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COLUCHE : Non, sur ce plan-là, j’ai tout faux. Parce qu’on peut pas jouer sa vie, comme on le fait dans nos métiers ; à son travail, et avoir une idée de famille. Ça déjà, moi j’y crois pas. Enfin, j’ai essayé, et je l’ai raté. J’ai divorcé, ma femme en avait marre, c’était invivable.

Par contre, sur le plan de ma vie d’homme, j’ai jamais eu la prétention d’arriver là où je suis, donc là j’ai vraiment de l’avance, pour le coup.

Euh… pour ce qui me reste à faire, je m’engage à faire pour le mieux, mais je peux rien vous promettre, parce qu’on fait un métier où y a pas d’exemple de gens qui aient été connus toute leur vie. Il y a très peu de gens dans notre profession qui meurent célèbres. Si j’avais fait la liste par avance, parce que je me rappelle pas non plus du nombre de vedettes que vous avez dû connaître et qui sont absolument inconnues, vous seriez sidérés.

QUESTION : Coluche, je crois qu’on peut dire que le premier média n’est ni la radio ni la presse, c’est la télévision. Vous avez d’ailleurs fait un tabac récemment sur TF1, je crois qu’on peut le dire. Ma question est la suivante : aujourd’hui, il y a une multiplication de chaînes dites privées, qui s’opposent dans leur conception aux chaînes contrôlées par l’État, Est-ce que d’abord c’est une chose qui vous paraît souhaitable d’une part, et d’autre part, d’après vous, dans votre action, dans votre engagement comme disait l’un de mes confrères, est-ce que ces chaînes privées vous paraissent plus à même de véhiculer votre message ?

COLUCHE : Écoutez, je suis un peu emmerdé parce que vous me demandez mon avis là où je n’en ai pas. J’ai un avis professionnel sur les chaînes privées parce que ça touche ma profession, mais est-ce que c’est bien, est-ce que c’est mal, franchement, j’ai pas d’avis. Je crois plutôt que c’est une évolution irréversible.

Quand Mitterrand m’a demandé mon avis là-dessus (parce qu’il doit le faire avec plein de gens comme ça dans des déjeuners), qu’est-ce que vous en pensez, vous qui êtes du métier, est-ce qu’il faut faire des télévisions ou pas ? Quand il m’a parlé de ça il y a un an et demi, je lui ai dit oui, moi je pense qu’il faut laisser faire, parce qu’on va quand même pas vivre toute notre vie à la frontière de la Pologne pour ce qui est de la télévision. On est pratiquement le seul pays d’Europe à avoir trois chaînes, il faut quand même s’aligner. Il faut donner une chance à nos enfants de voir des télévisions européennes, de voir autre chose que Joseph Poli le soir. Oui, je crois qu’il faut laisser se développer, mais c’est pas dans le sens du bien et du mal, c’est dans le sens de la profession.

Est-ce que c’est plus apte à véhiculer le truc ? Peut-être… oui. De toute manière, en politique comme en médias, avec la multiplication des médias, il faudra de plus en plus compter sur les hommes. C’est-à-dire que, quel que soit le média dans l’avenir, quelles que soient la Cinq, la Quatre, la Six ou la Deux, quand on se réunira pour faire un événement médiatique, on le fera. Je crois davantage aux hommes qu’aux moyens.

QUESTION : Coluche vous avez avec talent dénoncé l’incohérence du monde fou dans lequel on vit, et vous le faites depuis longtemps, depuis le Café de la Gare, on s’en amusait follement… Maintenant, ça devient plus sérieux, parce que vous avez quand même un public un peu plus large, bravo…

Parfois on est affolé par la télé. Il y a pas encore longtemps, on a vu des tonnes de pommes de terre en Bretagne, des tracteurs qui passaient dessus, de temps en temps dans le Midi on fout les pommes aussi en l’air… Finalement, la France est un pays très riche, où on détruit la nourriture. Quel gâchis ! Et encore nous, on est un peu rodés. Mais faut se mettre à la place des pays du tiers-monde, quand ils voient ce travail, en se disant les Français, les Européens sont devenus fous…

Alors la question que je voulais vous poser est la suivante : quelle est la réaction des grands groupes alimentaires ? Est-ce que vous les avez contactés, je pense à des groupes comme Nestlé, à tous ces groupes qui détruisent pratiquement la surabondance…

Également est-ce que vous avez des contacts avec la F.N.S.E.A., la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, parce que ceux-là commencent aussi à pousser un peu j’ai l’impression, et sont à l’origine des destructions, en Bretagne, en Normandie, ça joue aussi dans le Midi…

Compte tenu de l’impact que vous avez, du travail que vous faites, est-ce que vous avez pris contact avec eux, quelle est la nature de ces contacts, et est-ce qu’on pourra peut-être arrêter un peu le gâchis ?

COLUCHE : Alors, il faut que je vous dise, pour ce qui est du spectaculaire vu à la télévision, les tonnes de pommes de terre déversées sur la route, c’est rien. Ça n’existe pas. C’est des quantités négligeables, et c’est simplement spectaculaire. Si on récupérait les pommes de terre au lieu de les jeter sur la route, on n’en aurait pas assez. Donc, c’est pas un problème.

Par contre en Europe, il y a 5 500 000 tonnes de pommes de terre en excédent cette année, et les Restaurants du Cœur de France, aujourd’hui, en achètent 50 tonnes par semaine.

Ça veut dire que, l’Europe, s’ils donnaient tout, il leur en resterait encore énormément. Alors, c’est là qu’il faut viser. Plutôt que d’aller demander à la F.N.S.E.A. s’ils peuvent nous réunir des agriculteurs qui en ont trop…

Parce que les agriculteurs qui en ont trop ne peuvent pas nous les donner. La F.N.S.E.A., c’est des gens charmants, avec qui on a de très bons rapports, mais elle ne nous sert à rien, parce que le producteur qui a un excédent le vend à l’État pour un prix cassé déjà, qui le dédommage du fait que sa production n’entre pas sur le marché au prix fort. Donc, l’État paie cette première somme.

Puis la Communauté européenne doit stocker un certain nombre de mois, trois mois pour la viande, vingt-quatre mois pour le beurre, les œufs et le lait, des produits qui lui coûtent énormément en stockage. C’est le stockage le plus cher.

Pour vous donner un exemple, nous on a acheté nos dernières 50 tonnes de la semaine (on les achète par 50 tonnes, parce qu’on a peu d’entrepôts qui nous sont prêtés), dans le Var, puisque c’est là qu’elles étaient stockées. Il y en avait 250 000 tonnes qui ont gelé. Et les 50 tonnes qu’on a achetées, on les a encore. C’est sur des quantités énormes que ça se joue.

Il y a autre chose. Là où on tape, c’est-à-dire dans les excédents de la Communauté, au-delà des délais de conservation obligatoires, c’est normalement revendu hors de la Communauté. Ça n’a pas le droit d’être vendu dedans. Ce qui veut dire que c’est revendu en priorité je crois à l’Algérie, après ça à l’U.R.S.S., et après ça à l’Afrique.

Or, quand on vend de la nourriture à des gouvernements, ils s’en servent pour nourrir l’armée. Alors moi, je suis pas plus antimilitariste qu’un autre, mais pas moins, et j’ai rien contre l’Afrique. Mais enfin… nourrir les militaires, je m’en fous, il faut bien le dire, surtout si on n’a pas mangé avant, parce que quand même ça nous appartient…

Alors effectivement, il y a un rapport intéressant à faire entre le fait qu’on sensibilise le public sur le gâchis, mais ça ne représente pas des quantités intéressantes.

Pourtant, il faut quand même savoir qu’aujourd’hui, grâce à la F.N.S.E A., on a le blé… on a grâce à l’État le blé à un prix préférentiel, et que pour toutes les quantités données aux minoteries de France, ils nous le transforment en farine gratuitement. On a aussi pas mal de boulangers industriels qui nous rendent du pain à la place de la farine, pour le même poids aussi. Ce qui est un beau truc.