Aprs nous avoir pos quelques lapins, elle a fini par venir. Je suis mont dans sa voiture. Elle m'a montr son mari, son autre gamin et mon nouveau lit...
Au dbut, a me plaisait vachement, ce truc-l, de dormir dans un lit superpos, et puis le soir, j'ai chial. Je lui ai dit que je voulais retourner chez moi. Elle m'a rpondu que c'tait ici chez moi et qu'il fallait que je me taise sinon j'allais rveiller le petit. Cette nuit-l, et toutes les autres, j'ai piss dans mon lit. a l'nervait. Elle disait : je suis sre que tu le fais exprs, tu resteras mouill, tant pis pour toi. C'est ta grand-mre. Elle t'a pourri le caractre. Et aprs je suis devenu fou.
Jusqu' prsent, j'avais vcu dans les champs, j'allais la pche tous les soirs aprs l'cole, l'hiver mon pp m'emmenait aux champignons, la chasse, au caf... J'tais toujours dehors, toujours en bottes, toujours en train de jeter mon vlo dans les buissons pour aller apprendre le mtier avec les braconniers et puis me voil dans un HLM pourri dans une banlieue de merde, coinc entre quatre murs, une tl et un autre mme qui se rcoltait toutes les douceurs... Alors j'ai pt les plombs. J'ai... Non... Peu importe... Trois mois plus tard, elle m'a remis dans le train en me rptant que j'avais tout gch...
T'as tout gch, t'as tout gch... Quand je suis mont dans la Simca de mon pp, a rsonnait encore dans ma petite tte. Et le pire, tu vois, c'est que... C'est que quoi ?
C'est qu'elle m'a pt en mille morceaux, cette conne... Aprs a n'a plus jamais t comme avant... J'tais plus dans l'enfance, j'en voulais plus de leurs clins et de toute cette merde... Parce que le pire qu'elle ait fait, c'tait pas tellement de revenir me prendre, le pire, c'est toutes les horreurs qu'elle m'a dit sur ma grand-mre avant de me jeter encore une fois. Comment elle m'a flingue l tte avec ses bobards... Que c'tait sa mre qui l'avait force m'abandonner avant de la mettre la porte. Que elle, elle avait tout fait pour m'emmener avec elle mais qu'ils avaient sorti le fusil et tout a...
C'tait des conneries ?
Bien sr... Mais je le savais pas, moi, ce moment-l... Je ne comprenais plus rien et puis, peut-tre que j'avais envie de la croire aussi ? Peut-tre bien que a m'arrangeait de penser qu'on nous avait spars de force et que si mon pp n'avait pas sorti son tromblon, j'aurais eu la mme vie que tout le monde et que personne ne m'aurait trait de fils de pute derrire l'glise... Ta mre, c'est une putain qu'y disaient et toi, t'es qu'un btard. Des mots que je ne comprenais mme pas... Pour moi, un btard, c'tait du pain... Un vrai couillon, je te dis...
Et aprs ?
Aprs je suis devenu un sale cpn... J'ai fait tout; ce que j'ai pu pour me venger... Pour les faire payer de m'avoir priv d'une maman si gentille...
Il ricanait.
J'ai bien russi... J'ai fum les gauloises de mon pp, vol dans le porte-monnaie des courses, foutu l! bordel au collge, je me suis fait renvoyer et j'ai pass le plus clair de mon temps assis sur une mob ou dans les arrire-salles des cafs monter des coups et tripoter les filles... De ces mochets... T'aurais mme pas ide... J'tais le cad. Le meilleur. Le roi des merdeux...
Et aprs ?
Aprs dodo. La suite au prochain pisode...
Alors ? T'as pas envie de me prendre dans tes bras maintenant ?
J'hsite... T'as pas t viol quand mme...
Il se pencha vers elle :
Tant mieux. Parce que moi j'en voudrais pas de tes bras. Enfin pas comme a... Plus comme a... J'y ai longtemps jou ce petit jeu-l, mais plus maintenant... a ne m'amuse plus. a marche jamais... 'Tain, mais t'as combien de couvertures, l ?
Euh... Trois plus l'dredon...
C'est pas normal, a... C'est pas normal que t'aies toujours froid, que tu mettes deux heures te remettre d'un trajet en moto... Il faut que tu grossisses, Camille...
...
Toi aussi, tu... J'ai pas vraiment l'impression que t'aies un bel album de photos avec ta famille qui rigole autour de toi, si ?
Non.
Tu le raconteras un jour ?
Peut-tre...
Tu sais je... je te ferai plus jamais chier avec a...
Avec quoi ?
Je te parlais de Fred tout l'heure en te disant que c'tait mon seul pote, mais j'ai tort. J'en ai un autre... Pascal Lechampy, le meilleur ptissier du monde... Retiens bien son nom, tu verras... Ce mec, c'est un dieu. Du simple sabl au saint-honor en passant par les tartes, le chocolat, les mille-feuilles, le nougat, les choux ou n'importe quoi, tout ce qu'il touche se transforme en inoubliable. C'est bon, c'est beau, c'est fin, c'est tonnant et c'est hyper matris. J'en ai crois des bons ouvriers dans ma vie, mais lui c'est autre chose encore... C'est la perfection. Un type adorable en plus de a... Une crme, un Jsus, une vraie tarte au sucre... Eh ben, y se trouve que ce mec tait norme. normis-sime. Jusque-l, pas de problme... On en a vu d'autres... Le problme, c'est qu'il fouettait affreusement... Tu pouvais pas te tenir ct de lui un moment sans avoir la gerbe. Bon, je te passe les dtails, les moqueries, les rflexions, les savons dposs dans son casier et tout le bazar... Un jour on s'est retrouvs dans la mme chambre d'htel parce que je l'avais accompagn un concours pour lui servir d'assistant... La dmonstration a lieu, bien sr il la gagne, mais moi, la fin de la journe, je te dis pas dans quel tat j'tais... Je pouvais mme plus respirer et j'avais l'intention de passer la nuit dans un bar plutt que de rester une minute de plus dans son sillage... Ce qui m'tonnait quand mme, c'est qu'il avait pris une douche le matin, je le savais : j'y tais. Finalement on rentre l'htel, je picole pour m'anesthsier et finis par lui en parler... T'es toujours l?
Oui, oui, je t'coute...
Je lui dis : Merde Pascal, tu pues. Tu pues la mort, vieux. C'est quoi ce bordel ? Tu te laves pas ou quoi ? Et l, t'as ce gros nounours, ce mec monstrueux, ce pur gnie avec son gros rire et sa montagne de graisse qui se met pleurer, pleurer, pleurer... Comme une fontaine... Un truc affreux, des gros sanglots de bb et tout... Il tait inconsolable, ce crtin... Putain, j'tais mal... Au bout d'un moment, le voil qui se fout poil, comme a, sans prvenir... Alors, je me retourne, je vais pour aller dans la salle de bains et y m'attrape par le bras. Y me dit : Regarde-moi, Lestaf, regarde-moi cette merde... Putain, je... J'ai failli tourner de l'il dis donc !
Pourquoi ?
D'abord son corps... C'tait carrment ragotant. Mais surtout, et c'est ce qu'il voulait me montrer, c'tait... ah... rien que d'y penser, a me dbect encore... C'taient des espces de plaques, de crotes, de ce je sais pas quoi qu'il avait entre ses plis de peau... Et c'tait a qui puait, cette espce de gale sanguinolente... Putain, je te jure, j'ai picol toute la nuit pour m'en remettre... En plus, il me racontait qu'il avait super mal quand il se lavait mais qu'il frottait comme un dingue pour faire partir l'odeur et qu'il s'aspergeait de parfum en serrant les dents pour ne pas pleurer... Quelle nuit, quelle angoisse, quand j'y repense...
Et aprs ?
Le lendemain, je l'ai tran l'hosto, aux urgences... C'tait Lyon, je me souviens... Et mme le mec, il a chancel quand il a vu a. Il lui a nettoy ses plaies, il lui a fil plein de trucs, une super ordonnance avec des pommades et des cachets dans tous les sens. Il lui a fait la leon pour qu'il maigrisse et la fin quand mme, il lui a dit : Mais pourquoi vous avez attendu si longtemps ? Pas de rponse. Et moi, sur le quai de la gare, je suis revenu la charge : C'est vrai, bordel, pourquoi t'as attendu si longtemps ? Parce que j'avais trop honte... il a rpondu en baissant la tte. Et l, je me suis jur que c'tait la dernire fois.