Compassion ? Amour de l'humanit ? Vraiment ?
Est-ce que tout cela n'avait pas t prmdit ? Son installation l-haut, le Canigou, la confiance, le courroux de Pierre Kessler, la mise pied et le pied du mur?
Les artistes sont des monstres.
Allons. Non. Ce serait trop contrariant... Laissons-lui le bnfice du doute et taisons-nous. Cette fille n'tait pas trs claire mais quand elle plantait ses crocs dans le vif du sujet, c'tait fulgurant. Et peut-tre mme que sa gnrosit se manifestait seulement maintenant ? Ouand ses pupilles se contractaient et qu'elle devenait impitoyable...)
Il faisait presque nuit prsent. Elle avait allum la lumire sans s'en rendre compte et transpirait autant
que lui.
On arrte. J'ai des crampes. J'ai mal partout.
Non ! cria-t-elle.
Sa duret les surprit tous les deux.
Excuse-moi... Ne... Ne bouge pas, je t'en supplie...
Dans mon pantalon... poche de devant... Tranxne...
Elle alla lui chercher un verre d'eau.
Je t'en supplie... Encore un peu, tu peux t'adosser si tu veux... Je... Je sais pas travailler avec des souvenirs... Si tu pars maintenant, il est mort mon dessin... Excuse-moi, je... J'ai presque fini.
C'est bon. Tu peux te rhabiller.
C'est grave, docteur ?
J'espre... murmura-t-elle.
Il revint en s'tirant, frotta son chien et lui dit quelques mots tendres derrire l'oreille. Il alluma une cigarette.
- Tu veux voir ?
Non.
- Si.
Il resta stupfait.
- Putain... C'est... C'est dur.
- Non. C'est tendre...
- Pourquoi tu t'es arrte aux chevilles ?
- Tu veux la vraie version ou celle que je vais bidouiller?
La vraie.
Parce que je suis nulle en pieds !
Et l'autre ?
Parce que... Plus grand-chose te retient, si ?
Et mon chien alors ?
Le voil ton chien. Je l'ai fait par-dessus ton paule tout l'heure...
Oh ! Qu'il est beau ! Qu'il est beau, qu'il est beau, qu'il est beau...
Elle arracha la feuille.
Donnez-vous du mal, ronchonna-t-elle pour de faux, tuez-vous, ressuscitez-les, offrez-leur l'immortalit et tout ce qui les meut, c'est un crobard de leur corniaud...
Je te jure...
T'es contente de toi ?
Oui.
Il faudra que je revienne ?
Oui... Pour me dire au revoir et me donner ton adresse... Tu veux boire un coup ?
Non. Il faut que j'aille me coucher, je ne suis pas bien, l...
En le prcdant dans le couloir Camille se frappa le front :
Paulette ! Je l'ai oublie !
Sa chambre tait vide.
Merrde...
Un problme ?
J'ai perdu la mm de mon coloc...
Regarde... Y a un mot sur la table...
On voulait pas te drang. Elle est avec moi. Viens ds que tu peux. P.-S. : le chien de ton pote a chi dans l'entre.
12
Camille tendit les bras et s'envola au-dessus du Champ-de-Mars. Elle frla la tour Eiffel, chatouilla les toiles et vint se poser devant l'entre de service du restaurant.
Paulette tait assise dans le bureau du chef.
Dilate de bonheur.
Je vous avais oublie...
Mais non, idiote, tu travaillais... C'est fini ?
Oui.
a va ?
J'ai faim !
Lestafier !
Oui, chef...
- Faites-moi un bon gros steak bien saignant pour le bureau.
Franck se re tourna. Un steak ? Mais elle n'avait plus de dents...
Quand il comprit que c'tait pour Camille, son tonnement fut plus grand encore.
Ils communiqurent par signes :
- Pour toi ?
- Ouiiii, rpondit-elle en secouant la tte.
- Un gros steak ?
- Ouiiiii.
T'es tombe sur la tte ?
Ouiiiii.
H ! T'es super mignonne quand t'es heureuse, tu sais ?
Mais a, elle ne le comprit pas et acquiesa donc au hasard.
Oh, oh... fit le chef, en lui tendant son assiette, j'voudrais pas dire, mais y en a qu'ont de la chance...
La pice de viande tait en forme de cur.
Ah qu'il est fort ce Lestafier, soupira-t-il, qu'il est fort...
Et qu'il est beau... ajouta sa grand-mre qui le dvorait des yeux depuis deux heures.
Ouais... J'irai pas jusque-l... Qu'est-ce que je vous sers avec a ? Allez... Un petit ctes-du-rhne et je trinque avec vous... Et vous, Mamie ? Il est pas encore arriv votre dessert ?
Le temps d'un coup de gueule et Paulette cornait son fondant...
Dis donc, ajouta-t-il en faisant claquer sa langue, y s'est drlement arrang votre petit-fils... Je le reconnais plus...
En s'adressant Camille :
Qu'est-ce que vous lui avez fait ?
Rien.
Eh ben, c'est parfait ! Continuez comme a ! a lui russit trs bien ! Nan, srieusement... Il est bien ce petit... Il est bien...
Paulette pleurait.
Ben quoi ? Ben qu'est-ce que j'ai dit ? Buvez, nom de Dieu ! Buvez ! Maxime...
Oui, chef ?
Allez me chercher une coupe de champagne, s'il vous plat...
- a va mieux ?
Paulette se mouchait en s'excusant :
- Si vous saviez le chemin de croix... Il s'est fait renvoyer de son premier collge, puis du deuxime, du CAP, de ses stages, de son apprentissage, de...
Mais c'est pas important a ! tonna-t-il. Regardez-le, l ! Comme il matrise ! Ils sont tous en train d'essayer de me le dbaucher ! Y finira avec un ou deux macarons aux fesses, vot' bichon !
- Pardon ? s'inquita Paulette.
Les toiles...
Ah... et pas trois ? demanda-t-elle un peu due.
Non. Trop mauvais caractre pour a. Et trop... sentimental...
Clin d'il Camille.
Au fait, elle est bonne, cette viande ?
Dlicieuse.
Forcment... Bon, j'y vais... Si vous avez besoin de quelque chose, vous tapez au carreau.
Quand il revint l'appartement, Franck s'arrta d'abord aux pieds de Philibert qui rongeait un crayon sous sa lampe de chevet :
Je te drange ?
Absolument pas !
On se voit plus...
- Plus beaucoup, c'est exact... Au fait ? Tu travailles toujours le dimanche ?
- Oui.
- Eh bien passe nous voir le lundi si tu t'ennuies...
- Tu lis quoi ?
- J'cris.
- A qui ?
- J'cris un texte pour mon thtre... Hlas, nous sommes tous contraints de monter sur scne la fin de l'anne...
- Tu nous inviteras ?
- Je ne sais pas si j'oserai...
H dis-moi, euh... a se passe bien ?
Pardon ?
Entre Camille et ma vieille ?
L'entente cordiale.
Tu crois pas qu'elle en a marre ?
Tu veux que je te dise vraiment ?
Quoi ? s'inquita Franck.
Non, elle n'en a pas marre mais a viendra... Souviens-toi... Tu avais promis de la dcharger deux journes par semaine... Tu avais promis de lever le pied.
Ouais je sais mais je...
Stop, le coupa-t-il. pargne-moi tes arguments. Cela ne m'intresse pas. Tu sais, il faut grandir un peu, mon vieux... C'est comme pour a... (Il lui dsignait son cahier tout ratur), qu'on le veuille ou non, un jour on est tous obligs d'y passer...
Franck se leva, pensif.
Elle le dirait si elle en avait marre, non ?
Tu crois ?
Il regardait travers ses lunettes pour les nettoyer.
Je ne sais pas... Elle est tellement mystrieuse... Son pass... Sa famille... Ses amis... On ignore tout de cette jeune personne... En ce qui me concerne, part ses carnets je ne dispose d'aucune pice me permettant d'mettre la moindre hypothse sur sa biographie... Pas de courrier, pas de coups de tlphone, jamais d'invits... Imagine que nous la perdions un jour, nous ne saurions mme pas vers qui nous tourner...