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Il émet un nouveau grognement qui, s’il était enregistré, ferait bien dans une émission sur le zoo d’Anvers. Le hic (comme dirait Eisenhower) c’est que j’ai les pieds liés au fauteuil.

Si le gnace a suffisamment de lucidité pour reculer un brin, il pourra récupérer avant que je ne me sois libéré tout à fait et alors son feu qu’il n’a toujours pas lâché fera de la musique de chambre, je vous l’annonce. On pourra afficher le retour de Kid-Pruneau en première vision mondiale.

Cette tante recule en effet, mais ça n’est pas un geste qui souscrit aux exigences de sa volonté, il recule parce qu’il perd l’équilibre. À terre, il gigote comme un rat pris au piège. Il ne me reste que la seule ressource de plonger en avant, avec le fauteuil comme carapace. Moi j’aime jouer à la tortue, mais avec les dames seulement. Ici ça perd de son charme. Je cherche désespérément à choper la main du gorille pour lui arracher sa machine à éternuer du néant, mais il réagit. Son K.-O. était de courte durée. Il essaie de diriger le canon de l’arme contre ma hanche. J’écarte son bras en le saisissant par en haut… Il tire ! Ca fait un gentil chabanais. Une brûlure fulgurante me scie le dos un peu plus haut que la ceinture et une généreuse odeur de poudre se propage dans mon tarin. C’est plutôt la poudre d’escampette que je voudrais renifler… Celle-ci est mauvaise pour la santé…

Alors, gêné par le fauteuil qui m’écrase et par ce tordu qui rue dans les brancards, je lui mords le bras un peu plus haut que le coude. C’est pas pourtant qu’il soit appétissant, ce lustucru ! On le filerait à un banquet d’anthropophages, les convives refuseraient de régler l’addition. Il pousse sa bramante en si bémol majeur et lâche l’arme… Drôle de combat… Je dois avoir l’allure idéale, je vous le jure ! Comme tortue de mer je peux faire la pige à celle du Jardin d’Acclimatation.

La mêlée est on ne peut plus confuse lorsque la lourde s’ouvre. Le coup de seringue a attiré l’attention et les copains radinent pour voir qui s’amuse à casser la cabane. Il y a là le nabot et le petit vioquard triste… Ce dernier ressemble à un violoniste sans emploi. On dirait un joueur de harpe égaré dans un orchestre de jazz…

Mais pour le doigté, il manque de souplesse. En moins de temps qu’il n’en faut à votre percepteur pour vous adresser du papier de couleur, il m’a relevé et alors, pardon ! Pas rouillé, le sexagénaire… Sa mère lui a coulé du ciment dans les fumerons !

Il commence par me coller un coup de tranchant à la gorge… Puis, le nabot redressant mon siège-carapace, il me file un de ces coups de talon dans le baquet, de quoi tuer une famille de rhinocéros. À mon tour, je pose deux et je ne retiens rien !

Je sens mes tripes qui affluent à la gorge… Je suffoque… Le nabot m’invective tout ce qu’il peut… Le vieux qui a pigé le topo en voyant mon portefeuille à terre enguirlande son pote le gorille avec un luxe d’épithètes que je regrette de ne pas piger… Bref, il y a réception chez la reine…

Un peu meurtri, je finis par reprendre mon souffle.

Le violoniste en chômage se tourne vers moi.

— Mauvais, me dit-il, sévèrement.

— Et ta sœur, dis, Détritus ? Tu ne voudrais pas que ce paquet de lard me chourave mon fric sans que je renaude ? C’est la mode chez vous ?

Il hausse les épaules.

Le gorille est plus mauvais qu’un tigre du Bengale. Il se masse les maxillaires d’un mouvement lent. Puis le foie, et, enfin, il s’avance sur moi. Ses yeux lui pendent sur la poitrine, pareils à deux scapulaires… Préparez la tisane, les mecs !

J’attrape pour débuter un bourre-pif homologué ; ensuite il me fait une lotion à l’huile de coude. Ma bouille devient comme une poubelle. Des cloches sonnent le tocsin à toute volée. Ô mes aïeux ! Je craque de partout comme un rafiot dans la tempête… Y a du tangage dans l’entrepont ; du roulis dans la comprenette et, d’une façon générale la voie d’eau s’aggrave. Sainte Apoplexie, priez pour moi…

Il est probable que je suis engagé à l’année pour le rôle muet du punching-ball de service ; on peut dactylographier le contrat, je suis partant ! La purée de marrons, j’aime ça ! Seulement la lourde s’ouvre et le grand maigre de la radio clandé entre, précédant une bergère dans les roux intenses… Je reconnais la dame, je l’ai déjà biglée sur les photos extraites du film. C’est à elle que mon Bérurier filait le train la noïe dernière.

Je fais un effort pour rajuster mes esprits. Nos regards se croisent et je pige illico que cette bergère est n’importe quoi sauf une âme sensible ! Ses yeux sont vifs comme de la braise… Sa bouche est dessinée au rouge-béco, mais sous la peinture on la devine mince et cruelle. Beau petit lot à fourguer…

— C’est cet homme ? demande-t-elle.

Le grand pâlichon fait un signe affirmatif. Il se rancarde auprès de ses pieds nickelés pour savoir d’où provient l’agitation ambiante et le vieux le cloque au parfum… À son tour il engueule le gorille.

— Que se passe-t-il ? demande la môme Werth.

— Une petite manifestation très parisienne, dis-je. Je viens de faire match nul contre le gorille ci-joint !

Ma faconde ne l’impressionne pas.

— Qui êtes-vous ?

— Un monsieur qui vous veut du bien…

— Police ?

— Quelle idée !

— Votre camarade appartenait à la police française.

In petto j’invective Bérurier. Ce sombre corniaud a été mal inspiré de s’amener en España avec des fafs prouvant sa profession. De la sorte mon roman feuilleton de tout à l’heure, comme quoi nous appartenions à un gang, ne tient pas. Je l’ai dans le baigneur, proprement.

— Et si j’appartenais à la police, qu’est-ce que ça changerait à la situation ? questionné-je.

Elle a un mauvais sourire :

— Rien ! Évidemment.

Son « rien » me fait passer un frisson dans le dos.

— À quelle heure, l’enterrement ? demandé-je.

— Pardon ?

— L’enterrement de M. Werth dont le corps reposait dans une penderie de l’hôtel Arycasa.

Je l’ai à la surprise. Elle sourcille.

— J’ignore tout de ce que vous racontez !

— On dit ça… Notez que je m’en balance… Seulement je ne comprends pas pourquoi vous jouez les chochotes… Il y a des moments où les conventions doivent tomber comme des feuilles d’automne…

Elle me regarde.

— Vous avez raison, jouons cartes sur table. Que désiriez-vous en venant ici ?

Je bats mes brêmes…

— Dénicher Luebig…

Elle a un sourire léger…

— Et c’est moi que vous avez suivie pour arriver à cela ?

— Oui…

— Drôle d’idée…

— Pas si drôle que ça ! Vous étiez avec lui au fameux meeting du Bourget ?

Une lueur d’admiration passe dans son regard.

— Comment ?… fait-elle.

Puis elle la boucle, troublée par ma question.

— Lorsque Werth a dénoncé Luebig vous pensiez que nous nous mettrions à ses trousses, hein ? Et que nous ne nous intéresserons pas aux gens qui l’escortaient ?…

Elle pince les lèvres.

— Dites-moi, ma bonne dame, je murmure… Werth, c’était votre frangin ou votre mari ?

— Mon mari…

— Et qui l’a refroidi ? Luebig ?

Ses carreaux balancent à nouveau une portion d’éclairs pour grande personne.

— Cela ne vous regarde pas, fait-elle.

— Quel est le programme, maintenant ?

— Se dire adieu, murmure-t-elle.

Le grand maigre a suivi ces dernières répliques d’un air crispé. Il s’anime :

— On le supprime ? demande-t-il.