Je cite le Figaro-Magazine parce que j’ai des affaires personnelles avec eux… et puis c’est vraiment une bande d’enfoirés… Je peux le dire… au sens ancien du terme… Ces gens-là s’imaginent que le monde va de leur salon jusque… le mercredi à l’imprimerie, quand le Figaro sort, et que c’est le plus important. Je crois qu’ils se gourent, le plus important n’est pas là.
Le plus important, en France, c’est pas le racisme. Vous savez, si on devait partager Paris comme on a fait à Los Angeles, en quartiers d’origines différentes, les seuls qui demanderaient à être à côté des Arabes, c’est probablement les Juifs. Parce qu’ils s’entendent très bien, ces gens-là.
On nous fait chier, avec des histoires de racisme, qui n’existe pas… Il y a des poissons volants aussi dans la mer, mais on n’en voit pas beaucoup… Non, moi j’y crois pas. Je crois pas au retour d’une catastrophe…
QUESTION : Coluche, dans le domaine de l’art, les seuls qui ne laissent rien derrière eux, contrairement aux pianistes qui souvent sont connus même après leur mort, ou les musiciens, oh les littéraires, les seuls qui ne laissent rien derrière eux, sinon quelquefois un nom gravé comme à la Comédie-Française, des noms gravés que tout le monde ignore, les seuls, ce sont les artistes, les comédiens… En ce qui vous concerne, que souhaiteriez-vous laisser, ou qu’on dise de vous après votre mort ?
COLUCHE : Moi, personnellement, j’ai mis dans une enveloppe ce que je mettrai sur mon épitaphe en partant : c’est « démerdez-vous ! » Moi, j’ai fait ce que j’ai pu, je vais faire ce que je peux pour faire marrer, je vais faire ce que je peux pour intéresser les gens, les surprendre, les amuser… Je vais faire mon métier. En fait, on n’en a pas parlé, mais finalement si vous regardez bien, c’est ça.
Si vous regardez bien ma carrière, j’ai commencé par être célèbre au music-hall. J’ai pas été à plaindre au café-théâtre parce qu’on a lancé un genre aussi, j’ai fait partie de la génération qui l’a créé, et non pas de ceux qui ont seulement suivi un mouvement. Ça c’est vachement fort dans le public. Au music-hall j’ai vraiment démodé pas mal de monde…
De toute façon, il faut faire ce qu’on sait faire, et pas ce qu’on voudrait savoir faire. Qu’on cherche à améliorer, c’est normal, mais qu’on essaie de faire… Il y a beaucoup d’exemples d’artistes qui avaient un rêve de jeunesse, qui sont devenus connus avec quelque chose et qui ont fait autre chose.
Par exemple, je connaissais Michel Berger, qui marchait très bien avec ses chansons. Tout d’un coup, il a voulu faire un opéra, et il s’est ramassé. Là-dessus, il m’a dit : « Ben, écoute, j’ai fait une connerie, j’en ferai plus d’opéra, c’était un rêve de jeunesse. »
Mais les rêves, c’est fait pour être rêvés, pas pour être vécus. Alors il faut pas confondre ce qu’on est capable de faire, avec ce qu’on a envie de faire. Il faut pas avoir une prétention au-delà de ses qualités d’une part, et d’autre part il faut savoir adapter ce qu’on sait faire à ce quelque chose qui n’a rien à voir avec nous.
Ça veut dire que quand je me présente aux élections, que je me marie avec Le Luron, ou que je fais les Restaurants du Cœur, je fais un effet médiatique qui part de mon talent, mais qui ne sert pas du tout mon métier.
Aujourd’hui, le seul disque que j’arrive à faire vendre, c’est celui des Restaurants du Cœur. Mais, moi, j’ai un disque de blagues qui vient de sortir, et qui se vend pas. Alors que mes disques se sont toujours vendus comme des petits pains.
Pour l’instant donc, je fais pas vendre mon disque. C’est pas grave, parce qu’on le fera vendre plus tard, on va se démerder, il y a aucun problème. Mais n’empêche que la vérité de la chose, elle est là. On peut pas détourner l’attention du public à son propre intérêt.
J’ai choisi d’utiliser ma personnalité populaire pour faire autre chose que ma profession. C’est une bonne combine à long terme pour moi, parce qu’il est probable que pendant encore des générations et des générations, quand il y aura les présidentielles, on dira : rappelez-vous qu’un certain Coluche avait fait 16 % d’intentions de vote, à une époque où le R.P.R. faisait 17, et le Parti communiste 15.
Si vous voulez, c’était le premier signal d’alarme dans une démocratie. C’est la première fois que des gens répondaient à une intention de vote pour quelqu’un qui voulait pas être élu. Ce qui est très important comme démarche. C’est pas pareil. Alors, voilà. Je vais faire ce que je peux. Et puis il se trouve que ça me fait marrer, j’aime bien ça… Le geste auguste du semeur… de merde…
QUESTION : Si je comprends bien, Coluche, vous êtes tout à fait d’accord avec le fait que pour un artiste, ce qui compte autant que son talent, c’est ce qu’on appellerait son image de marque, ou pour employer un mot plus a la mode, son « look ».
Il y a une question que je me pose, c’est qu’il peut devenir prisonnier de cette image de marque. Je prendrai un exemple, celui de Serge Gainsbourg. Moi j’aime beaucoup Serge Gainsbourg, en tant que compositeur, en tant que mélodiste. Je trouve qu’il est parfait, il a un talent énorme. Mais il veut donner tellement l’image du type bourré, qui s’en fout, et obsédé et tout, qu’en fin de compte on s’aperçoit qu’il force un peu la note. Qu’est-ce que vous pensez de ça ?
COLUCHE : C’est un bon exemple, Gainsbourg. Comme vous dites, vous l’aimez pour ses qualités artistiques, et ceux qui l’aiment parce qu’il est pas rasé, c’est ceux qui l’aiment pas pour ses qualités artistiques. Donc ça n’a aucun intérêt pour lui.
Comme disait un de mes prédécesseurs de la profession : que vous aimiez individuellement un artiste ou pas, ça ne fait rien. Exactement rien. S’il s’agit d’une personne. Gainsbourg, il fait des mélodies pour plaire à ceux qui aiment ses mélodies, et il se rase pas, il est bourré, pour faire parler tous ceux qui le détestent.
Parce qu’il faut pas oublier qu’on est toujours vedette avec un minimum de public. Le président de la République est élu avec 11 millions de voix, alors qu’il y a 55 millions de Français. Moi quand je fais un tabac dans mon métier, je vends un million de disques, alors qu’il y a 18 millions d’électrophones. On est toujours vedette avec un minimum de public.
Donc, si en faisant votre travail toujours pour ce même minimum, vous vous adressez au nombre important de gens qui soit vous détestent, soit s’en foutent (ce qui est encore pire), à ce moment-là évidemment vous devenez une vedette beaucoup plus populaire que votre seul talent vous aurait permis de l’être.
C’est un très bon exemple, Gainsbourg. C’est justement ce que je disais avant, mais vous m’avez permis de le dire encore plus clairement. Le talent consiste à ne pas s’intéresser seulement à ses auditeurs. Il faut s’adresser à l’ensemble de la population, en utilisant ce qu’on sait faire. Moi, je peux vous garantir que j’ai vu Gainsbourg arriver pas bourré, et être bourré instantanément en entrant sur le plateau, il sait le faire. C’est son métier.
Et puis peut-être que les Restaurants du Cœur, si vous voulez une morale à tout, c’est peut-être le prix que Coluche est obligé de payer pour rester vulgaire…
QUESTION : Vous évoquiez tout à l’heure la possibilité dans peut-être deux ans de récidiver si j’ose dire, mais non pas au sens péjoratif. Ne craignez-vous pas que le pouvoir dont nous parlons soit peut-être encore plus illusoire qu’on ne pourrait le craindre, dans la mesure où vous ne pouvez pas le réutiliser, et où je pense qu’il doit avoir une sorte de faculté d’usure immense ? Si demain Coluche (demain ou dans deux ans) réamorce une nouvelle campagne, ne pensez-vous pas que le public ne le suive pas aussi facilement qu’il l’a suivi pour les Restaurants du Cœur, en disant : il recommence, il nous fait le coup des Restaurants du Cœur… et qu’il y ait finalement un phénomène d’usure à la limite, qui se produise assez rapidement ?