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Ésope

Fables – Tome II

Illustrées par Arthur Rackham

À propos d’Ésope

(VIIe VIe siècles avant J.-C.) On le considère comme le père de la fable. Mais a-t-il vraiment existé? Rien n’est sûr, mais qu’importe! (Il est convenu désormais de parler plutôt de textes ésopiques que de fables d’Ésope). Ses fables constituent une somme de la sagesse populaire des Grecs. Elles inspireront ensuite Phèdre à Rome, puis les conteurs arabes. Les fables d’Ésope ont été compilées et publiées au XIVe siècle, par Planude, un moine byzantin. Isaac Nicolas de Nivelet avait publié en 1610 une version d’Ésope en latin, et cette traduction avait été rééditée en 1660. La Fontaine l’a sûrement lue. La légende disait Ésope laid et boiteux.

Fables d’Ésope

Tome II

Du Porc-épic et du Loup.

Un Loup rencontra un Porc-épic, et s’avança dans le dessein d’en apaiser la faim qui le pressait. Celui-ci, qui s’en aperçut, se hérissa d’abord de ses piquants. – Si vous vouliez vous défaire de toutes ces pointes, lui dit l’autre, bien fâché de ne savoir par où le prendre, vous n’en seriez que mieux, car elles vous défigurent extrêmement; croyez-moi, ne les portez plus. – Les dieux m’en gardent, repartit le Porc-épic, en les dressant encore davantage. Ami, si ces piquants me parent mal, ils me défendent bien. -

Du Coq et du Coq d’Inde.

Le Coq est jaloux de son naturel. Celui-ci remarqua qu’un Coq d’Inde, qui vivait avec lui dans la même basse-cour, faisait la roue en présence de ses Poules, et en prit ombrage. – Traître, lui disait-il, ce n’est pas sans dessein que tu fais montre de tes plumes. Tu cherches sans doute à plaire à mes femmes, et par conséquent à me les débaucher. – Moi, repartit l’autre, c’est à quoi je n’ai jamais pensé, et tu t’alarmes bien mal-à-propos. Eh quoi! ne saurais-tu souffrir que je fasse la roue devant tes femmes, quand je souffre, moi, que tu viennes chanter tout autant qu’il te plaît devant les miennes. -

De la Poule et de ses Poussins.

Une Poule mena ses Poussins aux champs, et s’écarta fort loin de sa basse-cour. Pendant qu’elle ne pensait à rien moins qu’au Milan, celui-ci parut prêt à fondre sur sa couvée. Tout ce qu’elle put faire alors pour la sauver, ce fut de fuir et de se sauver dans une ferme, d’où elle se trouvait fort proche, et de s’enfermer avec ses Poussins dans une cage qu’elle y trouva. Le fermier, qui s’en aperçut, accourut, et prit ainsi d’un seul coup la mère et ses petits; mais celle-ci s’en consola, parce que du moins elle avait, disait-elle, mis ses Poussins à couvert des serres de leur plus cruel ennemi.

Du Singe et du Perroquet.

Un jour le Singe et le Perroquet pensèrent se donner pour Animaux raisonnables, et se mirent en tête de se faire passer pour tels. Le premier crut qu’on le prendrait pour un homme, dès qu’il en aurait pris les habits. L’autre s’imagina qu’il le ferait aussi, s’il pouvait contrefaire la voix humaine. Le Singe donc s’habilla; le Perroquet apprit quelques mots, après quoi l’un et l’autre sortirent de leurs bois et vinrent se produire à certaine foire. Lorsqu’ils parurent, chacun y fut trompé: mais comme le Singe ne disait rien, et que le Perroquet ne disait jamais que la même chose, on sortit bientôt d’erreur. Ainsi ceux qui les avaient pris d’abord pour de vrais hommes, ne les prirent, un quart d’heure après, que pour ce qu’ils étaient.

Du Loup, du Renard et du Singe.

Le Loup et le Renard plaidaient l’un contre l’autre par-devant le Singe. Le premier accusait l’autre de lui avoir dérobé quelques provisions, celui-ci niait le fait. Le Singe, qui connaissait de quoi l’un et l’autre étaient capables, ne savait lequel croire; ainsi il se trouvait dans un grand embarras. Voici pourtant comme il s’en tira: après bien des contestations de part et d’autre, il imposa silence aux parties, et prononça ainsi: – Toi, Loup, je te condamne à payer l’amende, parce que tu demandes au Renard ce qu’il ne t’a point pris; et toi, Renard, tu paieras aussi, parce que tu refuses de rendre au Loup ce que tu lui as dérobé. -

Du Milan et du Rossignol.

Un Milan fort affamé tenait un Rossignol sous ses serres. – Milan s’écriait celui-ci, donnez-moi la vie, et je vous ferai entendre des chansons capables de vous ravir. Ma voix, vous le savez, enchanterait les dieux mêmes. – J’en doute si peu, répliqua le Milan, que je t’écouterais de grand coeur, si je ne sentais qu’à présent j’ai beaucoup plus besoin de nourriture que de musique. – Cela dit, il le croque.

Des Rats tenant conseil.

Les Rats tenaient conseil, et ils délibéraient sur ce qu’ils avaient à faire pour se garantir de la griffe du Chat, qui avait déjà croqué plus des deux tiers de leur peuple. Comme chacun opinait à son tour, un des plus habiles se leva. – Je serais d’avis, dit-il d’un ton grave, qu’on attachât quelque grelot au cou de cette méchante bête. Elle ne pourra venir à nous sans que le grelot nous avertisse d’assez loin de son approche; et comme en ce cas nous aurons tout le temps de fuir, vous concevez bien qu’il nous sera fort aisé de nous mettre, par ce moyen, à couvert de toute surprise de sa part. – Et toute l’assemblée applaudit aussitôt à la bonté de l’expédient. La difficulté fut de trouver un Rat qui voulût se hasarder à attacher le grelot: chacun s’en défendit; l’un avait la patte blessée, l’autre la vue courte. – Je ne suis pas assez fort, – disait l’un. – Je ne sais pas bien comment m’y prendre -, disait l’autre. Tous alléguèrent diverses excuses, et si bonnes, qu’on se sépara sans rien conclure.

De l’Aigle et de l’Escarbot.

L’Aigle enlevait un Lapin, sans se mettre en peine des cris d’un Escarbot. Celui-ci intercédait pour son voisin, et suppliait l’oiseau de donner la vie au Lapin; mais l’Aigle, sans avoir égard aux prières du bestion, mit l’autre en pièces. Elle ne tarda guère à s’en repentir; car, quelques jours après, voici que l’Escarbot, qui avait pris le temps que l’Aigle s’était écartée de son nid, y vole, culbute tous les oeufs, fracasse les uns, fait faire le saut aux autres, et par la destruction entière du nid, venge la mort de son ami.

Du Souriceau et de sa Mère.

Un Souriceau racontait à sa mère tout ce qui lui était arrivé dans un voyage dont il était de retour. – Un jour, lui disait-il, la curiosité me prit d’entrer dans une basse-cour, et là j’y trouvai un animal qui m’était inconnu, mais dont le minois me plut infiniment. L’air doux, la contenance modeste, le regard gracieux; au reste, la peau marquetée, longue queue, et faite à peu près comme la nôtre; voilà ce qui le rendait tout à fait plaisant à voir. Pour moi j’en fus si charmé, que déjà je l’abordais pour faire connaissance avec lui, lorsque certain oiseau farouche, turbulent, et qui portait sur sa tête je ne sais quel morceau de chair tout déchiqueté, m’effraya tellement par ses cris perçants, que j’en pris la fuite d’épouvante. – Mon fils, lui dit la mère, remercie les Dieux qui t’ont sauvé dans cette rencontre du plus grand danger que tu puisses jamais courir. L’Animal qui t’a semblé si doux, c’est un Chat; l’oiseau turbulent, c’est un Coq. Ce dernier ne nous veut aucun mal mais l’autre ne pense qu’à nous détruire. Reconnais donc maintenant quelle était ton imprudence, de courir te livrer toi-même à ton plus cruel ennemi. -