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Camille tait devenue ce que la caisse d'allocations familiales appelle une auxiliaire de vie . Ces trois mots lui allaient bien et elle compensait son ignorance griatrique en adoptant un ton direct et des mots crus qui les dsinhibaient toutes les deux.

Allez-y, ma petite Paulette, allez-y... Je vous nettoierai les fesses au jet...

Tu es sre ?

Mais oui !

a ne te dgote pas ?

Mais non.

L'installation d'une cabine de douche s'tant avre trop complique, Franck avait fabriqu une marche anti-drapante pour escalader la baignoire et coup les pieds d'une vieille chaise sur laquelle Camille dposait une serviette-ponge avant d'y asseoir sa protge.

Oh... gmissait-elle, mais moi a me gne... Tu ne peux pas savoir comme je suis mal l'aise de t'imposer a...

Allons...

Ce vieux corps, l, a ne te dgote pas ? Tu es sre ?

- Vous savez, je... Je crois que je n'ai pas la mme approche que vous... Je... J'ai pris des cours d'anatomie, j'ai dessin des nus au moins aussi gs que vous et je n'ai pas de problme de pudeur... Enfin, si, mais pas celui-l. Je ne sais pas comment vous l'expliquer... Mais quand je vous regarde, je ne me dis pas : herk, ces rides, ses seins qui pendouillent, ce ventre mou, ces poils blancs, ce zizi flasque ou ces genoux cagneux... Non, pas du tout... Je vais peut-tre vous vexer mais votre corps m'intresse indpendamment de vous. Je pense boulot, technique, lumire, contours, barbaque circonvenir... Je songe certains tableaux... Les vieilles folles de Goya, des allgories de la Mort, la mre de Rembrandt ou sa prophtesse Anne... Excusez-moi, Paulette, c'est affreux tout ce que je vous raconte l mais... en vrit, je vous regarde trs froidement !

Comme une bte curieuse ?

Il y a un peu de a... Comme une curiosit plutt...

Et alors ?

Alors rien.

Tu vas me dessiner moi aussi ?

Oui.

Silence.

Oui, si vous me le permettez... Je voudrais vous dessiner jusqu' ce que je vous connaisse par cur. Jusqu' ce que vous n'en puissiez plus de me sentir autour de vous...

Je te le permettrai, mais l, vraiment je... Tu n'es mme pas ma fille ni rien et je... Oh, que... comme je suis confuse...

Camille s'tait finalement dshabille et mise genoux devant elle sur l'mail gristre :

- Lavez-moi.

- Pardon ?

- Prenez le savon, le gant et lavez-moi, Paulette.

Elle s'excuta et, grelottant moiti sur son prie-Dieu aquatique, tendit le bras vers le dos de la jeune fille :

H ! Plus fort que a !

Mon Dieu, tu es si jeune... Quand je pense que j'tais comme toi autrefois... Bien sr, je n'tais pas aussi menue mais...

Vous voulez dire maigre ? la coupa Camille en se retenant la robinetterie.

Non, non, je pensais menue vraiment... Quand Franck m'a parl de toi la premire fois, je me rappelle, il n'avait que ce mot-l la bouche : Oh, mm, elle est si maigre... Si tu voyais comme elle est maigre... mais maintenant que je te vois telle que tu es, l, je ne suis pas d'accord avec lui. Tu n'es pas maigre, tu es fine. Tu me fais penser cette jeune femme dans le livre du Grand Meaulnes... Tu sais ? Comment s'appelait-elle dj ? Aide-moi...

Je ne l'ai pas lu.

Elle avait un nom noble elle aussi... Ah, c'est trop bte...

On ira voir la bibliothque... Allez-y ! Plus bas aussi ! Y a pas de raison ! Et attendez, je vais me retourner maintenant... Voil... Vous voyez ? On est dans le mme bateau, ma vieille ! Pourquoi vous me regardez comme a ?

Je... C'est cette cicatrice, l...

Oh, a ? C'est rien...

Non... Ce n'est pas rien... Qu'est-ce qui t'est arriv ?

Rien je vous dis.

Et, de ce jour, il ne fut plus jamais question d'piderme entre elles deux.

Camille l'aidait s'asseoir sur la lunette puis sous la douche et la savonnait en parlant d'autre chose. Les shampoings s'avrrent plus dlicats. chaque fois qu'elle fermait les yeux, la vieille dame perdait l'quilibre et partait en arrire. Au bout de quelques essais catastrophiques, elles dcidrent de prendre un abonnement chez un coiffeur. Pas dans le quartier o ils taient tous hors de prix ( Qui c'est a, Myriam? lui rpondit ce crtin de Franck, je connais pas de Myriam, moi...) mais tout au bout d'une ligne d'autobus. Camille tudia son plan, suivit du doigt les parcours de la RATP, visa l'exotisme, plucha les pages jaunes, demanda des devis pour une mise en plis hebdomadaire et jeta son dvolu sur un petit salon de la rue des Pyrnes, dernire zone de tarification du 69.

En vrit, la diffrence de prix ne justifiait pas une telle expdition mais c'tait une si jolie promenade...

Et tous les vendredis, ds l'aube, l'heure o blanchit etc., elle installait une Paulette toute fripe prs de la vitre et assurait les commentaires de Paris by day en attrapant au vol sur son carnet et selon les embouteillages un couple de caniches en manteaux Burberry sur le pont Royal, l'espce de cervelas qui ornait les murs du Louvre, les cages et les buis du quai de la Mgisserie, le socle du Gnie de la Bastille ou le haut des caveaux du Pre-Lachaise, ensuite elle lisait des histoires de princesses enceintes et de chanteurs abandonns pendant que son amie bichait sous le casque. Elles djeunaient dans un caf de la place Gambetta. Pas dans le Gambetta justement, un endroit un peu trop branchouille leur got mais au Bar du Mtro qui sentait bon le tabac froid, les millionnaires perdants et le garon irritable.

Paulette, qui se souvenait de son catchisme, prenait invariablement une truite aux amandes, et Camille, qui n'avait aucune morale, mordait dans un croque-mosieur en fermant les yeux. Elles commandaient un pichet, mais oui, et trinquaient de bon cur. nous ! Au retour, elle s'asseyait en face d'elle et dessinait exactement les mmes choses mais dans le regard d'une petite dame toute pimpante et trop laque qui n'osait pas s'appuyer contre la vitre de peur de froisser ses superbes frisettes mauves. (Johanna, la coiffeuse, l'avait convaincue de changer de couleur : Alors, c'est d'accord? Je vous fais l'Opaline Cendre, hein ? Regardez, c'est le numro 34, l... Paulette voulait interroger Camille du regard mais celle-ci tait plonge dans une affaire de liposuccion rate. a ne va pas rendre trop triste ? s'inquita-t-elle Triste ? Mais non ! Ce sera trs gai au contraire ! )

En effet, ce... c'tait le mot. C'tait trs gai et, ce jour-l, elles descendirent l'angle du quai Voltaire pour acheter, entre autres, un nouveau demi-godet d'aquarelle chez Sennelier.

Les cheveux de Paulette taient passs du Rose Dor trs dilu au Violet de Windsor.

Ah ! Tout de suite... C'tait beaucoup plus chic...

Les autres jours, c'tait Monoprix donc. Elles mettaient plus d'une heure parcourir deux cents mtres, gotaient la nouvelle Danette, rpondaient des sondages idiots, essayaient des rouges lvres ou d'affreux foulards en mousseline. Elles tranaient, jacassaient, s'arrtaient en chemin, commentaient l'allure des grandes bourgeoises du VIIe et la gaiet des adolescentes. Leurs fous rires, leurs histoires abracadabrantes, les sonneries de leurs portables et leurs sacs dos tout cliquetants de babioles. Elles s'amusaient, soupiraient, se moquaient et se relevaient prcautionneusement. Elles avaient le temps, la vie devant elles...

5

Quand Franck n'assurait pas l'intendance, c'est Camille qui s'y collait. Au bout de quelques assiettes de ptes trop cuites, de Picard rat et d'omelettes brles, Paulette se mit en tte de lui inculquer certaines notions de cuisine. Elle restait assise devant la gazinire et lui apprit des mots aussi simples que : bouquet garni, cocotte en fonte, pole chaude et court-bouillon. Sa vue tait mauvaise, mais, l'odeur, elle lui indiquait la marche suivre... Les oignons, les lardons, tes morceaux de viande, l, c'est bien, top. Mouille-moi tout a... Vas-y, je te dirai... Top !