Game over.
Deuximement, elle ne pouvait plus supporter la Bre-dart justement...
Elle tait bte comme ses pieds, avait un peu de pouvoir et en abusait sans modration (chef de chantier, chez Touclean, ce n'tait pas le Pentagone tout de mme !), transpirait, postillonnait, tait toujours en train de piquer des capuchons de Bic pour rcuprer des bouts de barbaque coincs entre ses dents du fond et glissait une blague raciste chaque tage en prenant Camille partie puisque c'tait la seule autre Blanche de l'quipe.
Camille qui se retenait souvent sa serpillire pour ne pas la lui envoyer dans la gueule et l'avait prie l'autre jour de garder pour elle ses conneries parce qu'elle commenait fatiguer tout le monde.
Non, mais l'autre... Mais comment qu'me cause celle-ci ? Qu'est-ce tu fous l d'abord, toi ? Qu'est-ce tu fous avec nous ? Tu nous espionnes ou quoi ? C'est une question que je me suis pose l'autre jour, tins... Que p'ttre bien que t'tais envoye par les patrons pour nous espionner ou queque chose dans le genre... Je l'ai vu sur ta feuille de paye o qu'tu logeais et comment que tu parles et tout a... T'es pas des ntres, toi ! Tu pues la bourgeoise, tu pues le fric. Matonne, va !
Les autres filles ne ragissaient pas. Camille poussa son chariot et s'loigna.
Elle se retourna :
Ce qu'elle me dit, elle, j'en ai rien foutre parce que je la mprise... Mais, vous, vous tes vraiment nazes... C'est pour vous que j'ai ouvert ma gueule, pour qu'elle arrte de vous humilier et j'attends pas que vous me remerciiez, a aussi j'en ai rien foutre, mais au moins, vous pourriez venir faire les chiottes avec moi... Parce que toute bourgeoise que je suis, c'est toujours moi qui me les cogne, je vous ferai remarquer...
Mamadou fit un drle de bruit avec sa bouche et lcha un norme mollard aux pieds de Josy, un truc monstrueux vraiment. Ensuite elle attrapa son seau, le balana devant elle et donna un coup dans les fesses de Camille :
Comment une fille qui a un si petit cul peut avoir une si grande bouche ? Tu m'tonneuras toujours, toi...
Les autres ronchonnrent tort et travers et se dispersrent mollement. Pour Samia, elle s'en fichait. Pour Carine, c'tait plus dur... Elle l'aimait bien, elle... Carine qui s'appelait Rachida en vrai, qui n'aimait pas son prnom et lchait le cul d'une facho. Elle irait loin, cette petite...
partir de ce jour, la donne changea. Le travail tait toujours aussi con et l'ambiance devint nausabonde. a faisait beaucoup, tout a...
Camille avait perdu des relations de travail mais tait peut-tre en train de gagner une amie... Mamadou l'attendait devant la bouche de mtro et faisait quipe avec elle. Elle lui tenait le manche pendant qu'elle bossait pour deux. Non pas que l'autre y mt de la mauvaise volont, mais vraiment, sincrement, tout btement, elle tait beaucoup trop grosse pour tre efficace. Ce qui lui prenait un quart d'heure, Camille le torchait en deux minutes, et en plus, elle avait mal partout. Sans chiqu. Sa pauvre carcasse n'en pouvait plus de supporter tout a : des cuisses monstrueuses, des seins normes et un cur plus gros encore. a regimbait l-dessous et c'tait bien normal.
Il faut que tu maigrisses Mamadou...
C'est a... Et toi ? Quand est-ce que tu viens manger le maf poulet la maison ? lui rtorquait-elle chaque fois.
Camille lui avait propos un march : je bosse mais tu me fais la conversation.
Elle tait loin de se douter que cette petite phrase la mnerait si loin... L'enfance au Sngal, la mer, la poussire, les petites chvres, les oiseaux, la misre, ses neuf frres et surs, le vieux Pre blanc qui sortait son il de verre pour les faire rire, l'arrive en France en 72 avec son frre Lopold, les poubelles, son mariage rat, son mari gentil quand mme, ses gosses, sa belle-sur qui passait ses aprs-midi Tati pendant qu'elle se tapait tout le boulot, l'autre qui avait encore fait caca, mais dans l'escalier cette fois, la fte souvent, les emmerdes, sa cousine germaine qui s'appelait Germaine et qui s'tait pendue l'anne dernire en laissant deux petites jumelles adorables, les dimanches aprs-midi dans la cabine tlphonique, les pagnes hollandais, les recettes de cuisine et un million d'autres images dont Camille ne se lassait jamais. Plus besoin de lire Courrier International, Senghor ou l'dition Seine-Saint-Denis du Parisien, il suffisait de frotter un peu plus fort et d'ouvrir grand les oreilles. Et quand Josy passait c'tait rare Mamadou se baissait, donnait un petit coup de chiffon sur le sol et attendait que l'odeur soit repartie pour se relever.
Confidence aprs confidence, Camille osa des questions plus indiscrtes. Sa collgue lui racontait des choses affreuses, ou du moins qui lui semblaient affreuses, avec une nonchalance dsarmante.
Mais comment tu t'organises ? Comment tu tiens ? Comment tu y arrives ? C'est l'enfer ces horaires...
Ta ta ta... Parle pas deu ce que tu connais pas. L'Enfer, c'est bien pire que a, va... L'Enfer, c'est quand tu peux plus voir les gens que t'aimes... Tout le reste a compte pas... Dis tu veux pas que j'aille te chercher des chiffons propres ?
Tu peux srement trouver un boulot plus prs... Faut pas que tes gamins y restent tout seuls le soir, on ne sait jamais ce qui peut arriver...
Y a ma belle-sur.
Mais tu me dis que tu peux pas compter sur elle...
Des fois si...
C'est une grosse bote Touclean, je suis sre que tu pourrais trouver des chantiers plus prs de chez toi... Tu veux que je t'aide ? Que je demande pour toi ? Que j'crive la direction du personnel ? fit Camille en se relevant.
Non. Touche rien, malheureuse ! La Josy, elle est comme elle est, mais elle ferme les yeux sur beaucoup deu choses, tu sais... Bavarde et grosse comme je suis, j'ai dj deu la chance d'avoir du travail... Tu te souviens deu la visite mdicale la rentre ? L'autre imbcile, le petit docteur... Il a voulu me chicaner parce que mon cur il tait trop noy sous trop deu graisse ou je ne sais pas quoi... Eh ben, c'est elle qui m'a arrang mon affaire, alors faut toucher rien, je teu dis...
Attends... On parle bien de la mme, l ? De l'abrutie qu'est toujours en train de te traiter comme si t'tais la dernire des merdes ?
Mais oui, on parle deu la mme ! fit Mamadou en riant. J'en connais qu'une. Et heureusement dis donc !
Mais tu viens de lui cracher dessus !
O t'as vu a, toi ? se fcha-t-elle, j'ai pas crach sur elle ! Je me permettrais pas dis donc...
Camille vida la dchiqueteuse en silence. La vie tait un drle de nuancier quand mme...
En tout cas, c'est gentil. T'es une gentille, toi... Il faut que tu viennes la maison un soir pour que mon frre te fasse venir une belle vie avec un amour dfinitif et beaucoup d'enfants.
Pff...
Quoi, pff ? T'en voudrais pas des enfants ?
Non.
Dis pas a, Camille. Tu vas faire venir le mauvais sort...
Il est dj venu...
Elle la dvisagea mchamment :
Tu devrais avoir honte deu parler comme a... T'as du travail, une maison, deux bras, deux jambes, un pays, un amoureux...
Pardon ?
Ah ! Ah ! exulta-t-elle, tu crois que je t'ai pas vue avec Nourdine en bas ? Toujours lui flatter son gros chien, l... Tu crois que mes yeux y sont noys dans deu la graisse aussi ?
Et Camille se mit rougir.
Pour lui faire plaisir.
Nourdine qui tait survolt ce soir-l et encore plus boudin que d'habitude dans sa combinaison de justicier. Nourdine qui excitait son chien et se prenait pour l'inspecteur Harry...
Ben qu'est-ce qui se passe, lui demanda Mamadou, pourquoi qu'y grogne comme a ton veau ?
Je sais pas ce que c'est, mais y a quequechose qui tourne pas rond.... Restez pas l, les filles. Restez pas par ici...
Ah ! Il tait heureux l.... Il ne lui manquait plus que les Ray-Ban et la kalachnikov...