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— Mais c'est pas important ça ! tonna-t-il. Regardez-le, là ! Comme il maîtrise ! Ils sont tous en train d'essayer de me le débaucher ! Y finira avec un ou deux macarons aux fesses, vot' bichon !

- Pardon ? s'inquiéta Paulette.

— Les étoiles...

— Ah... et pas trois ? demanda-t-elle un peu déçue.

— Non. Trop mauvais caractère pour ça. Et trop... sentimental...

Clin d'œil à Camille.

— Au fait, elle est bonne, cette viande ?

— Délicieuse.

— Forcément... Bon, j'y vais... Si vous avez besoin de quelque chose, vous tapez au carreau.

Quand il revint à l'appartement, Franck s'arrêta d'abord aux pieds de Philibert qui rongeait un crayon sous sa lampe de chevet :

— Je te dérange ?

— Absolument pas !

— On se voit plus...

- Plus beaucoup, c'est exact... Au fait ? Tu travailles toujours le dimanche ?

- Oui.

- Eh bien passe nous voir le lundi si tu t'ennuies...

- Tu lis quoi ?

- J'écris.

- A qui ?

- J'écris un texte pour mon théâtre... Hélas, nous sommes tous contraints de monter sur scène à la fin de l'année...

- Tu nous inviteras ?

- Je ne sais pas si j'oserai...

— Hé dis-moi, euh... Ça se passe bien ?

— Pardon ?

— Entre Camille et ma vieille ?

— L'entente cordiale.

— Tu crois pas qu'elle en a marre ?

— Tu veux que je te dise vraiment ?

— Quoi ? s'inquiéta Franck.

— Non, elle n'en a pas marre mais ça viendra... Souviens-toi... Tu avais promis de la décharger deux journées par semaine... Tu avais promis de lever le pied.

— Ouais je sais mais je...

— Stop, le coupa-t-il. Épargne-moi tes arguments. Cela ne m'intéresse pas. Tu sais, il faut grandir un peu, mon vieux... C'est comme pour ça... (Il lui désignait son cahier tout raturé), qu'on le veuille ou non, un jour on est tous obligés d'y passer...

Franck se leva, pensif.

— Elle le dirait si elle en avait marre, non ?

— Tu crois ?

Il regardait à travers ses lunettes pour les nettoyer.

— Je ne sais pas... Elle est tellement mystérieuse... Son passé... Sa famille... Ses amis... On ignore tout de cette jeune personne... En ce qui me concerne, à part ses carnets je ne dispose d'aucune pièce me permettant d'émettre la moindre hypothèse sur sa biographie... Pas de courrier, pas de coups de téléphone, jamais d'invités... Imagine que nous la perdions un jour, nous ne saurions même pas vers qui nous tourner...

— Dis pas ça.

— Si, je le dis. Penses-y, Franck, elle m'a convaincu, elle est allée la chercher, elle lui a laissé sa chambre, aujourd'hui elle s'en occupe avec une douceur incroyable, même pas d'ailleurs, elle ne s'en occupe pas, elle prend soin d'elle. Elles prennent soin d'elles toutes les deux... Je les entends rire et papoter toute la journée quand je suis là. En plus, elle essaie de travailler l'après-midi et toi tu n'es même pas fichu de tenir tes engagements...

Il remit ses lorgnons et le tint en joué quelques secondes:

- Non, je ne suis pas très fier de vous, mon troufion.

Avec des pieds de plomb, il alla ensuite la border et éteindre sa télévision.

— Viens par là, souffla-t-elle.

Merde. Elle ne dormait pas.

— Je suis fière de toi, mon petit...

Ah ben faudrait savoir, songea-t-il, en posant la télécommande sur sa table de nuit.

— Allez, mémé... Dors maintenant...

— Très fière.

C'est ça, c'est ça...

La porte de la chambre de Camille était entrouverte. Il la poussa un peu et sursauta.

La lumière pâle du couloir éclairait son chevalet.

Il resta un moment immobile.

Stupéfaction, frayeur et éblouissement.

Alors c'est encore elle qui avait raison ?

On pouvait comprendre des choses sans les avoir apprises ?

Alors il n'était pas si bête finalement ? Puisque instinctivement, il avait tendu la main vers ce corps en vrac pour l'aider à se redresser, c'est qu'il n'était pas si bouché que ça, hein ?

Alignée du soir, cafard. Il l'écrasa et prit une bière.

Il la laissa tiédir.

Il n' aurait pas dû traîner dans le couloir.

Toutes ces salades, ça lui brouillait ses instruments de navigation...

Putain... Enfin, ça allait, là. Pour une fois la vie se tenait bien...

Il éloigna sa main de sa bouche prestement. Il ne se rongeait plus les ongles depuis onze jours. Sauf le petit doigt.

Mais lui ça comptait pas.

Grandir, grandir... Il n'avait fait que ça, grandir... Qu'est-ce qu'ils deviendraient, tous, si elle disparaissait ?

Il rota. Bon, ben, c'est pas le tout, mais j'ai une pâte à crêpe à préparer, moi...

Comble de la dévotion, il la battit au fouet pour ne pas les déranger, murmura quelques incantations secrètes et la laissa reposer en paix.

Il la couvrit d'un torchon propre et quitta la cuisine en se frottant les mains.

Demain, il lui offrirait des crêpes Suzette pour la retenir à tout jamais.

Hiark, hiark, hiark... Seul devant le miroir de la salle de bains, il imitait le rire démoniaque de Satanas dans Les Fous du Volant...

Houh, houh, houh... Ça c'était celui de Diabolo.

Ah là, là... Qu'est-ce qu'on s'amuse...

13

Il n'avait pas passé la nuit avec eux depuis longtemps. Il fit de beaux rêves.

Il alla chercher des croissants le lendemain matin et ils prirent leur petit déjeuner tous ensemble dans la chambre de Paulette. Le ciel était très bleu. Philibert et elle se lançaient mille civilités charmantes tandis que Franck et Camille s'agrippaient à leurs bols en silence.

Franck se demandait s'il devait changer ses draps et Camille se demandait si elle devait changer certains détails. Il essayait de croiser son regard mais elle n'était plus là. Elle était déjà rue Séguier dans le salon de Pierre et Mathilde, prête à défaillir et à s'enfuir en courant.

"Si je les change maintenant, j'oserai plus m'allonger c'taprème et si je les change après ma sieste, ça va faire un peu lourdingue, non ? Je l'entends déjà ricaner..."

"Ou alors je passe à la galerie ? Je dépose mon carton à Sophie et je me casse tout de suite après ? »

"En plus ça se trouve euh... On va même pas s'allonger... On restera debout, comme dans un film tellement on sera euh... »

« Non, ce n'est pas une bonne idée... S'il est là, il va me retenir et me forcer à m'asseoir pour en parler avec lui... Moi je veux pas parler. Je m'en fous de son blabla. Il le prend ou il le prend pas. Point. Et son blabla, y se le garde pour ses clients... »

« Je prendrai une douche au vestiaire avant de partir...»

« Je prendrai un taxi et je lui demanderai de m'attendre en double file devant la porte... »

Les soucieux, les insouciants, tous secouèrent leurs miettes en soupirant et se dispersèrent sagement.

Philibert était déjà dans l'entrée. D'une main, il tenait la porte à Franck, et de l'autre, une valise.

— Tu pars en vacances ?

— Non, ce sont des accessoires.

— Des accessoires pour quoi faire ?

— Pour mon rôle...

— Oh putain... C'est quoi ? C'est un truc de cape et d'épée ? Tu vas courir partout et tout ça ?

— Mais oui, bien sûr... Je vais me pendre au rideau et me jeter dans la foule... Allez... Passe ou je t'embroche...

Azur oblige, Camille et Paulette descendirent «au jardin ».

La vieille dame marchait de plus en plus difficilement et elles mettaient presque une heure à parcourir l'allée Adrienne-Lecouvreur. Camille avait des fourmis dans les jambes, lui donnait le bras, se calait sur ses pas menus et ne pouvait s'empêcher de sourire quand elle apercevait le panneau Réservée aux cavaliers, allure modérée... Quand elles s'arrêtaient, c'était pour prendre des touristes en photo, laisser passer les joggers ou échanger quelques mots frivoles avec d'autres marathoniens en Méphisto.

- Paulette ?

- Mon petit ?

- Ça vous choque si je vous parle d'un fauteuil roulant?