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Je relève les yeux et je m’aperçois que Léa nous écoute en souriant.

— Vous êtes aussi fous l’un que l’autre, commente-t-elle.

Tibor rougit et j’éclate de rire.

Le repas est passé trop vite. À peine le temps de savourer ce bonheur que l’heure est déjà venue de retourner en cours. On va avoir du mal, surtout qu’on a deux heures de SVT. Avant de partir, Tibor demande un sac pour récupérer les restes laissés dans les assiettes.

— Ce sera pour mes chiens, confie-t-il.

Sur le trottoir, je remercie Axel et je rejoins Léa. Pendant le court trajet jusqu’au lycée, nous marchons toutes les deux. Elle semble épuisée. Je lui prends le bras.

— Comment te sens-tu ?

— Il me faudrait des piles neuves.

— À un moment, j’ai cru que tu allais profiter du dèj pour leur annoncer.

— J’y ai songé, mais j’aurais gâché l’ambiance et je n’ai pas voulu.

— Quand comptes-tu leur en parler ?

— Après les vacances. De toute façon, au train où vont les choses, ils ne tarderont pas à se rendre compte que je ne vais pas bien.

Je ne réponds pas.

— Camille ?

— Oui.

— Tu sais, rien ne t’oblige à partir avec nous pendant les vacances. Je comprendrais. Tu as sûrement mieux à faire que de tenir compagnie à une petite vieille qui ne peut même plus courir.

— Des fois, tu es vraiment trop bête.

29

Léo est étendu sur la moquette du salon. Je ne l’avais jamais vu couché. Allongé ainsi, il semble encore plus grand. Ça fait drôle.

— Décale un peu ta jambe, s’il te plaît.

Il s’exécute.

— Comme ça ?

— C’est mieux, mais il faut vraiment que tu aies l’air d’avoir été frappé en pleine course.

Il se retourne sur le ventre, étend un bras et se positionne en s’étirant comme s’il était tombé foudroyé dans son élan. On voit sa peau juste au-dessus de son jean et deux impressionnants muscles dorsaux. Marie avait donc raison. La craie à la main, je me penche auprès de lui et je commence à dessiner le contour de son corps sur le sol. Je longe son bras, son cou. Je fais le tour de sa tête. Je dois être rouge comme une tomate. Il ricane :

— Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire…

— Ne bouge pas ou ton empreinte ressemblera à celle d’un danseur de samba.

Je continue à tracer : son épaule, son torse, son bassin, sa jambe, je remonte, son autre jambe. J’ai presque fini le tour complet lorsque Manon fait irruption.

— Dépêchez-vous ! S’ils nous surprennent, ce sera foutu.

— Tu as mis les bandes de travaux autour de la clôture ?

— C’est installé, mais je suis pas trop fan. Sérieux, rouge et blanc, ça fait plus travaux de voirie que scène de crime.

— Désolée, mais c’est tout ce que j’ai réussi à piquer sur le chantier de la gare.

Léo se relève.

— On a le temps de faire une autre empreinte de corps dans l’escalier. Il faut aussi marquer les murs avec des cercles de craie, comme si la police scientifique avait relevé des indices.

— Magnez-vous ! Ils peuvent débarquer d’une minute à l’autre.

— Relax, Manon, on assure.

C’est encore plus acrobatique dans l’escalier. J’enjambe Léo étalé sur les dernières marches et je trace au sol.

En surveillant la rue à travers les rideaux, Manon s’inquiète encore :

— Vous êtes certains que la craie va bien s’effacer avec l’aspirateur ?

Léo plaisante :

— Aucun doute. Par contre, dans l’esprit de tes visiteurs, ça ne s’effacera jamais !

Une fois encore, je parcours ses jambes et j’en rougis. Je lui glisse :

— La dernière fois qu’on s’est retrouvés tous les deux dans un plan de ce genre, tu m’as dit qu’il fallait que j’imagine que c’était une mission qui pouvait sauver le monde. Et cette fois-ci ?

— C’est un plan foireux qui peut sauver une copine.

Ce coup-ci, c’est moi qui lui ai touché les fesses.

— Ils arrivent ! nous alerte Manon. La voiture de l’agence se gare. Celle des acheteurs est juste derrière. La vache, vous verriez la caisse, ils doivent avoir les moyens de s’offrir notre maison ! Je n’aime pas ça. Allez ! On monte se cacher. Grouillez-vous !

Manon nous entraîne devant le placard du dressing de ses parents. Elle ouvre les portes, survoltée, écarte les cintres des robes et des costumes et nous fait signe d’entrer. Je fais remarquer :

— On ne tient pas à trois là-dedans.

— Il va bien falloir, il n’y a pas plus grand dans la maison.

— Et s’ils montent et qu’ils ouvrent ?

Léo s’amuse déjà de la situation.

— Ils auront la trouille de leur vie !

On entend la clé dans la serrure de la porte d’entrée. On s’engouffre et je me retrouve coincée entre Léo et Manon. Des voix étouffées nous parviennent d’en bas. Il est question de « beaux volumes », « d’habitat de caractère dans lequel il n’y a pas de gros travaux à prévoir ». « Il faut simplement revoir la déco parce que pour le moment, elle est ratée, mais il est facile d’imaginer ce que cette maison peut donner avec du goût. » Sympa, la nana de l’agence. Un homme lui répond. Il demande pourquoi il y a un corps dessiné sur le sol du salon. Une femme pousse un petit cri. Est-ce celle de l’agence ou la visiteuse ?

Manon soupire.

— S’ils restent plus de dix minutes, ils nous retrouveront étouffés dans ce placard.

J’ose un commentaire :

— On sera peut-être asphyxiés avant parce que ce n’est pas pour dire, mais le parfum de ta mère mélangé à l’eau de toilette de ton père…

— Je sais, je suis désolée.

Je suis littéralement plaquée contre Léo. Pour essayer de gagner de la place, il a étiré ses bras le long du mur et de la porte. Il n’aurait qu’à les refermer sur moi pour m’enlacer. Cela m’est déjà arrivé une fois, mais le garçon avait d’autres idées et ça s’était mal fini. Est-ce que Léo est aussi gêné que moi ? Est-ce qu’un espion international est tellement concentré sur sa mission qu’il ne pense pas à ces choses-là même en pareille posture ? On aurait besoin d’un conseiller bac + 4. En fait, je suis plutôt bien entre ses bras.

À présent, les voix sont dans l’escalier. Je murmure :

— S’ils viennent jusqu’ici, je…

Léo me pose un doigt sur les lèvres pour me faire taire. La voix de la femme s’exclame :

— Regarde, il y a un autre corps sur les marches ! Oh mon Dieu !

— Savez-vous pourquoi cette maison est à vendre ? demande l’homme.

La commerciale bafouille :

— Une séparation, je crois, mais je n’en suis pas certaine. Un problème dans la famille en tout cas.

— Sûrement un crime passionnel, commente l’homme. Regardez, il y a même des traces sur les murs !

— Paul, je ne me sens pas bien. Je refuse de rester une minute de plus ici !

Le ton monte entre les visiteurs, puis les pas et les voix s’éloignent. Manon triomphe à voix basse :

— Yesss ! C’est ça, barre-toi ! Ici c’est chez nous.

Je sens le souffle de Léo dans mon cou.

— Ça va ? me demande-t-il. Je ne t’écrase pas trop ?

Nos visages sont tout proches. Il m’arrive quelque chose d’épouvantable. Lorsque je pense que c’est Léo qui est contre moi, je suis toute gênée, mais de temps en temps, mon esprit imagine que c’est Axel et alors je suis à deux doigts de tourner de l’œil.

La porte d’entrée vient de claquer. Manon nous libère du placard et se précipite pour vérifier que le trio quitte bien son jardin.