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— Tu veux te lancer dans la fabrication du sac de dame ?

— Il est décoré de motifs rouges…

— Tu délires, Béru, la photo n’est pas en couleurs…

— Non, mais je le sais, parce que ces sacs-là, on ne les fabrique qu’en Espagne…

Je lui arrache le carton des pattes.

— Tu en es certain ?

— Aussi certain que de ton manque absolu de savoir-vivre ! répond-il…

Et il hèle le garçon afin de lui demander une demi-bouteille dans la catégorie de bordeaux qui a ses faveurs.

Lorsque nous sommes de retour à la cité poulardienne, un préposé à la permanence nous dit que le Vieux nous attend de toute urgence dans son burlingue. Nous grimpons et, dans l’escadrin, croisons Mongin. Il dégringole du labo, des épreuves à la main.

— J’allais chez vous, justement, me dit-il.

— Du nouveau ?

— Les empreintes relevées dans la chambre du dénommé Lefranc se retrouvent chez Schwob…

— Je m’en doutais… À part ça ?

— À part ça, nous n’avons aucune empreinte en magasin présentant une similitude quelconque avec celles que j’ai découvertes.

— Tu en as trouvé beaucoup ?

— Quatre chez Schwob, une foultitude chez Lefranc… Il n’y a rien de surprenant à cela, une chambre d’hôtel, vous pensez…

— Tu n’as pas trouvé chez Lefranc des empreintes figurant chez Schwob, excepté celles de Lefranc lui-même ?

— Non… Par contre, chez Schwob j’ai prélevé des cheveux…

— Moi aussi, dis-je… J’en ai dégauchi après les papiers tue-mouches… Il y en a de trois sortes…

— Quatre…

— Si vous voulez bien passer à mon bureau, je vous montrerai…

Mais, comme le temps presse, je récapitule :

— Il y en a des blancs, des bruns, des roux… Les roux sont teints ?

— Exactement, mais il y en a de deux sortes dans les roux, et les deux sortes sont teints avec le même produit… Je pense qu’il y a des cheveux de femme et des cheveux d’homme. L’homme se serait teint avec la drogue de la femme…

Je fais claquer mes doigts et je regarde Bérurier.

— C’est un quatuor, souligne-t-il. Tu vas pouvoir jouer aux quatre coins avec eux, étant bien entendu que c’est toi qui t’y colles.

Satisfait de son éminente comparaison, il en cherche la projection humaine sur le faciès de Mongin. Manque de pot pour la vanité du Gros, le gars Mongin n’a rien entendu… Ses étagères à mégots ne fonctionnent que pour le boulot ; les astuces pitoyables, il s’assied dessus…

— Tu es toujours intéressant, lui assuré-je… T’es comme qui dirait notre premier prix de Conservatoire.

Je lui file une bourrade amicale qui fait palpiter son volumineux tarin et je poursuis l’ascension des escadrins, suivi du gros Béru qui sue et s’époumone comme un bourrin asthmatique.

Je frappe à la lourde austère du boss.

— Entrez, fait sa voix inquiétante à force de douceur…

Notre intrusion fait un peu Medrano. Avec Bérurier, lorsqu’on débouche quelque part, on est certain de ne pas passer inaperçu.

Le Vieux nous montre deux chaises.

— Vous n’apportez aucun élément nouveau ? demande-t-il d’un ton qui sous-entend : « Moi, si ! »

Je le mets au parfum de nos dernières trouvailles.

— À trois reprises vous butez sur l’Espagne, remarque-t-il.

— Oui…

— Luebig se trouve, en effet, de l’autre côté des Pyrénées. J’avais fait passer sa fiche signalétique à tous nos agents à l’étranger ; l’un d’eux, « Borrel », vient de me passer un message. Il est certain d’avoir vu Luebig là-bas… J’aurais bien chargé Borrel du… travail, mais il est très occupé et partait pour les Canaries… Alors, messieurs, préparez rapidement votre valise tandis que je fais préparer vos visas. Vous prendrez l’avion de nuit. Des chambres seront retenues à vos noms à l’hôtel Arycasa, à Barcelone. Calle March. Comme profession, nous dirons « industriels »… Entendu ?

— D’accord, patron.

— Borrel a vu Luebig sur la Rambla, ces Champs-Élysées de Barcelone.

— Merci…

Bérurier me regarde, l’air embêté. Ça ne lui chante pas, ce viron au pays des castagnettes. Il a une bonne femme qui est chaude du rez-de-chaussée et qui profite de ses absences pour se mettre à l’horizontale devant le premier monsieur qui le lui demande poliment.

D’un œil malheureux, il regarde les toits de Paname qu’on aperçoit par-dessus les rideaux de la croisée.

Le Vieux me dit :

— Étrange, cette histoire Lefranc. Voilà un individu qui faisait partie de la bande Luebig et qui l’a trahi de façon indirecte et fort astucieuse, j’en conviens…

— Oui, j’aimerais avoir une conversation avec lui…

— Tel que je vous connais, vous l’aurez d’ici peu…

— Vous êtes encourageant, chef…

Il nous tend la main.

— Vous passerez à la caisse prendre vos billets et vos devises…

— Entendu.

Le Gros et moi, on se fait la paire, l’un derrière l’autre, comme deux canards, ce qui pour des poulets est un comble !

Deuxième manche

CHAPITRE IX

Les passagers ne peuvent dormir à cause du ronflement. Pas celui de l’avion, non, celui de Bérurier. Mon pote, la grosse gonfle, en écrase comme un rouleau compresseur. Il s’est lancé sur une boutanche de rhum avant le départ et maintenant il cuve, les mains croisées sur son siège.

Par instants, il pousse de brefs gémissements, un rien pathétiques. Sans doute rêve-t-il aux ébats de Mme Bérurier. À cette heure de la noye, elle a dû réveiller le voisin d’en dessus sous prétexte qu’elle a peur des rats, quand elle reste seulâbre à la carrée.

Je considère Bérurier avec attendrissement, afin de compenser les œillades furibardes dont l’accablent les voyageurs. C’est beau, un cocu qui dort. Ça possède une certaine noblesse. Et c’est émouvant aussi. La tragédie de l’homme au repos ! Le masque de l’impuissance détendue… Le renoncement dans la souveraineté du sommeil… Oui, c’est beau, et ça n’est même pas triste…

Une petite pépée blonde, assise derrière nous, me sourit gentiment.

— Il dort bien, remarque-t-elle.

Les femmes ont le secret pour souligner les évidences.

— Il fait un concours avec le quadrimoteur…

Elle se gondole, ce qui est une gageure en avion.

— Vous allez en Espagne ? demande-t-elle, toujours avec le souci de mettre en lumière les certitudes.

J’ai envie de lui répondre qu’ayant pris place dans le Constellation de Barcelone, il est peu probable que j’aille au Labrador, mais la courtoisie a toujours été ma vertu d’élection.

— Oui, dis-je.

Et pour lui montrer que, moi aussi, je sais jouer avec les mots, j’ajoute :

— Vous aussi ?

Alors je me rends compte que j’ai commis une imprudence parce que cette banale question, qui n’en est du reste pas une, ouvre les vannes aux confidences. Elle me raconte sa vie depuis sa première Blédine jusqu’à la seconde présente. J’apprends de la sorte que son père la battait ; que sa mère était protestante, que sa frangine s’est laissé plomber un polichinelle signé anonyme, et qu’elle part à Barcelone pour tourner une barmaid dans une coproduction franco-espago. Je me branche en déclarant que je voudrais bien être servi par une barmaid roulée comme elle… Elle se marre et pile au-dessus des Pyrénées, tout obstacle étant aboli, je lui file la ranque pour un de ces quatre soirs. C’est d’autant plus fastoche qu’elle aussi descend à l’Arycasa, le super-palace de Barcelone…