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— De quoi ?

— Les sentiments.

— De quand date ton dernier autoportrait ?

— Pourquoi tu me demandes ça ?

— De quand ?

— Longtemps...

— C'est bien ce que je pensais...

— Ça n'a rien à voir.

— Non bien sûr...

— Camille ?

— Mmm...

— Le 1er octobre 2004 à huit heures du matin...

— Oui?

Il lui tendit la lettre de Maître Buzot, notaire à Paris.

Camille la lut, la lui rendit et s'allongea dans l'herbe à ses pieds.

— Pardon ?

— C'était trop beau pour durer...

— Je suis désolé...

— Arrête.

— Suzy regarde les annonces dans notre quartier... C'est bien aussi, tu sais ? C'est... c'est pittoresque comme dirait mon père...

— Arrête. Et Franck, il est au courant ?

— Pas encore.

Il s'annonça pour la semaine suivante.

— Je te manque trop ? lui susurra Camille au téléphone.

— Nan. J'ai des trucs à faire sur ma moto... Philibert t'a montré la lettre ?

— Oui.

- ...

— Tu penses à Paulette ?

— Oui.

— Moi aussi.

— On a joué au yo-yo avec elle... On aurait mieux fait de la laisser là où elle était...

— Tu le penses vraiment ? ajouta Camille.

— Non.

13

La semaine passa.

Camille se lava les mains et retourna dans le jardin rejoindre Paulette qui prenait le soleil dans son fauteuil.

Elle avait préparé une quiche... Enfin une espèce de tarte avec des bouts de lardons dedans... Enfin, un truc à manger, quoi...

Une vraie petite femme soumise attendant son homme...

Elle était déjà à genoux en train de gratter la terre quand sa vieille compagne murmura dans son dos :

— Je l'ai tué.

— Pardon ?

Misère.

Elle débloquait de plus en plus ces derniers temps...

— Maurice... Mon mari... Je l'ai tué.

Camille se redressa sans se retourner.

— J'étais dans la cuisine en train de chercher mon porte-monnaie pour aller au pain et je... Je l'ai vu tomber... Il était très malade du cœur, tu sais... Il râlait, il soupirait, son visage était... Je... J'ai mis mon gilet et je suis partie.

« J'ai pris tout mon temps... Je me suis arrêtée devant chaque maison...Et le petit, comment ça va ? Et vos rhumatismes, ça s'arrange ? Et cet orage qui se prépare, vous avez vu ? Moi qui ne suis pas très causante, j'étais bien aimable ce matin-là... Et le pire de tout c'est que j'ai joué une grille de Loto... Tu te rends compte ? Comme si c'était mon jour de chance... Bon et puis je... Je suis rentrée quand même et il était mort.

Silence.

— J'ai jeté mon billet parce que je n'aurais jamais eu le toupet de vérifier les numéros gagnants et j'ai appelé les pompiers... Ou le Samu... Je ne sais plus... Et c'était trop tard. Et je le savais...

Silence.

— Tu ne dis rien ?

— Non.

— Pourquoi tu ne dis rien ?

— Parce que je pense que c'était son heure.

— Tu crois ? la supplia-t-elle.

— J'en suis sûre. Une crise cardiaque, c'est une crise cardiaque. Vous m'avez dit un jour qu'il avait eu quinze ans de sursis. Eh ben voilà, il les avait eus.

Et pour lui prouver sa bonne foi, elle se remit à travailler comme si de rien n'était.

— Camille ?

— Oui.

— Merci.

Quand elle se releva une bonne demi-heure plus tard, l'autre dormait en souriant.

Elle alla lui chercher une couverture.

Ensuite elle se roula une cigarette.

Ensuite elle se nettoya les ongles avec une allumette.

Ensuite elle alla vérifier sa « quiche ».

Ensuite elle coupa trois petites salades et quelques brins de ciboulette.

Ensuite elle les lava.

Ensuite elle se servit un verre de blanc.

Ensuite elle prit une douche.

Ensuite elle retourna dans le jardin en enfilant un pull.

Elle posa une main sur son épaule :

— Hé... Vous allez prendre froid ma Paulette...

Elle la secoua doucement :

— Ma Paulette ?

Jamais un dessin ne lui demanda autant de mal.

Elle n'en fit qu'un.

Et peut-être était-ce le plus beau...

14

Il était plus d'une heure quand Franck réveilla tout le village.

Camille était dans la cuisine.

— Encore en train de picoler ?

Il posa son blouson sur une chaise et attrapa un verre dans le placard au-dessus de sa tête.

— Bouge pas.

Il s'assit en face d'elle :

— Elle est déjà couchée, ma mémé?

— Elle est dans le jardin...

— Dans le jar...

Et quand Camille leva son visage, il se mit à gémir.

— Oh non, putain... Oh non...

15

— Et pour la musique ? Vous avez une préférence ?

Franck se retourna vers Camille.

Elle pleurait.

— Tu vas nous trouver quelque chose de joli, toi, hein ?

Elle secoua la tête.

— Et pour l'urne ? Vous... Vous avez regardé les tarifs ?

16

Camille n'eut pas le courage de retourner à la ville pour trouver un CD correct. En plus elle n'était pas sûre de le trouver... Et puis elle n'avait pas le courage.

Elle sortit la cassette qui était encore dans l'autoradio et la tendit au monsieur du crématorium.

— Il n'y a rien à faire ?

— Non.

Parce que c'était vraiment son chouchou, celui-là... La preuve, il avait même chanté une chanson rien que pour elle, alors...

Camille la lui avait compilée pour la remercier du pull abominable qu'elle lui avait tricoté cet hiver et elles l'avaient encore écoutée religieusement l'autre jour en revenant des jardins de Villandry.

Elle l'avait regardée sourire dans le rétroviseur...

Quand il chantait ce grand jeune homme, elle avait vingt ans, elle aussi.

Elle l'avait vu en 1952 du temps où il y avait un music-hall près des cinémas.

— Ah... Il était si beau... soupirait-elle, si beau...

On confia donc à Monseigneur Montand le soin de se charger de l'oraison funèbre.

Et du Requiem...

Quand on partait de bon matin,

quand on partait sur les chemins,

À bicy-clèèè-teu,

Nous étions quelques bons copains,

Y avait Fernand, y avait Firmin, y avait Francis et Sébastien,

Et puis Pau-lèèè-teu...

On était tous amoureux d'elle,

on se sentait pousser des ailes,

À bicy-clèèè-teu...

Et Philou qui n'était même pas là...

Parti dans ses châteaux en Espagne...

Franck se tenait très droit, les mains derrière le dos.

Camille pleurait.

La, la, la... Mine de rien,

La voilà qui revient, La chanso-nnet-teu...

Elle avait disparu,

Le pavé de ma rue,

Était tout bê-teu...

Les titis, les marquis

C'est parti mon kiki...

Elle souriait... les titis, les marquis... Mais c'est nous, ça...

La, la, la, haut les cœurs

Avec moi tous en chœur...

La chanso-nnet-teu...

Madame Carminot tripotait son chapelet en reniflant.

Combien étaient-ils dans cette fausse chapelle en faux marbre ?

Une dizaine peut-être ?

À part les Anglais, que des vieux...

Surtout des vieilles.

Surtout des vieilles qui hochaient la tête tristement.

Camille s'effondra sur l'épaule de Franck qui continuait de se triturer les phalanges.

Trois petites notes de musique,

Ont plié boutique,

Au creux du souvenir...

C'en est fini d'leur tapage,

Elles tournent la page,

Et vont s'endormir...

Le monsieur moustachu fit un signe à Franck.