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— On vous a volé quelque chose ?

Hé, ho, ça va ! On se calme ! Il n'allait pas répondre « mon cœur » ou une connerie dans le genre...

— C'est-à-dire que... euh... On s'est introduit chez moi hier...

— Ah bon ?

— Oui.

— Mais vous étiez là ?

— Je dormais...

— Vous avez vu quelque chose ?

- Non.

- Comme c'est fâcheux... Vous êtes bien assuré au moins?

- Non, repondit-il penaud.

Elle soupira :

- Voilà un témoignage bien vague... Je sais que ces choses-là ne sont jamais très agréables, mais... Vous savez... Le mieux ce serait encore de procéder à une reconstitution des faits...

- Ah?

— Ben oui...

D'un bond, il était sur elle. Elle hurla.

— Moi aussi j'ai la dalle, moi aussi ! J'ai rien bouffé depuis hier soir et c'est toi qui vas trinquer Mary Poppins. Putain, depuis le temps que ça gargouille là-dedans... J'vais me gêner, tiens...

Il la dévora de la tête aux pieds.

Il commença par lui picorer les taches de rousseur puis la grignota, la becqueta, la croqua, la lécha, la goba, la pignocha, la chipota, la mordilla et la rongea jusqu'à l'os. Au passage, elle prit du plaisir et le lui rendit bien.

Ils n'osaient plus s'adresser la parole ni même se regarder.

Camille se désola.

- Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta-t-il.

- Ah monsieur... Je sais, c'est trop bête, mais il m'en fallait un deuxième exemplaire pour nos archives et j'ai oublié de mettre le carbone... Il va falloir tout recommencer depuis le début...

- Maintenant ? ?

- Non. Pas maintenant. Mais il ne faudrait pas trop tarder quand même... Des fois que vous oubliiez certains détails...

- Bon... Et vous, vous... Vous croyez que je serai remboursé ?

— M'étonnerait...

— Il a tout pris, vous savez ?

— Tout ?

— Presque tout...

— Dur...

Camille était allongée sur le ventre et avait posé son menton sur ses mains.

— Tu es belle.

— Arrête... fit-elle en s'enfouissant dans le creux de ses bras.

— Nan, t'as raison, t'es pas belle, t'es... J'sais pas comment dire... T'es vivante... Tout est vivant chez toi: tes cheveux, tes yeux, tes oreilles, ton petit nez, ta grande bouche, tes mains, ton cul adorable, tes longues jambes, tes grimaces, ta voix, ta douceur, tes silences, ton... ta... tes...

— Mon organisme ?

— Ouais...

— Je suis pas belle mais mon organisme est vivant. Super, la déclaration... On me l'avait jamais faite celle-ci...

— Joue pas avec les mots, se rembrunit-il, c'est trop facile pour toi... Euh...

— Quoi ?

— J'ai encore plus faim qu'avant... Il faut vraiment que j'aille manger quelque chose, là...

— Bon eh ben, salut... Au plaisir, comme on dit.

Il paniqua :

— Tu... tu veux pas que je te ramène un truc?

— Qu'est-ce que tu me proposes ? fit-elle en s'étirant.

— Ce que tu veux...

Puis, après un temps de réflexion :

— ... Rien... Tout...

— OK. Je prends.

Il était adossé contre le mur, son plateau sur les genoux. Il déboucha une bouteille et lui tendit un verre. Elle posa son carnet.

Ils trinquèrent.

- À l'avenir...

- Non. Surtout pas. À maintenant, le corrigea-t-elle.

Aïe.

— L'avenir euh... Tu... tu le...

Elle le regarda droit dans les yeux :

— Rassure-moi, Franck, on va pas tomber amoureux quand même ?

Il fit semblant de s'étrangler.

— Am, orrgl, argh... T'es folle ou quoi ? Bien sûr que non !

— Ah ! Tu m'as fait peur... On a déjà fait tellement de bêtises tous les deux...

— Ouais, tu l'as dit. Note bien, on en est plus à une près maintenant...

— Si. Moi, si.

— Ah?

— Oui. Baisons, trinquons, allons nous promener, donnons-nous la main, attrape-moi par le cou et laisse-moi te courir si tu veux mais... Ne tombons pas amoureux... S'il te plaît...

— Très bien. Je le note.

— Tu me dessines ?

— Oui.

—Tu me dessines comment ?

- Comme je te vois...

- Je suis bien ?

- Tu me plais.

Il sauça son assiette, posa son verre et se résigna à revenir régler quelques tracasseries administratives...

Ils prirent leur temps cette fois et quand ils eurent roulé chacun de leur côté, rassasiés et au bord du gouffre, Franck s'adressa au plafond :

- D'accord Camille, je ne t'aimerai jamais.

- Merci Franck. Moi non plus.

CINQUIÈME PARTIE

1

Rien ne changea, tout changea. Franck perdit l'appétit et Camille reprit des couleurs. Paris devint plus beau, plus lumineux, plus gai. Les gens étaient plus souriants et le bitume plus élastique. Tout semblait à portée de main, les contours du monde étaient plus précis et le monde plus léger.

Microclimat sur le Champ-de-Mars ? Réchauffement de leur planète ? Fin provisoire de l'apesanteur ? Plus rien n'avait de sens et plus rien n'avait d'importance.

Ils naviguaient du lit de l'un au matelas de l'autre, s'allongeaient sur des œufs et se disaient des choses tendres en se caressant le dos. Aucun des deux ne voulant se mettre à nu devant l'autre, ils étaient un peu gauches, un peu bêtas et se sentaient obligés de tirer les draps sur leurs pudeurs avant de sombrer dans la débauche.

Nouvel apprentissage ou premier crayonné ? Ils étaient attentifs et s'appliquaient en silence.

Pikou tomba la veste et madame Perreira ressortit ses pots de fleurs. Pour les perruches, c'était encore un peu tôt.

- Hep, hep, hep, fit-elle un matin, j'ai quelque chose pour vous...

La lettre avait été postée dans les Côtes-d'Armor.

10 septembre 1889. Ouvrez les guillemets. Ce que j'avais dans la gorge tend à disparaître, je mange encore avec quelque difficulté, mais enfin ça a repris. Fermez les guillemets. Merci.

En retournant la carte, Camille découvrit le visage fébrile de Van Gogh.

Elle le glissa dans son carnet.

Le Monop' en avait pris un coup dans l'aile. Grâce aux trois livres que Philibert leur avait offerts, Paris secret et insolite, Paris 300 façades pour les curieux et Le Guide des salons de thé à Paris, roulez jeunesse, Camille leva les yeux et ne dit plus de mal de son quartier où l'Art Nouveau tenait comptoir à ciel ouvert.

Désormais, elles crapahutaient des Isbas russes du boulevard Beauséjour à la Mouzaïa des Buttes-Chaumont en passant par l'Hôtel du Nord et le cimetière Saint-Vincent où elles pique-niquèrent ce jour-là avec Maurice Utrillo et Eugène Boudin sur la tombe de Marcel Aymé.

Quant à Théophile Alexandre Steinlen, merveilleux peintre des chats et des misères humaines, il repose sous un arbre, dans le coin sud-est du cimetière.

Camille reposa le guide sur ses— genoux et répéta :

Merveilleux peintre des chats et des misères humaines, il repose sous un arbre, dans le coin sud-est du cimetière... Jolie notice, non ?

— Pourquoi tu m'emmènes toujours chez les morts ?

— Pardon ?

— ...

— Où est-ce que vous voulez aller, ma petite Paulette ? En boîte de nuit ?

— ...

— Youhou ! Paulette ?

— Rentrons. Je suis fatiguée.

Et cette fois encore, elles échouèrent dans un taxi nui tirait la gueule à cause du fauteuil.

Un vrai détecteur à connards ce truc-là...

Elle était fatiguée.

De plus en plus fatiguée et de plus en plus lourde.

Camille ne voulait pas l'admettre mais elle était sans arrêt en train de la retenir et de se battre avec elle pour l'habiller, la nourrir et l'obliger à tenir une conversation. Même pas une conversation d'ailleurs, une réponse. La vieille dame têtue ne voulait pas voir de médecin et la jeune femme tolérante n'essaya pas d'aller contre sa volonté, d'abord ce n'était pas dans ses habitudes et puis c'était à Franck de la convaincre. Mais quand elles allaient à la bibliothèque, elle se plongeait dans des magazines ou des livres médicaux et lisait des trucs déprimants sur la dégénérescence du cervelet et autres folichonneries alzheimeriennes. Ensuite elle rangeait ces boîtes de Pandore en soupirant et prenait de mauvaises bonnes résolutions : si elle ne voulait pas se faire soigner, si elle ne voulait pas s'intéresser au monde d'aujourd'hui, si elle ne voulait pas finir son assiette et si elle préférait enfiler son manteau par-dessus sa robe de chambre pour aller se promener, c'était son droit après tout. Son droit le plus légitime. Elle n'allait pas l'emmerder avec ça et ceux que ça chiffonnait n'avaient qu'à la faire parler de son passé, de sa maman, de soirs de vendanges, du jour où monsieur l'abbé avait failli se noyer dans la Louère parce qu'il avait jeté l'épervier un peu vite et que le machin s'était accroche à l'un des boutons de sa soutane ou encore de son jardin pour retrouver l'étincelle dans ses yeux deenus presque opaques. En tout cas elle, Camille, n'avait rien trouvé de mieux...