Aujourd’hui, il y a un million de personnes à nourrir. Aucune des associations n’est prête à le faire, surtout pas sous cette sensibilité qui consisterait à agrandir la salle pour en recevoir plus. Parce que non seulement ça, ça coûterait du pognon, énorme, mais en plus, pour le coup, ce que disait la dame tout à l’heure se vérifierait : les gens qui vivent encore en famille, qui ont encore un loyer à payer, de l’électricité, du gaz, et qui n’ont plus de travail, n’emmèneraient pas leurs enfants manger avec des clochards. Tandis que venir chercher des paniers, ils le font.
Donc, je veux que les associations qui vont se fédérer avec moi prennent en considération cette avance qu’on a sur eux, aussi bien pour la qualité que pour le prix et la quantité.
QUESTION : Coluche, des lois importantes de la République française sont sorties de cette maison. Nous avons l’habitude d’être récupérés, mais nous continuons à être présents. Est-il trop tôt pour vous demander quel est votre prochain combat ?
COLUCHE : Mon intérêt c’est pas d’en parler maintenant, parce que je dois faire l’essai au moment où ils seront dans leurs élections. Si ça doit sortir d’ici, je ne peux pas vous en parler. C’est une idée sur le chômage qui, si vous voulez, va mettre le doigt dans un autre engrenage.
La question que posait le monsieur d’avant, c’était un peu ça : pourquoi finalement les autres associations n’auraient pas les mêmes droits.
On a mis aujourd’hui le doigt dans un engrenage pour la bouffe, parce que c’est facile à faire comprendre aux gens. Libre aux associations comme le Cancer, n’importe quoi, de trouver le tremplin pour participer. Ils ont effectivement mis le doigt dans l’engrenage, et je pense que c’est un des intérêts de l’affaire.
Le prochain doigt que je leur ferai mettre dans l’engrenage, c’est en fait contre le syndicalisme. Parce qu’en fait, il y a plein de choses qui sont empêchées d’être faites par des lois gouvernementales, et d’autres par des lois syndicales… Krasuk, il est en perte de vitesse de toute façon. Si on le compte à la proportionnelle, il faut qu’il ferme sa gueule.
QUESTION : Coluche, deux questions. Une qui rejoint celle qu’on vient d’entendre, mais peut-être d’une autre façon : on parlait tout à l’heure de précarité de votre pouvoir, et on parlait de votre action « chômage » que vous étiez prêt à mener avant 1988, si c’est précaire, pourquoi ne pas mettre ça en action tout de suite ? Ça, c’est la première question.
COLUCHE : Faire deux choses à la fois, c’est pas bien. Dans notre métier, on a un truc qui est sûr, c’est que les effets s’annulent. Donc quand on en fait un, il faut pas chercher à en faire deux. Il y a une modestie à notre profession qui est intérieure, si vous voulez, si on veut cumuler deux effets qu’on a trouvés, ça marche pas.
QUESTION : Est-ce que vous pensez que, dans le cas du pouvoir qui nous préoccupe depuis tout à l’heure, certains artistes font de l’abus de ce dit pouvoir ?
COLUCHE : Oui, probablement. Tout le monde est autorisé à faire ce qu’il veut, de toute façon. Moi j’ai déjà entendu des artistes dire que finalement les artistes étaient très importants, comme si eux en étaient… Mais le public se laisse pas prendre.
QUESTION : Michel, je me permets de t’appeler fraternellement ainsi, je te remercie parce que tu as des propos extrêmement percutants. Mais je voudrais te poser deux questions, en me servant d’un proverbe de Mao, qui dit ceci : quand votre voisin de palier se présente à votre porte, pour vous demander un morceau de poisson, vous lui en donnez. Le lendemain, s’il se présente, est-ce qu’il ne serait pas possible de le prendre par la main pour aller lui apprendre à pêcher le poisson ?
COLUCHE : Je peux répondre déjà à celle-là ? Mao Tsé-toung, il a un gros inconvénient sur moi, c’est qu’il est mort. J’ai du respect pour certaines choses et quand il a dit ça, c’était sûrement vrai. Mais aujourd’hui, on donne pas du poisson à quelqu’un qui sait pas pêcher, on donne du poisson à quelqu’un qui sait pêcher, mais qui n’a pas de lieu de pêche. Ce qui est tout à fait différent.
Parce que quand j’ai dit qu’il s’agit pas de charité, mais de redistribution, il s’agit d’excédents de production alimentaire européens, qui sont bloqués pour des raisons économiques et capitalistes, puisqu’on est dans un système capitaliste, sur ce plan-là du moins. Ils sont bloqués de manière à ne pas être écoulés à des cours inférieurs au marché, parce qu’il y en a des quantités excédentaires. Donc cet excédent, il appartient à la société, même si vous êtes pas agriculteur, il vous appartient à vous tous. Et c’est normal que ceux à qui la société n’a pas trouvé un travail, le bouffent C’est un minimum. Il s’agit bien de redistribution, et pas de charité. Mao Tsé-toung, il avait sûrement raison à son époque, mais aujourd’hui, ça n’a rien à voir.
QUESTION : Je voulais dire, en tant qu’originaire d’un pays dit en voie de développement, crois-tu qu’en donnant à manger aux chômeurs, ça va les inciter vraiment à travailler ?
COLUCHE : Ça, c’est une bonne question aussi. Le parti socialiste par exemple a dans son projet le minimum social. Alors je peux te dire que le minimum social, c’est-à-dire donner un minimum d’argent à tous ceux qui travaillent pas, c’est vraiment ouvrir la porte à l’Italie. Moi, je suis ravi, mais je trouve ça d’une connerie politicienne extraordinaire. Les politiciens à mes yeux ont un défaut majeur, c’est que, dans les écoles où ils vont, ils apprennent tout, mais ils savent rien d’autre. Et c’est très grave. Parce que le minimum social, les mecs vont évidemment continuer à travailler un peu au noir, la femme va divorcer et continuer à toucher ses allocations sur les enfants, ils vont se démerder et ils vont avoir ça en plus.
Tandis que le minimum pour la nourriture… Bon, s’il y avait une distribution meilleure, ça se passerait pas comme aujourd’hui : il faut faire une heure la queue dans le froid pour avoir ce repas, qui est de très bonne qualité, je vous l’accorde, mais qui dans l’ensemble justifie pas qu’on aille se geler les pieds une heure si on a de quoi s’acheter un repas. Si on a de quoi s’acheter à bouffer, on va pas faire ça tous les jours.
D’autre part, on ne peut pas fonder une idée… une distribution généreuse, en fait… sur une suspicion de fraude. On ne peut pas dire : il va y avoir des gens qui en abusent, donc je le fais pas. Ce serait une bien plus grande connerie que de le faire. Même si tout le monde en abuse.
Je veux dire qu’il y a des défauts à tous les trucs, je dis pas que c’est parfait, loin de là. Je dis même pas que c’est moi qui ai eu l’idée ! Mais en tout cas, c’est sûr que dans son efficacité, c’est imbattable… Je sais pas si ça répond bien à la question…
QUESTION : Coluche, voici une dizaine d’années que nous vous connaissons, ou plutôt que nous vous suivons. Nous avons pu constater l’immense succès que vous avez remporté dans votre métier, au point de vue impact populaire. Sur le chemin de la montagne de la vie, monsieur, vous n’êtes pas encore arrivé en haut, je pense que vous avez encore beaucoup de chemin, et je vous le souhaite, mais tout simplement je voudrais savoir si vous pensez avoir rempli votre vie d’homme, c’est-à-dire vis-à-vis des vôtres, vis-à-vis de votre famille, et même des idées que vous vous faisiez de la vie ?