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La mort et le bûcheron

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé, marchait à pas pesants, Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde? En est-il un plus pauvre en la machine ronde? Point de pain quelquefois et jamais de repos. Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier et la corvée Lui font d’un malheureux la peinture achevée. Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder, Lui demande ce qu’il faut faire. «C’est, dit-il, afin de m’aider A recharger ce bois, tu ne tarderas guère.»
Le trépas vient tout guérir; Mais ne bougeons d’où nous sommes: Plutôt souffrir que mourir, C’est la devise des hommes.

L’homme entre deux âges et ses deux maîtresses

Un homme de moyen âge, Et tirant sur le grison Jugea qu’il était saison De songer au mariage. Il avait du comptant, Et partant De quoi choisir; toutes voulaient lui plaire: En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant; Bien adresser n’est pas petite affaire. Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part: L’une encor verte, et l’autre un peu bien mûre, Mais qui réparait par son art Ce qu’avait détruit la nature. Ces deux veuves, en badinant, En riant, en lui faisant fête, L’allaient quelquefois testonnant, C’est à dire ajustant sa tête. La vieille, à tous moments, de sa part emportait Un peu du poil noir qui restait Afin que son amant en fût plus à sa guise. La jeune saccageait les poils blancs à son tour. Toutes deux firent tant, que notre tête grise Demeura sans cheveux, et se douta du tour. «Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les belles, Qui m’avez si bien tondu: J’ai plus gagné que perdu; Car d’hymen point de nouvelles. Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon Je vécusse, et non à la mienne. Il n’est tête chauve qui tienne. Je vous suis obligé, belles, de la leçon.»

Le Renard et la Cigogne

Compère le renard se mit un jour en frais, Et retint à dîner commère la cigogne. Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts: Le galand, pour toute besogne, Avait un brouet clair: il vivait chichement. Ce brouet fut par lui servi sur une assiette: La cigogne au long bec n’en put attraper miette, Et le drôle eut lapé le tout en un moment. Pour se venger de cette tromperie, A quelque temps de là, la cigogne le prie. «Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis, Je ne fais point cérémonie.» A l’heure dite, il courut au logis De la cigogne son hôtesse; Loua très fort sa politesse; Trouva le dîner cuit à point: Bon appétit surtout, renards n’en manquent point. Il se réjouissait à l’odeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande. On servit, pour l’embarrasser, En un vase à long col et d’étroite embouchure. Le bec de la cigogne y pouvait bien passer; Mais le museau du sire était d’autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis, Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris, Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris: Attendez-vous à la pareille.

L’enfant et le maître d’école

Dans ce récit je prétends faire voir D’un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune enfant dans l’eau se laissa choir En badinant sur les bords de la Seine. Le ciel permit qu’un saule se trouva, Dont le branchage, après Dieu, le sauva. S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule, Par cet endroit passe un maître d’école; L’enfant lui crie: «Au secours, je péris.» Le magister, se tournant à ses cris, D’un ton fort grave à contretemps s’avise De le tancer: «Ah! le petit babouin! Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise! Et puis, prenez de tels fripons le soin. Que les parents sont malheureux qu’il faille Toujours veiller à semblable canaille! Qu’ils ont de maux! et que je plains leur sort.» Ayant tout dit, il mit l’enfant à bord.
Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense. Tout babillard, tout censeur, tout pédant Se peut connaître au discours que j’avance. Chacun des trois fait un peuple fort grand: Le créateur en a béni l’engeance. En toute affaire ils ne font que songer Aux moyens d’exercer leur langue. Eh! mon ami, tire-moi du danger, Tu feras après ta harangue.

Le coq et la perle

Un jour un coq détourna Une perle qu’il donna Au beau premier lapidaire. «Je la crois fine, dit-il; Mais le moindre grain de mil Serait bien mieux mon affaire.»
Un ignorant hérita D’un manuscrit qu’il porta Chez son voisin le libraire. «Je crois, dit-il qu’il est bon; Mais le moindre ducaton Serait bien mieux mon affaire.»

Les frelons et les mouches à miel

A l’œuvre on connaît l’artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent: Des frelons les réclamèrent; Des abeilles s’opposant, Devant certaine guêpe on traduisit la cause. Il était malaisé de décider la chose: Les témoins déposaient qu’autour de ces rayons Des animaux ailés, bourdonnant, un peu longs, De couleur fort tannée, et tels que les abeilles, Avaient longtemps paru. Mais quoi! dans les frelons Ces enseignes étaient pareilles. La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons, Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière, Entendit une fourmilière. Le point n’en put être éclairci. «De grâce, à quoi bon tout ceci? Dit une abeille fort prudente. Depuis tantôt six mois que la cause est pendante, Nous voici comme aux premiers jours. Pendant cela le miel se gâte. Il est temps désormais que le juge se hâte: N’a-t-il point assez léché l’ours? Sans tant de contredits, et d’interlocutoires, Et de fatras et de grimoires, Travaillons, les frelons et nous: On verra qui sait faire, avec un suc si doux, Des cellules si bien bâties» Le refus des frelons fit voir Que cet art passait leur savoir; Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.