Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne;
Est-il besoin d’exécuter,
L’on ne rencontre plus personne.
Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe
Un loup disait qu’on l’avait volé.
Un renard, son voisin, d’assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le singe il fut plaidé,
Non point par avocat, mais par chaque partie,
Thémis n’avait point travaillé
De mémoire de singe à fait plus embrouillé.
Le magistrat suait en son lit de justice.
Après qu’on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,
Le juge, instruit de leur malice,
Leur dit: «Je vous connais de longtemps, mes amis,
Et tous deux vous paierez l’amende;
Car toi, loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris
Et toi, renard, as pris ce que l’on te demande.»
Le juge prétendait qu’à tort et à travers
On ne saurait manquer, condamnant un pervers.
Note:
Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la contradiction, qui est dans le jugement de ce singe, était une chose à censurer: mais je ne m'en suis servi qu'après Phèdre; et c'est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis. La Fontaine
Les deux Taureaux et une Grenouille
Deux taureaux combattaient à qui posséderait
Une génisse avec l’empire.
Une grenouille en soupirait.
«Qu’avez-vous?» se mit à lui dire
Quelqu’un du peuple croassant.
«Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle
Sera l’exil de l’un; que l’autre, le chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne régnera plus sur l’herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur nos roseaux;
Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l’une, et puis l’autre, il faudra qu’on pâtisse
Du combat qu’a causé Madame la Génisse»
Cette crainte était de bon sens.
L’un des taureaux en leur demeure
S’alla cacher, à leurs dépens:
Il en écrasait vingt par heure.
Hélas, on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises de grands.
La Chauve-souris et les deux Belettes
Une chauve-souris donna tête baissée
Dans un nid de belettes; et sitôt qu’elle y fut,
L’autre, envers les souris de longtemps courroucée,
Pour la dévorer accourut.
«Quoi? vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire!
N’êtes-vous pas souris? Parlez sans fiction.
Oui, vous l’êtes, ou bien je ne suis pas belette.
– Pardonnez-moi, dit la pauvrette,
Ce n’est pas ma profession.
Moi souris! Des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grâce à l’auteur de l’univers,
Je suis oiseau; voyez mes ailes:
Vive la gent qui fend les airs.»
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien qu’on lui donne
Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément va se fourrer
Chez une autre belette, aux oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.
La dame du logis avec son long museau
S’en allait la croquer en qualité d’oiseau,
Quand elle protesta qu’on lui faisait outrage:
«Moi, pour telle passer! Vous n’y regardez pas
Qui fait l’oiseau? C’est le plumage.
Je suis souris: vivent les rats!»
Jupiter confonde les chats!»
Par cette adroite répartie
Elle sauva deux fois sa vie.
Plusieurs se sont trouvés qui, d’écharpe changeant,
Aux dangers ainsi qu’elle, ont souvent fait la figue.
Le sage dit, selon les gens,
«Vive le Roi! vive la ligue!»
L’Oiseau blessé d’une Flèche
Mortellement atteint d’une flèche empennée,
Un oiseau déplorait sa triste destinée,
Et disait, en souffrant un surcroît de douleur:
«Faut-il contribuer à son propre malheur!
Cruels humains! Vous tirez de nos ailes
De quoi faire voler ces machines mortelles.
Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié:
Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre.
Des enfants de Japet toujours une moitié
Fournira des armes à l’autre.»
La Lice et sa Compagne
Une lice étant sur son terme,
Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu’à la fin sa compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la lice s’enferme.
Au bout de quelque temps sa compagne revient.
La lice lui demande encore une quinzaine;
Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu’à peine.
Pour faire court, elle l’obtient.
Ce second terme échu, l’autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.
La lice cette fois, montre les dents, et dit:
«Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.»
Ses enfants étaient déjà forts.
Ce qu’on donne aux méchants, toujours on le regrette.
Pour tirer d’eux ce qu’on leur prête,
Il faut que l’on en vienne aux coups;
Il faut plaider, il faut combattre.
Laissez-leur un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.
L’Aigle et l’Escarbot
L’aigle donnait la chasse à maître Jean Lapin,
Qui droit à son terrier s’enfuyait au plus vite.
Le trou de l’escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte
Était sûr; mais où mieux?
Jean Lapin s’y blottit.
L’aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,
L’escarbot intercède et dit:
«Princesse des oiseaux, il vous est fort facile
D’enlever malgré moi ce pauvre malheureux;
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie;
Et puisque Jean Lapin vous demande la vie,
Donnez-la-lui, de grâce, ou l’ôtez à tous deux:
C’est mon voisin, c’est mon compère.»
L’oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l’aile l’escarbot,
L’étourdit, l’oblige à se taire,
Enlève Jean Lapin. L’escarbot indigné
Vole au nid de l’oiseau, fracasse en son absence,
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance:
Pas un seul ne fut épargné.
L’aigle étant de retour et voyant ce ménage,
Remplit le ciel de cris: et pour comble de rage,
Ne sait sur qui venger le tort qu’elle a souffert.
Elle gémit en vain: sa plainte au vent se perd.
Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.
L’an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L’escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut.
La mort de Jean lapin derechef est vengée.
Ce second deuil fut tel, que l’écho de ces bois
N’en dormit de plus de six mois.
L’oiseau qui porte Ganymède
Du monarque des dieux enfin implore l’aide,
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu’en paix
Ils seront dans ce lieu; que, pour ses intérêts,
Jupiter se verra contraint de les défendre:
Hardi qui les irait là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,
Sur la robe du dieu fit tomber une crotte;
Le dieu la secouant jeta les œufs à bas.
Quand l’aigle sut l’inadvertance,
Elle menaça Jupiter
D’abandonner sa cour, d’aller vivre au désert,
De quitter toute dépendance,
Avec mainte autre extravagance.
Le pauvre Jupiter se tut:
Devant son tribunal l’escarbot comparut,
Fit sa plainte et conta l’affaire.
On fit entendre à l’aigle enfin qu’elle avait tort.
Mais, les deux ennemis ne voulant point d’accord,
Le monarque des dieux s’avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l’aigle fait l’amour
En une autre saison, quand la race escarbote
Est en quartier d’hiver, et comme la marmotte,
Se cache et ne voit point le jour.