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— Faites…

En buvant je calcule le cours du mark et j’en déduis que Luebig a dû jeter l’oseille par les fenêtres car quelques millions de marks représentent un gentil paquet d’artiche.

Il poursuit :

— J’ai fait la connaissance de Léonora Werth à Barcelone.

— C’est une Allemande ?

— Du tout, elle est Alsacienne… Son mari, lui, était Tchèque… Nous nous sommes rencontrés dans un bar de la Rambla Catalune… De fil en aiguille…

— Bref, ils étaient dans le circuit ?

— Oui… Ils avaient installé un poste émetteur clandestin dans le Barrio Chino…

— Je connais…

— Ah ! bon… Ils servaient de postiers en quelque sorte pour le réseau d’agents secrets soviétiques travaillant en Afrique du Nord, en Espagne et en France…

— Charmant…

— Mais c’étaient de sales aventuriers en réalité pour qui tous les moyens de gagner de l’argent étaient bons. Des gens sans foi ni loi…

Venant de lui, l’expression conserve toute sa fraîcheur.

— Et puis ?

— Ils exploitaient les riches étrangers. Ils se faisaient passer pour le frère et la sœur, Werth poussait la conscience… professionnelle jusqu’à teindre ses cheveux de la couleur de ceux de la femme, laquelle faisait du charme…

— En France nous appelons ça du « rentre-dedans ».

— Si vous voulez… Lorsque les relations arrivaient à un certain point… le faux frère avouait sa véritable identité et faisait chanter…

— C’est ce qui s’est passé pour vous ?

— C’est ce qui se serait passé si je m’étais laissé manœuvrer, mais ça n’est pas mon genre… J’ai eu une conversation avec Werth… Je lui ai dit qui j’étais afin de lui faire comprendre qu’il s’était lancé sur une très mauvaise route… Bref, il m’a proposé de travailler avec eux et nous sommes devenus très amis…

— Charmante famille !

Il fronce les sourcils car, tout comme le Vieux, il a horreur des interruptions.

— Et alors, Luebig, vous avez changé votre fusil d’épaule ? Venant de l’hitlérisme intégral vous vous êtes lancé dans les chemins tortueux de Moscou ? On a vu pire…

Il fait claquer ses jointures et jette son mégot d’une pichenette dans le mortier servant de cendrier.

— Apparemment seulement, j’avais mon plan… Vous dire lequel n’est pas mon intention…

Il poursuit âprement, sur un débit plus saccadé, comme s’il avait hâte d’en finir…

— J’ai fait semblant de jouer le jeu avec eux… Je leur ai rendu quelques services qui les ont mis en confiance… Et puis il s’est produit quelque chose… Je ne sais trop quoi. Sans doute ont-ils eu vent de certaines prises de contact que j’avais effectuées par ailleurs… Ces crapules ont décidé de m’avoir… Mais comme ils craignaient des représailles, ils ont voulu m’avoir de façon détournée. Werth est parti en France chez un ancien complice à lui.

— Schwob ?

Il me fait un petit salut militaire à titre d’hommage.

— Compliments, fait-il, vous ne perdez pas de temps à ce qu’on dirait ? Oui, Schwob… Il a mijoté son coup. Il voulait me faire arrêter d’une manière officielle… Je devais le rejoindre, je ne vous précise pas non plus pourquoi… Des… des affaires à traiter à Paris… J’ai logé chez Schwob car j’avais peur d’être découvert en descendant dans un hôtel, même sous ma fausse identité… Un dimanche, nous sommes allés en groupe à ce meeting du Bourget ; oui, je me suis toujours beaucoup intéressé à l’aviation.

Il se croise les bras. Son regard est d’une dureté terrifiante.

— Et cette ordure a trouvé là l’occasion qu’il cherchait… Il m’a dénoncé à vos services en signalant la bande d’actualité comme preuve de ses dires…

— Alors ?

— Heureusement, je me trouvais au Havre où j’avais affaire personnellement… Je suis rentré une nuit… Je me rendais chez Schwob et quelqu’un s’y trouvait…

— Qui ?

— Vous !

Je me rappelle alors le furtif glissement perçu l’autre nuit dans la bicoque.

— Marrant, fais-je, la vie est pleine d’humour…

— Oui… Je me suis enfui… J’ai alors appris que, durant mon absence, Schwob était mort… tragiquement ! J’ai aussitôt regagné l’Espagne…

— Dites, l’accident de Schwob ?

— Werth ! parbleu… Ayant lancé la police française sur ma trace il s’est dit qu’une fois arrêté, je parlerais de lui et de Schwob ; il se moquait de ce que moi je pouvais dire de lui, ayant pris ses précautions depuis longtemps. Mais il avait peur de ce que Schwob pouvait dire sur lui… Alors, la voie ferrée étant proche… Voilà toute l’histoire…

Je me lève et fais quelques mouvements d’assouplissement. Je suis en forme. J’ai même faim…

— Toute l’histoire ? fais-je en regardant Luebig… Comme vous y allez ! Et le reste ?…

— Quoi ?

— Par exemple, comment avez-vous su que j’étais à votre recherche ?

— J’ai… parlé à Werth… dernièrement.

Je pige tout !

— Vous permettez que je poursuive ?

Un petit geste sardonique m’accorde la permission sollicitée.

— De retour ici, vous vous êtes évidemment mis à la recherche des Werth, vous avez appris que sa femme était à l’Arycasa. Je suppose qu’elle jugeait plus prudent de demeurer à l’hôtel en attendant qu’on vous appréhende ?

— Je le suppose aussi.

— C’est elle qui appréhendait, fais-je, désireux de risquer un bon mot.

Mais Luebig n’a rien du plaisantin. Ce que ces gars peuvent être sérieux… Je vous jure que si je devais avoir l’âme d’un constipé, je préfèrerais m’engager dans les troupes aéroportées.

— Donc, poursuis-je, vous avez guetté Werth dans les environs de l’Arycasa… On nous signale que personne n’avait demandé Léonora, comment a-t-il pu pénétrer dans l’hôtel ?

— Par le garage du sous-sol… On entre en voiture, là il y a un ascenseur qui communique avec les étages de l’hôtel.

— Je comprends… Vous avez emprunté cette voie également ? Vous aviez le numéro de la chambre de Léonora… Vous êtes allé rejoindre Werth… Et les grandes explications ont eu lieu, n’est-ce pas ?

— Tout juste !

— Quand il vous a eu mis au courant de tout ça, vous l’avez abattu ?

— J’ai fait justice…

— Ne jouons pas sur les mots… C’était en effet une sale blague à faire à Léonora… Il était bien, dans cette penderie… La môme a disparu, je suppose qu’elle est recherchée par la police ?

— Évidemment.

— Parfait… Elle est obligée de se terrer dans le Barrio…

— C’est pourquoi je surveillais les environs du dancing… J’ai surpris vos allées et venues… Vous me devez une fière chandelle, non ?

Dire que ce mec, avec le grisbi chouravé en Allemagne, pourrait se la couler douce… Mais non, il faut qu’il aille se coller dans les coups foireux les plus perfides ! Il a besoin de chanstiquer la vie des gens…

— Et maintenant, je demande, où en sommes-nous, Luebig ?

CHAPITRE XXIII

Il tarde à répondre. Enfin il se lève et passe dans une petite pièce que j’estime être la cuisine. J’entends ouvrir la porte d’un frigo et il radine avec de la charcuterie de sanglier sur une assiette, des petits pains, des fruits et un kil de rouquin.

— Les émotions ne vous creusent pas, vous ? demande-t-il.

— Effectivement…

Il pioche dans l’assiette une tranche de jambon noir et la dépose entre deux tranches de pain de mie.