Tu veux que je me foute poil ? ricana-t-il.
Oh, oui, ce serait bien ! Un beau nu... rpondit-elle sans ciller.
Tu plaisantes, l ?
Il tait paniqu.
Mais oui, je plaisante... Tu es beaucoup trop vieux ! Et puis tu dois tre trop poilu...
Pas du tout ! Pas du tout ! Je suis juste poilu comme il faut !
Elle riait.
Allez. Tombe au moins la veste et desserre ta cravate...
Pff, j'ai mis trois plombes faire le nud...
Regarde-moi. Nan, pas comme a... On dirait que t'as un balai dans le cul, dtends-toi... Je ne vais pas te manger, idiot, je vais te croquer.
Oh, oui... fit-il suppliant, croque-moi, Camille, croque-moi...
Parfait. Garde ce sourire niais. Pour le coup, c'est tout fait a...
C'est bientt fini ?
Presque.
J'en ai marre. Parle-moi. Raconte-moi une histoire pour faire passer le temps...
De qui tu veux que je te parle, cette fois ?
De toi...
...
Qu'est-ce que tu vas faire aujourd'hui ?
Du rangement... Un peu de repassage aussi... Et puis je vais aller me promener... La lumire est belle... Je finirai srement dans un caf ou un salon de th... Manger des scones la gele de myrtilles... Miam... Et avec un peu de chance, il y aura un chien... Je collectionne les chiens des salons de th en ce moment... J'ai un carnet spcial pour eux, un petit Moleskine super beau... Avant j'en avais un pour les pigeons... Je suis incollable en pigeons. Ceux de Montmartre, ceux de Trafalgar Square Londres ou de Venise, sur la place Saint-Marc, je les ai tous attraps...
Dis-moi...
Oui...
Pourquoi t'es toujours toute seule ?
Je ne sais pas.
Tu n'aimes pas les hommes ?
Nous y voil... Une fille qui n'est pas sensible ton irrsistible charme est forcment lesbienne, c'est a ?
Non, non, je me demandais, c'est tout... T'es toujours habille en moche, t'as la boule zro, tout a...
Silence.
Si, si, j'aime bien les garons... Les filles aussi note bien, mais je prfre les garons...
T'as dj couch avec des filles ?
Oh l, l... Plein de fois !
Tu rigoles ?
Oui. Allez, c'est bon. Tu peux te rhabiller.
Montre-moi.
Tu ne vas pas te reconnatre. Les gens ne se reconnaissent jamais...
Pourquoi t'as fait une grosse tache, l ?
C'est l'ombre.
Ah?
a s'appelle un lavis...
Ah ? Et a, c'est quoi ?
Tes rouflaquettes.
Ah?
Tu es du, hein ? Tiens, prends celui-l aussi... C'est un croquis que j'ai fait l'autre jour quand tu jouais la Play Station...
Grand sourire :
Alors, l d'accord ! L c'est moi !
Moi j'aime mieux le premier, mais bon... Tu n'as qu' les glisser dans une BD pour les transporter...
Donne-moi une feuille.
Pourquoi ?
Parce que. Moi aussi, je peux faire ton portrait si je veux...
Il la dvisagea un moment, se pencha sur ses genoux en tirant la langue et lui tendit son gribouillis.
Alors ? fit-elle curieuse.
Il avait dessin une spirale. Une coquille d'escargot avec un petit point noir tout au fond.
Elle ne ragissait pas.
Le petit point, c'est toi.
Je... J'avais compris...
Ses lvres tremblaient.
Il lui arracha le papier des mains :
H ! Ho ! Camille, c'tait pour rire ! C'est n'importe quoi, a ! C'est rien du tout !
Oui, oui, confirma-t-elle en portant la main son front. C'est rien du tout, j'en suis bien consciente... Allez, vas-y maintenant, tu vas tre en retard...
Il enfila sa combinaison dans l'entre et tira la porte en se donnant un grand coup de casque sur la tte.
Le petit point, c'est toi...
Trop con, le mec.
2
Pour une fois qu'il ne trimbalait pas un sac dos plein de ravitaillement, il se coucha sur son rservoir et laissa la vitesse faire son merveilleux travail de dsen-crassement : jambes plaques, bras tendus, poitrine au chaud et casque prt se fissurer, il tordait son poignet au maximum pour planter l ses emmerdes et ne plus penser rien.
Il allait vite. Beaucoup trop vite. C'tait exprs. C'tait pour voir.
D'aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours eu un moteur entre les jambes et une espce de dmangeaison au creux de la main et, d'aussi loin qu'il se souvienne, il n'avait jamais envisag la mort comme un problme bien srieux. Une contrarit supplmentaire tout au plus... Et encore... Puisqu'il ne serait plus l pour en ptir, quelle importance, vraiment ?
Ds qu'il avait eu trois sous, il s'tait endett pour s'offrir des engins beaucoup trop gros pour sa petite cervelle et ds qu'il avait trois potes un peu dbrouillards, il avait pay plus cher encore pour gagner quelques millimtres au compteur. Il tait calme aux feux rouges, ne laissait jamais de gomme sur le bitume, ne se la mesurait pas avec d'autres et ne voyait aucun intrt prendre un risque idiot. Simplement, ds qu'il en avait l'occasion, il s'chappait, partait seul essorer les gaz et accabler son ange gardien.
Il aimait la vitesse. Il aimait vraiment a. Plus que tout au monde. Plus que les filles, mme. Elle lui avait offert les seuls moments heureux de sa vie : calmes, apaisants, libres... Quand il avait quatorze ans, couch sur sa meule comme un crapaud sur une bote d'allumettes (c'tait une expression de l'poque...), il tait le roi des petites dpartementales de Touraine, vingt ans, il s'tait pay sa premire grosse cylindre d'occasion aprs avoir su sang et eau tout l't dans un mauvais bouiboui prs de Saumur, et aujourd'hui, c'tait devenu son seul passe-temps entre deux services : rver d'une bcane, l'acheter, la briquer, la fatiguer, rver d'une autre bcane, traner chez un concessionnaire, revendre la prcdente, l'acheter, la briquer, etc.
Sans la moto, il se serait probablement content de tlphoner plus souvent sa vieille en priant le ciel pour qu'elle ne lui raconte pas sa vie chaque fois...
Le problme, c'tait que a n'tait plus si efficace cette affaire... Mme 200, la lgret ne venait plus.
Mme 210, mme 220, son cerveau continuait d'usiner. Il avait beau se faufiler, biaiser, godiller, s'arracher, certaines vidences restaient colles son blouson et continuaient de lui bouffer la tte entre deux stations d'essence.
Et aujourd'hui encore, un 1er janvier sec et brillant comme un sou neuf, sans sacoche, sans sac dos et avec rien d'autre au programme qu'un bon gueuleton avec deux petites grands-mrefs adorables, il s'tait finalement relev et n'avait plus eu besoin d'ouvrir la jambe pour les remercier quand des automobilistes prvenants s'cartaient en sursaut.
Il avait rendu les armes et se contentait d'aller d'un point un autre en se repassant toujours le mme vieux disque ray : Pourquoi cette vie ? Jusqu' quand ? Et comment faire pour en rchapper ? Pourquoi cette vie ? Jusqu' quand ? Et comment faire pour en rchapper ? Pourquoi cette vie ? Jusqu...
Il tait mort de fatigue et plutt de bonne humeur. Il avait invit Yvonne pour la remercier et, il faut bien l'avouer, pour qu'elle se cogne la conversation sa place. Grce elle, il allait pouvoir se mettre en pilotage automatique. Un petit sourire droite, un petit sourire gauche, quelques jurons pour leur faire plaisir et ce serait dj l'heure du caf... Le pied...
Elle passait prendre Paulette dans sa cage et ils avaient rendez-vous tous les trois l'Htel des Voyageurs, un petit gastro plein de napperons et de fleurs sches o il avait fait son apprentissage puis travaill autrefois et o il avait laiss quelques bons souvenirs... C'tait en 1990. Autant dire mille millions d'annes-lumire...