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Donc, vous dites que c’est un métier difficile, c’est difficile pour ceux qui arrivent pas, c’est facile pour ceux qui arrivent. Moi j’ai jamais trouvé que c’était un métier difficile. J’ai entendu dire toute ma vie qu’il fallait tous les soirs conquérir le public. Moi j’ai vu des gens qui avaient payé leur place, qui s’entassaient là, ils étaient conquit d’avance, ils étaient ravis d’être là, j’étais ravi qu’ils soient là, j’ai jamais eu de problème de lutte.

QUESTION : Je parlais… on vieillit. Il y a des anciens artistes, je parlais de ceux-là, bien sûr, je parle pas de la nouvelle génération…

COLUCHE : Oui, mais ça c’est un problème de société en général, c’est qu’est-ce qu’on fait de nos vieux, qu’est-ce qu’on fait de nos infirmes, qu’est-ce qu’on fait de nos pauvres ? Et qu’est-ce qu’on fait des pauvres du monde même, parce que de plus en plus les jeunes générations nous poussent au cul… On n’est plus des citoyens français, on est des citoyens du monde, de plus en plus… S’il y avait un peu de poussière à enlever partout, ce serait celle-là. On est de plus en plus des citoyens du monde.

Alors dans l’ensemble, c’est un problème qui se pose à la profession en général, et à toutes les professions.

Je pensais que vous vouliez dire : qu’est-ce qu’on fait des 92 % de chômeurs dans notre profession ? On ne peut pas les aider. C’est le public qui décide de savoir… Moi j’ai débuté en même temps que cinq autres comiques, dont au moins trois sont totalement inconnus, et pourquoi le public m’a choisi moi… je veux pas faire la gueule, mais franchement j’en sais rien…

Alors vous savez comment c’est notre métier, quand on fait un bide tout le monde sait pourquoi, quand on fait un succès personne sait pourquoi. Voilà. Quand on fait un bide, tout le monde dit : mais c’est normal, ils ont pris l’autre con, regarde-moi cette affiche, et le nom du film, et le costume de l’acteur, et ça va pas, et tout ça, tout le monde sait pourquoi.

Mais quand on fait un succès, ils disent : c’est extraordinaire, on comprend rien. Ça les arrange, de pas comprendre, aussi.

Non, c’est un métier où on ne peut pas aider les gens et même, je vais vous dire, par rapport à l’honnêteté humaine, je considère pas que c’est une profession où il faut essayer de les aider… enfin, je veux dire de les aider contre leur talent… Si vous reconnaissez du talent à quelqu’un, évidemment vous l’aidez. Bon, ça évidemment, je l’exclus d’autorité. Mais je veux dire que par charité chrétienne, ou par charité professionnelle, de dire il faut aider les gens, 92 % de chômeurs qu’il y a dans ma profession, on peut rien faire pour eux. C’est un mensonge de dire qu’on va le faire. Et puis même, il y a au moins 92 % de chômeurs, parce que le métier est au gré à gré. Alors c’est pas normal qu’il y ait 92 % de gens qui n’ont pas du tout de travail, et que les 8 % qui restent soient milliardaires. Ou enfin… presque tous. Parce que c’est tout le temps les mêmes qui travaillent.

Donc ce serait pratiquement pas juste, parce que c’est pas bien d’encourager quelqu’un à continuer dans une profession où il a pas d’avenir. Surtout dans une profession artistique, qui demande à la personne de s’investir au plus profond de soi-même, puisqu’on passe par nos sentiments propres pour jouer la comédie, et donc ça peut mener des gens au suicide. Facilement, parce qu’il y a une confusion avec la personnalité qui réussit pas dans les personnages qu’on pourrait jouer, et tout ça… Si on n’a pas le moral, on peut pas être gai dans notre métier…

Maintenant pour ce qui est de l’impact qu’on a sur le public par rapport aux hommes politiques, il faut bien savoir que, dans l’ensemble, les artistes qui ont du succès font plus de public en nombre que les hommes politiques dans l’année, et que d’autre part, ils sont payants, les nôtres. Non seulement on fait plus de monde qu’eux, mais nous on fait payer.

Il ne faut pas oublier que, pour parler de deux vedettes internationales, le pape a fait 40 000 personnes de moins au Bourget que Bob Marley. Et le pape, c’était gratuit.

QUESTION : Cher Coluche, si vous le permettez, pourquoi ne pas revenir un petit peu au sujet du débat de ce soir, qui portait sur votre pouvoir. Vous nous avez donné une démonstration magnifique de votre pouvoir, et je crois qu’ici tout le monde ne peut que s’en féliciter, et vous féliciter.

Vous, avec votre générosité, vous faites un tabac, et ce tabac est magnifique, et cela débouche sur les Restaurants du Cœur… Vous nous avez dit aussi que les vedettes étaient périssables. N’avez-vous pas peur qu’un jour une vedette de votre talent, avec une sensibilité Le Pen, fasse un tabac qui porterait sur l’égoïsme et la rancœur ? Est-ce qu’il n’y a pas un danger, et comment justement pouvez-vous, vous, prévenir ce danger-là ?

COLUCHE : J’ai pas le pouvoir de le prévenir. Effectivement, quelqu’un qui aurait une sensibilité tout à fait opposée pourrait s’en servir à contresens. Je voudrais le voir, quand même… Par rapport au public, c’est un petit peu vite préjuger de ses réactions. Moi je pense qu’on ne peut pas les abuser. Je pense que c’est vraiment précis le créneau où on peut les avoir. Pour l’instant, ils n’ont pas compris que ça leur donnait accès à un petit peu de pouvoir par rapport à l’État, cette loi. Mais ils ont compris que, quand on les mobilise, avec des gens qu’ils reconnaissent comme étant pas seulement généreux, mais honnêtes en tout cas, ils savent que ça va réussir.

Moi, ce que j’attends, en arrêtant le 21 mars, c’est que le 22, les 126 000 personnes qu’on a nourries le jour avant aillent à la mairie et disent : alors, Coluche y arrive, et vous vous y arrives pas ! C’est ça que je veux voir une fois. Je veux voir le public prendre conscience du fait que quand il s’unit autour d’une idée, il est fort. Et je pense pas qu’on pourra réunir facilement des gens autour de l’idée qu’il faut pendre des Noirs, ou des Arabes… je crois pas. Je crois justement que le défaut de Le Pen, par rapport à son talent médiatique… Parce que le talent de Le Pen, la capacité énorme qu’a ce type-là de passer à la télévision, s’il n’avait pas fait la connerie de s’enfermer dans le racisme, qui le limite dans son audience future, et qui lui fait une casserole au cul qui se détachera jamais comme on dit, ce mec-là aurait pu aller plus loin. Et si jamais il dépasse 10 %…

Il faut pas oublier qu’aujourd’hui il s’agit d’intentions de vote, qu’il s’agit aussi de vote législatif à la proportionnelle, quand il s’agira des présidentielles, on verra s’il fait 10 %…

Parce que pour l’instant, ce type-là, il s’est quand même mis sur le dos cette énormité qu’est le racisme. Si par réaction aux hommes politiques, on est capable de voter pour Le Pen comme on avait l’intention de voter pour Coluche en 1981, pour la même raison de rejet, c’est-à-dire faire preuve d’une espèce d’abstentionnisme supplémentaire marqué d’un caractère particulier, je crois pas que pour autant 10 % de Français soient racistes au point de s’inscrire à un parti qui n’est que ça.

Moi, j’ai personnellement été élevé comme un Rital. Comme vous le savez, les Italiens étaient associés à Hitler pour faire la guerre (encore que, évidemment, l’Europe rêvait d’être envahie par l’Italie plutôt que par l’Allemagne), mais en tout cas, après la guerre, ça le foutait très mal d’avoir été Italien pendant, ce qui était le cas de mon père, et donc le racisme s’exerçait… J’ai jamais eu un physique d’Italien, donc je m’en suis sorti…

Mais… il faut pas faire un monde, sous prétexte que le Figaro-Magazine fait sa couverture toutes les semaines avec le racisme, il faut pas croire que ça intéresse le public pour autant.