Aaaah... Mais c'est pas ma mre qui te l'a faite c'est ma mm ! rectifia-t-il soulag, y a que ma mm pour tricoter aussi bien !
Camille souriait.
H, t'es pas oblige de la mettre, tu sais...
Je l'aime bien...
J'ai pas pu m'empcher de sursauter quand elle me l'a montre...
Il riait.
Et attends, toi c'est rien... Tu verrais celle de Phi-libert...
Elle est comment ?
Orange et verte.
Je suis sre qu'il la mettra... Il regrettera simplement de ne pas pouvoir lui faire un baisemain pour la remercier...
Ouais, c'est ce que je me suis dit en repartant... Une chance que ce soit vous deux... Vous tes les deux seules personnes au monde que je connaisse qui soient capables de porter ces horreurs sans avoir l'air ridicule...
Elle le dvisagea :
H, tu t'en rends compte que tu viens de dire quelque chose de gentil, l ?
C'est gentil de vous traiter de clowns ?
Ah pardon... Je croyais que tu parlais de notre classe naturelle...
Il mit un moment avant de lui rpondre :
Nan, je parlais de... de votre libert, je crois... De cette chance que vous avez de vivre en vous en foutant complte...
ce moment-l, son portable sonna. Pas de chance, pour une fois qu'il essayait de dire un truc philosophique...
J'arrive chef, j'arrive... Mais c'est bqn, l, je suis prt... Eh ben, Jean-Luc il a qu' les faire, lui... Attendez, chef, je suis en train d'essayer d'emballer une fille qu'est vachement plus intelligente que moi, alors, c'est sr, a prend plus de temps que d'habitude... De quoi ? Nan, je l'ai pas appel encore... De toute faon, je vous j'ai dit qu'il pourrait pas... Je le sais qu'ils sont tous dbords, je le sais... OK, je m'en occupe... Je l'appelle tout de suite... De quoi ?... De laisser tomber avec la fille ? Ouais, vous avez srement raison, chef...
C'tait mon chef, lui annona-t-il en lui adressant un sourire niais.
Ah bon ? s'tonna-t-elle.
Il essuya son bol, quitta les lieux et retint la porte de justesse pour l'empcher de claquer.
D'accord cette fille tait conne mais elle tait loin d'tre bte et c'est a qui tait bien.
Avec n'importe quelle autre nana, il aurait raccroch et puis voil. Alors que l, il lui a dit c'tait mon chef pour la faire rire, et elle, elle tait tellement maligne qu'elle avait mim l'tonne pour lui retourner sa blague. De parler avec elle, c'tait comme de jouer au ping-pong : elle tenait la cadence et t'envoyait des smashs dans les coins au moment o tu t'y attendais le moins, du coup, t'avais l'impression d'tre moins con.
Il descendait les escaliers en se tenant la rampe et entendait le cric-cric des pignons et des engrenages au-dessus de sa tte. Avec Philibert, c'tait pareil, il aimait bien discuter avec lui cause de a...
Parce que lui, il le savait qu'il n'tait pas aussi bourrin qu'il en avait l'air, mais son problme, c'tait les mots justement... Il lui manquait toujours des mots alors il tait oblig de s'nerver pour se faire comprendre... C'est vrai, c'tait vraiment gonflant la fin, merde !
C'tait pour toutes ces raisons que a l'ennuyait de partir... Qu'est-ce qu'il allait foutre quand il serait chez Kermadec ? Picoler, fumer, mater des DVD et feuilleter des magazines de tuning dans les chiottes ?
Super.
Retour la case vingt ans.
Il assura son service distraitement.
La seule fille de l'univers capable de porter une charpe tricote par sa mme tout en restant jolie, ne serait jamais pour lui.
C'tait bte la vie...
Il fit un dtour par la ptisserie avant de partir, se fit engueuler parce qu'il n'avait toujours pas appel son ancien apprenti et rentra se coucher.
Il ne dormit qu'une heure parce qu'il devait se rendre la laverie. Il ramassa toutes ses fringues et les rassembla dans la housse de sa couette.
15
Dcidment...
Elle tait encore, l. Assise prs de la machine numro sept avec son sac de linge mouill entre les jambes. Elle lisait.
Il s'installa en face d'elle sans qu'elle l'et remarqu. a le fascinait toujours ce truc-l... Comment elle et Philibert taient capables de se concentrer... a lui rappelait une pub, un type qui mangeait tranquillement son Boursin pendant que le monde s'croulait autour de lui. Beaucoup de choses lui rappelaient une pub d'ailleurs... C'tait srement parce qu'il avait beaucoup regard la tl quand il tait petit...
Il joua un petit jeu : imagine que tu viens de rentrer dans cette Lavomatic pourrie de l'avenue de La Bourdonnais un 29 dcembre cinq heures de l'aprs-midi et que tu aperois cette silhouette pour la premire fois de ta vie, qu'est-ce que tu te dirais ?
Il se cala dans son sige en plastique, enfona ses mains dans son blouson et plissa les yeux.
D'abord, tu penserais que c'est un mec. Comme la premire fois. Peut-tre pas une folle, mais un type vachement effmin quand mme... Donc t'arrterais de mater. Quoique... Tu aurais des doutes malgr tout... cause de ses mains, de son cou, de cette faon qu'il avait de promener l'ongle de son pouce sur sa lvre infrieure... Oui, tu hsiterais... C'tait peut-tre une fille finalement ? Une fille habille en sac. Comme si elle cherchait cacher son corps ? Tu essayerais de regarder ailleurs mais tu ne pourrais pas t'empcher d'y revenir. Parce qu'il y avait un truc, l... L'air tait spcial autour de cette personne. Ou la lumire peut-tre ?
Voil. C'tait a.
Si tu venais d'entrer dans cette Lavomatic pourrie de l'avenue de La Bourdonnais un 29 dcembre cinq heures de l'aprs-midi et que tu apercevais cette silhouette sous la lumire triste des nons, tu te dirais exactement ceci : ben merde... Un ange...
Elle leva la tte ce moment-l, le vit, resta un moment sans ragir comme si elle ne l'avait pas reconnu et finit par lui sourire. Oh, presque rien, un lger clat, petit signe de reconnaissance entre habitus...
C'est tes ailes ? lui demanda-t-il en dsignant son sac.
Pardon ?
Nan, rien...
Une des scheuses s'arrta de tourner et elle soupira en jetant un coup d'il la pendule. Un clodo s'approcha de la machine, il en sortit un blouson et un sac de couchage tout effiloch.
Voil qui tait intressant... Sa thorie mise l'preuve des faits... Aucune fille normalement constitue ne mettrait ses affaires scher aprs celles d'un clochard et il savait de quoi il parlait : il avait presque quinze ans de laveries automatiques dans les pattes...
Il scruta son visage.
Pas le moindre mouvement de recul ou d'hsitation, pas l'ombre d'une grimace. Elle se leva, chargea ses vtements en vitesse et lui demanda s'il pouvait lui faire de la monnaie.
Puis elle retourna sa place et reprit son livre.
Il tait un peu du.
C'tait chiant les gens parfaits...
Avant de se replonger dans sa lecture, elle l'interpella :
Dis-moi...
Oui.
Si j'offre une machine laver qui fait aussi schoir Philibert pour Nol, tu crois que tu pourras l'installer avant de partir ?
...
Pourquoi,tu souris, l ? J'ai dit une btise ?
Non, non...
Il fit un geste de la main :
Tu peux pas comprendre...
H, fit-elle en tapotant son majeur et son index contre sa bouche, tu fumes trop en ce moment, toi, non?
En fait, t'es une fille normale...
Pourquoi tu me dis a ? Bien sr que je suis une fille normale...
Tu es du ?
Non.
...
C'est quoi ce que tu lis ?
Un carnet de voyage...
C'est bien ?
Super...
a raconte quoi ?
Oh... Je ne sais pas si a t'intresserait...
Nan, je te le dis carrment, a m'intresse pas du tout, ricana-t-il, mais j'aime bien quand tu racontes... Tu sais, je l'ai rcout le disque de Marvin hier...