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— Bon, suffoque-t-il… Tu veux ma mort, alors allons-y…

— Écoute voir, on va tourner à droite tout de suite en sortant, because à gauche il y a un troquet dont le loufiat ne me paraît pas catholique bien qu’il soit espago…

— Bien…

Il me suit docilement comme un bœuf qui suit son louchébem jusqu’aux abattoirs du chef-lieu ! Croquignolette, la promenade, je vous l’annonce.

Si vous mordiez la frime de Béru vous voudriez un cliché d’extrême urgence pour faire poirer vos relations. Il a pris un coup de grisou dans le pif et son naze déjà volumineux au départ a triplé de dimension. Il ressemble à l’aubergine primée lors du dernier comice agricole… Ses joues non rasées sont blêmes… Le raisin pisse partout sur sa bouille… Et ses yeux se retournent sous l’effet de la faiblesse comme des parapluies un jour de grand vent !

Je le regarde en souriant. Il s’en aperçoit et questionne lugubrement :

— Tu me prends pour une attraction internationale ?

— Presque, je reconnais. Je veux pas te vexer, mais tes chances au titre de Miss Europe me paraissent compromises…

— Débloque pas, ballot, je suis mort…

— C’est pas une raison pour manquer de respect envers tes supérieurs…

Alors, bien que faible à tomber, il réunit les ultimes forces éparses en lui et me débite des choses peu agréables sur la hiérarchie, la police, les enquêteurs, l’État, etc. Il conclut en déclarant que son rêve le plus cher serait de nous voir crever avec des fourmis rouges plein la g…, le Vieux et moi…

Ceci étant dit, il s’adosse contre un mur. Des passants s’arrêtent de passer pour le contempler avec intérêt et même commisération.

Je reprends mon optimisme. Cette fois on s’est sorti du pétrin… C’est la fin du Barrio Chino et nous marchons dans des voies tout ce qu’il y a de normales. Nous ne craignons plus rien.

— Bon, fais-je, c’est pas le tout, Gros, mais faut te faire recoudre le dôme pendant qu’il te reste encore un peu de raisin dans les veines…

Il fait un signe affirmatif. Je lui mets un bras par-dessus mon épaule et l’entraîne d’autor vers une farmacia. Le potar est une jolie nana brune comme un corbak. Dans sa blouse blanche fermée sur l’épaule elle est à croquer. Notre venue dans sa boutique ne semble pas l’enthousiasmer. Il faut dire que nous avons une sacrée touche, moi, loqué en docker et le Gros déguisé en boxeur K.-O.

Pourtant, sa profession l’emportant sur sa répulsion, elle fait asseoir Bérurier et s’occupe de lui.

C’est une fille énergique. Elle commence à désinfecter la plaie autrement qu’avec du whisky, ce qui fait bramer mon pote.

— Un peu de tenue, lui dis-je. Tu vas passer pour une femmelette.

— Et ta sœur, fesse de rat !

Telle est la réponse pertinente qu’il me hurle entre deux gémissements.

— J’ai l’impression, poursuit-il, qu’on m’arrose le cerveau avec du vitriol !

— Comment t’arroserait-on le cerveau, tu n’en as pas !

La potarde lui posant deux agrafes, il abandonne.

Lorsque nous ressortons de l’officine, il est beau comme une momie de gala ! Quinze mètres de bande blanche autour de son périscope l’ont transformé en une sorte d’homme invisible assez surprenant…

— Si on te demande ce qui t’est arrivé, lui dis-je, tu n’as qu’à dire que tu vas à un bal masqué et que tu t’es déguisé en panaris.

Pour toute réponse, il me désigne une brasserie aux banquettes moelleuses…

En trombe qu’il y pénètre, mon copain. La banquette sélectionnée par lui gémit sous la charge.

— Qu’est-ce que ce sera ? lui demandé-je…

— Un kil de rouge et à bouffer ! Merde, j’ai rien dans la pipe depuis hier… Après m’être saigné comme un goret !

— Comment voudrais-tu t’être saigné ?…

Abattu, il ne répond pas. Je fais des gestes impérieux au garçon. Laborieusement je lui passe la commande.

Du vino negro comme s’il en pleuvait, et une terrific assiette de charcutaille…

— Avec des cornichons, hein ? je demande à Bérurier, comme ça tu te sentiras moins dépaysé !

Il secoue sa tête douloureuse.

— Jamais de cornichons quand je suis avec toi, San-Antonio… Ça ferait double emploi.

— Bon, rigolé-je, t’as l’air de reprendre goût à la vie !

* * *

Bien que frémissant d’une rare impatience, je le laisse tortorer dans le silence. Il mastique difficilement parce que son clavier universel en a pris un coup aussi et que ses ratiches se déchaussent comme un facteur après sa tournée. Une grande pitié s’empare brusquement de moi. Pauvre gros Béru… Son corps malmené, tuméfié, ravaudé, me fait mal brusquement… Je regarde ce demi-siècle de loyaux services consommer du jambon et je songe avec tristesse que la vie est stupide… Il est là, dans un pays étranger, à se faire bourrer le pif tandis que sa bonne femme s’envoie au plafond avec le garçon boucher…

Au lieu de ligoter son journal peinard sous la lampe, il encaisse des coups de matraque…

Ses bons yeux de goret cordial rencontrent les miens. Il y lit mon désenchantement.

— Qu’est-ce que t’as, San-Antonio ?

— Nous faisons un métier de c…

Il rêvasse un instant, puis hausse les épaules.

— Que veux-tu, gars, c’est nous qui l’avons choisi, tant pis pour nos pieds !

Sa bonne patte s’avance vers moi, je la serre furtivement.

— T’as raison, Béru, c’est bien fait pour nous ; on n’avait qu’à se lancer dans la haute couture…

Bon, c’est ainsi, nous n’avons plus que la ressource d’aller jusqu’au bout.

— Tu pourrais, en attendant, me narrer tes aventures…

Il vide son glass.

— Facile… Bon… Attends, cette nuit… Ça y est… Figure-toi que j’entre dans ma chambre pour me zoner.

— Je sais…

— Commence pas à interrompre l’orateur, je t’en supplie !

Je me mords les baveuses.

— J’était en train d’ôter mes pompes lorsque voilà que j’entends un cri terrible… Un cri de femme qui biche une traquette monumentale… Bérurier, me dis-je, il se passe quelque chose ! Certainement, me répondis-je ! N’écoutant que ce courage que tu me reconnais, je me suis précipité hors de ma piaule et qu’ai-je vu ?

— La dame qui était au meeting avec Luebig !

Je le foudroie… Il est sur le point de me cracher à la figure.

— Y a pas plus débecquetant que toi, assure-t-il. Faut toujours que tu nous fauches nos effets. Comment l’as-tu su ?

— À ton avis, pourquoi m’a-t-on nommé commissaire ?

— Excuse un peu, j’oubliais que t’étais le génie du siècle…

— Et toi celui de la Bastille, on est de la même race, va !

Il poursuit donc, du bout de ses dents branlantes :

— La dame était en combinaison, et ça n’avait rien de dégueulasse. S’étant orientée du côté de l’ascenseur, elle ne m’avait pas vu… Elle semblait littéralement folle… Je ne sais pas pourquoi…

— Toutes les femmes qui découvrent un macchabée dans leur penderie ont tendance à perdre le ciboulot…

— Un macchabée dans…

— Je t’affranchirai ensuite. Continue…

— Elle s’est arrêtée net et s’est aperçue de l’état dans lequel elle se trouvait, c’est-à-dire presque à poil. Elle est rentrée vivement dans sa chambre… Moi, je me suis précipité simultanément dans mes chaussures et au téléphone… Seulement monsieur ne répondait pas… Monsieur se payait du lard, ou une pépée…

Ses yeux injectés de sang me regardent, je ne bronche pas.