Ensemble, c’est tout

� C'est quoi ? Un m�dicament ?

Non, c'est un produit pour d�caper le bois...

� Ah oui ! Une bouteille vert et rouge, non ?

� Si tu le dis... Eh ben ce mec, c'est mon V33. Il met et le produit, �a br�le, �a fait des cloques et le coup d'apr�s, il prend sa spatule et d�colle toute la merde... Regarde-moi. Sous mon cr�ne je suis nu comme un ver !

Il n'arrivait plus � sourire, ses mains tremblaient :

- Putain, c'est dur... C'est trop dur... Je pensais pas que...

Il releva la t�te.

- Et puis euh... Y a eu quelqu'un d'autre aussi... Une petite nana avec des cuisses de mouche qu'a remont� son fute avant que j'aie eu le temps d'en voir plus, h�las...

� C'est quoi ton nom ?

� Camille.

Il le r�p�ta encore et se tourna vers le mur :

� Camille... Camille... Le jour o� t'es apparue, Camille, j'avais un mauvais rencard... Il faisait trop froid et j'avais plus tellement envie de me battre, il me semble... Mais, bon. T'�tais l�... Alors je t'ai suivie... Je suis galant comme mec...

Silence.

� Je peux te parler encore ou t'en as marre, l� ?

� Ressers-moi une tasse...

� Excuse-moi. C'est � cause du vieux... Je suis devenu un vrai moulin � paroles...

� Pas de probl�me, je te dis.

� Nan, mais c'est important en plus... Enfin, m�me pour toi, je crois que c'est important...

Elle fron�a les sourcils.

� Ton aide, ta piaule, ta bouffe et tout, c'est une chose mais je te dis, j'�tais vraiment dans un mauvais trip quand tu m'as trouv�... J'avais le vertige, tu comprends ? Je voulais retourner les voir, je... J'ai... Et c'est ce mec-l� qui m'a sauv�. Ce mec, et tes draps.

Il le ramassa et le posa entre eux deux. Camille reconnut son livre. C'�tait les lettres de Van Gogh � son fr�re.

Elle avait oubli� qu'il �tait l�.

C'�tait pas faute de se l'avoir trimbal� pourtant...

� Je l'ai ouvert pour me retenir, pour m'emp�cher de passer la porte, parce qu'il n'y avait rien d'autre ici et tu sais ce qu'il m'a fait ce bouquin ?

Elle secoua la t�te.

� Il m'a fait �a, �a et �a.

Il l'avait repris pour se frapper le cr�ne et les deux joues.

- C'est l� troisi�me fois que je le relis... Ce... C'est tout pour moi. Y a tout l�-dedans... Ce type, je le connais par c�ur... C'est moi. C'est mon fr�re. Tout ce qu'il dit, je le comprends. Comment y p�te les plombs. Comment il souffre. Comment il est toujours en train de se r�p�ter, de s'excuser, d'essayer de comprendre les autres, de se remettre en question, comment il s'est fait jeter par sa famille, ses parents qui captent rien, les s�jours � l'hosto et tout �a... Je... Je vais pas te raconter ma vie, t'inqui�te, mais c'est troublant, tu sais... Comment il est avec les filles, comment il tombe amoureux d'une b�cheuse, comment on l'a m�pris� et le jour o� il a d�cid� de se mettre en m�nage avec cette pute, l�... Celle qui �tait enceinte... Nan je vais pas te raconter ma vie, mais il y a des co�ncidences qui m'ont fait halluciner... � part son frangin, et encore, personne ne croyait en lui. Personne. Mais lui, tout fragile et tout tar� qu'il �tait, il y croyait, lui... Enfin... Il dit �a, qu'il a la foi, qu'il est fort et euh... La premi�re fois que je l'ai lu, presque d'une traite tu vois, j'avais pas compris le truc en italiques � la fin...

Il le rouvrit :

- Lettre que Vincent Van Gogh portait sur lui le 29 juillet 1890... C'est seulement en lisant la pr�face le lendemain ou le surlendemain que j'ai compris qu'il s'�tait suicid� ce con. Que cette lettre il l'avait pas envoy�e et je... Putain, �a m'a fait un coup, je te dis pas... Tout ce qu'il dit sur son corps, je le ressens. Toute sa souffrance, c'est pas que des mots, tu comprends ? C'est... Enfin, moi je... je m'en fous de son travail... Enfin, nan, je m'en fous pas, mais c'est pas �a que j'ai lu, Ce que j'ai lu, c'est que si t'es pas dans le rang, si t'arrives pas � �tre ce qu'on attend de toi, tu souffres. Tu souffres comme une b�te et � la fin, tu cr�ves. Eh ben, non. Moi je vais pas crever. Par amiti� pour lui, par fraternit�, je vais pas crever... Je veux pas.

Camille �tait scotch�e. Pchiii... Sa cendre venait de tomber dans son caf�.

� C'est n'importe quoi ce que je viens de dire ?

� Nan, nan, au contraire... je...

� Tu l'as lu, toi ?

� Bien s�r.

� Et tu... �a t'a pas fait souffrir ?

� Je me suis surtout int�ress�e � son travail... Il s'y est mis tard... C'est un autodidacte... Un... Tu... tu les connais ses toiles ?

� Les tournesols, c'est �a ? Nan... J'y ai pens� pendant un moment, d'aller feuilleter un livre ou quoi, mais j'ai pas envie, je pr�f�re mes images...

� Garde-le. Je te le donne.

� Tu sais... Un jour... si je m'en sors, je te remercierai. Mais l� je peux pas... Je te l'ai dit, je suis rabot� jusqu'au trognon. � part ce gros sac � puces, j'ai plus rien.

� Tu pars quand ?

� La semaine prochaine normalement...

� Tu veux me remercier ?

� Si je peux...

� Laisse-moi te dessiner...

� C'est tout ?

� Oui.

� Nu?

� Je pr�f�rerais...

� La vache... Tu l'as pas vu mon corps...

� Je l'imagine...

Il nouait ses baskets et son chien sautait dans tous les sens.

� Tu sors ?

� Toute la nuit... Toutes les nuits... Je marche jusqu'� �puisement, je passe prendre ma dose quotidienne � l'ouverture du service et je reviens me coucher pour tenir jusqu'au lendemain. J'ai pas encore trouv� mieux pour le moment...

Du bruit dans ie couloir. La pile � poils se figea.

� Y a quelqu'un... paniqua-t-il.

� Camille ? Tout va bien ? C'est... c'est ton preux chevalier, ma ch�rie...

Philibert se tenait dans l'encadrement de la porte, un sabre � la main.

� Barbes ! Couch� !

� Je... Je suis ri... ridicule, l�, non ?

Elle fit les pr�sentations en riant :

� Vincent, voici Philibert Marquet de la Durbel-li�re, g�n�ral en chef d'une arm�e en d�route, puis, se retournant : Philibert, Vincent... euh... que... comme Van Gogh...

� Enchant�, r�pondit-il en rengainant son bazar. Ridicule et enchant�... Eh bien, je... Je vais me replier n'est-ce pas...

� Je descends avec toi, r�pondit Camille.

� Moi aussi.

� Tu... Tu viendras me voir ?

� Demain.

� Quand ?

- Dans l'apr�s-midi. Euh ? Avec mon chien ?

- Avec Barbes, bien s�r...

- Ah! Barbes... se d�sola Philibert. Encore un fou furieux de la R�publique, celui-l�... J'aurais pr�f�r� l'abbesse de Rochechouart, tiens !

Vincent l'interrogea du regard.

Elle leva les �paules, perplexe.

Philibert, qui s'�tait retourn�, s'offusqua :

- Parfaitement ! Et que le nom de cette pauvre Marguerite de Rochechouart de Montpipeau soit associ� � ce jean-foutre est une aberration !

� De Montpipeau ? r�p�ta Camille. Putain mais vous avez de ces noms... Au fait ? Pourquoi tu t'inscris pas � Questions pour un Champion, toi ?

� Ah ! Tu ne vas pas t'y mettre aussi ! Tu sais bien pourquoi...

� Non. Pourquoi ?

� Le temps que j'appuie sur le champignon, ce sera d�j� l'heure du journal...

11

Elle ne dormit pas de la nuit. Tourna en rond, gratta la poussi�re, se cogna dans des fant�mes, prit un bain, se leva tard, doucha Paulette, la coiffa n'importe comment, fl�na un peu dans la rue de Grenelle avec elle et fut incapable d'avaler quoi que ce soit.

� Tu es bien nerveuse aujourd'hui...

� J'ai un rendez-vous important.

� Avec qui ?

� Avec moi.

� Tu vas chez le m�decin ? s'inqui�ta la vieille dame.

Comme � son habitude, cette derni�re s'assoupit apr�s le d�jeuner. Camille lui retira sa pelote, remonta sa couverture et partit sur la pointe des pieds.