vos parents acceptent que vous hbergiez des inconnus comme le cuisinier ou moi ?
Pour vous, ils n'auront pas besoin de le savoir, j'imagine... Quant Franck, ils taient plutt soulags... Ils savent combien je suis empot... Mais, bon, ils sont loin d'imaginer quoi il ressemble et... Heureusement ! Ils croient que je l'ai rencontr par l'intermdiaire de la paroisse !
Il riait.
Vous leur avez menti ?
Disons que j'ai t pour le moins... vasif...
Elle avait tant fondu qu'elle pouvait rentrer le bas de sa chemise dans son jean sans tre oblige de le dboutonner.
Elle avait l'air d'un fantme. Elle se fit une grimace dans le grand miroir de sa chambre pour se prouver le contraire, noua son foulard en soie autour de son cou, passa sa veste et s'aventura dans cet incroyable ddale haussmannien.
Elle finit par retrouver l'affreux canap dfonc et fit le tour de la pice pour apercevoir les arbres couverts de givre sur le Champ-de-Mars.
Alors qu'elle se retournait, tranquillement, l'esprit encore embrum et les mains dans les poches, elle sursauta et ne put' s'empcher de pousser un petit cri idiot.
Un grand type, tout de cuir noir vtu, bott et casqu se tenait juste derrire elle.
Euh, bonjour... finit-elle par articuler. L'autre ne rpondit rien et tourna les talons.
Il avait enlev son casque dans le couloir et entra dans la cuisine en se frottant les cheveux :
H Philou, dis voir, c'est quoi la tantouse dans le salon, l ? C'est un de tes copains scout ou quoi ?
Pardon ?
Le pd qu'est derrire mon canap...
Philibert, qui tait dj passablement nerv par l'ampleur de son dsastre culinaire, perdit un peu de son aristocratique nonchalance :
Le pd, comme tu dis, s'appelle Camille, recti-fia-t-il d'une voix blanche, c'est mon amie et je te prie de te comporter en gentleman car j'ai l'intention de l'hberger ici quelque temps...
Oh, a va... T'nerve pas comme a... C'est une fille tu dis ? On parle bien du mme lascar ? Le petit maigrichon sans cheveux ?
C'est une jeune fille en effet...
T'es sr ?
Philibert ferma les yeux.
C'est lui, ta copine ? Enfin c'est elle ? Dis donc, tu lui prpares quoi, l ? Des doubitchous confits ?
C'est une soupe, figure-toi...
a ? Une soupe ?
Parfaitement. Une soupe poireaux pommes de terre de chez Liebig...
C'est de la merde. En plus tu l'as laisse brler, a va tre dgueulasse... T'as rajout quoi l-dedans ? ajouta-t-il horrifi, en soulevant le couvercle.
Euh... de la Vache Qui Rit et des morceaux de pain de mie...
Pourquoi t'as fait a ? s'inquita-t-il.
C'est le mdecin... Il m'a demand de la retaper...
Eh ben, si elle se retape avec ce truc-l, chapeau ! mon avis, tu vas plutt la faire caner, oui...
Sur ce, il attrapa une bire dans le Frigidaire et alla s'enfermer dans sa chambre.
Quand Philibert rejoignit sa protge, elle tait encore un peu dcontenance :
C'est lui ?
Oui, murmura-t-il en posant son grand plateau sur un carton.
Il n'enlve jamais son casque ?
Si, mais quand il rentre le lundi soir, il est toujours excrable... En gnral, j'vite de le croiser ce jour-l...
C'est parce qu'il a trop de travail ?
Non justement, il ne travaille pas le lundi... Je ne sais pas ce qu'il fait... Il part assez tt le matin et revient toujours dans une humeur de dogue... Problmes familiaux, je crois... Tenez, servez-vous pendant que c'est chaud...
Euh... Qu'est-ce que c'est ?
Une soupe.
Ah ? fit Camille en essayant de touiller l'trange brouet.
Une soupe ma faon... Une espce de bortsch si vous prfrez...
Aaah... Parfait... rpta-t-elle en riant.
Cette fois encore, c'tait nerveux.
DEUXIME PARTIE
1
T'as deux minutes, l ? Faut qu'on se parle...
Philibert prenait toujours du chocolat au petit djeuner et son plaisir, c'tait d'teindre le gaz juste avant que le lait dborde. Plus qu'un rite ou une manie, c'tait sa petite victoire quotidienne. Son exploit, son invisible triomphe. Le lait retombait et la journe pouvait commencer : il matrisait la situation.
Mais ce matin-l, dconcert, agress mme, par le ton de son colocataire, il tourna le mauvais brleur. Le lait se carapata et une odeur dplaisante envahit soudain la pice.
Pardon ?
Je dis : il faut qu'on se parle.
Parlons, rpondit calmement Philibert en mettant sa casserole tremper, je t'coute...
Elle est l pour combien de temps ?
Plat-il ?
Oh, ne fais pas ton malin, hein ? Ta souris ? Elle est l pour combien de temps ?
Aussi longtemps qu'elle le souhaitera...
T'en pinces pour elle, c'est a ?
Non.
Menteur. Je le vois bien ton petit mange... Tes belles manires, tes airs de chtelain et tout a...
Tu es jaloux ?
Putain, non ! Manquerait plus que a ! Moi, jaloux d'un tas d'os ? H, y a pas marqu L'abb Pierre, l ! fit-il en dsignant son front.
Pas jaloux de moi, jaloux d'elle. Peut-tre que tu te sens un peu l'troit ici et que tu n'as pas envie de pousser ton verre dents de quelques centimtres sur la droite ?
Alors, l, tout de suite... Les grandes phrases... chaque fois que t'ouvres le bec, c'est comme si tes mots devaient rester crits quelque part tellement qu'y sonnent bien...
...
Attends, je le sais que t'es chez toi, je le sais bien, va... C'est pas a le problme. T'invites qui tu veux, t'hberges qui tu veux, tu fais mme les restos du cur si a te chante, mais merde, je sais pas moi... On faisait une bonne petite quipe tous les deux, non ?
Tu trouves ?
Ouais je trouve. D'accord j'ai mon caractre et toi t'as toutes tes obsessions dbiles, tes trucs l, tes TOC, mais dans l'ensemble, a roulait bien jusqu' aujourd'hui...
Et pourquoi les choses changeraient-elles ?
Pfff... On voit bien que tu connais pas les nanas, toi... Attention, je dis pas a pour te blesser, hein ? Mais c'est vrai, quoi... Tu mets une fille quelque part et tout de suite c'est le bordel, vieux... Tout se complique, tout devient chiant et mme les meilleurs potes finissent par se faire la gueule, tu sais... Pourquoi tu ricanes, l ?
Parce que tu t'exprimes comme... Comme un cow-boy... Je ne savais pas que j'tais ton... ton pote.
OK, je laisse tomber. Je pense juste que t'aurais pu m'en parler avant, c'est tout.
J'allais t'en parler.
Quand ?
L, maintenant, au-dessus de mon bol, si tu m'avais laiss le temps de me le prparer...
Je m'excuse... Enfin non, merde, je peux pas m'excuser tout seul, c'est a ?
Tout fait.
Tu pars bosser, l ?
Oui.
Moi aussi. Allez viens. Je te paye un chocolat en bas...
Alors qu'ils taient dj dans la cour, Franck sortit sa dernire cartouche :
En plus, on sait mme pas qui c'est... On sait mme pas d'o elle sort, cette fille-l...