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Je me dis : de deux choses l’une, ou bien j’obtempère et le type va m’intimer de descendre et me réclamer mes fafs, ou bien je fonce et il me défouraille dessus.

C’est mon instinct qui choisit. Je fous mes loupiotes plein phares, et j’appuie aussi fort que je le puis sur l’accélérateur et le cerclo commandant l’avertisseur. L’auto bondit en lançant une clameur féroce. Comme prévu, le vigile balance sa purée, mais en sautant de côté pour tirer sa couenne. J’ignore combien il a valdé de balles, tout ce que je sais, c’est que l’une d’entre elles pulvérise notre pare-brise. Tout à coup, j’y vois ballepeau. Mais c’est pas le moment de chipoter sur les détails et j’enfonce le mousseron pour mettre très vite un maximum d’espace entre sa pétoire de merde et nous. Ce faisant, je défonce une barrière de bois. L’un de mes phares éclate. Nous voici cyclopes. Tout en continuant de foncer, j’essaie de me repérer en regardant par la vitre latérale. Bourrique amère ! Je ne vois plus le chemin. Et je me paie une partie de cross country. Des détonations continuent de zinzoumer sur l’arrière. J’entends pleuvoir sur la carrosserie. Heureusement que G.M. travaille dans le costaud. Abigail me vient en aide en déblayant le verre opacifié du pare-brise avec l’une de ses chaussures utilisée comme marteau. Elle m’aménage une brèche ronde par où le vent de la vitesse s’engouffre mais qui me permet de voir devant moi. Juste comme j’allais percuter un gros pommier venu se placer pile devant notre capot déjà meurtri. Freinage. Manœuvre. Décarrade.

Je retrouve le chemin et frictionne l’accélérateur. Bientôt, c’est la route…

— C’est ce qui s’appelle l’avoir dans le cul ! grommelé-je.

— Que dites-vous ? s’inquiète ma compagne.

Allons bon, j’ai parlé français. Il est vrai que les choses de l’âme s’expriment mieux dans sa langue maternelle.

— Je dis que c’est un pur bonheur que de se balader par une nuit pareille, traduis-je.

Abigail éclate d’un rire un transisoit hystérique. Lorsqu’elle s’est calmée, elle demande, d’une voix parfaitement calme :

— Avez-vous des projets précis, darling, ou bien roulez-vous à l’aventure ?

— J’ai des projets somptueux, ma poule ; dont un qui supplante nettement les autres.

— Et qui est ?

— De sauver ma peau. D’ici beaucoup moins que pas longtemps, nous allons avoir une folle quantité d’effectifs policiers aux chausses. Si je suis arrêté, je serai convaincu de meurtre et de rapt, ce qui solutionne mes préoccupations concernant ma retraite future, assuré que je serai de rempailler des chaises dans un pénitencier jusqu’à la fin de mes jours, à moins que dans cet Etat, la peine de mort ne soit toujours en vigueur, naturellement.

— Et de quelle façon espérez-vous sauver cette merveilleuse peau dont je ne me lasserai jamais, mon amour ?

— D’abord en changeant de voiture, et tout de suite après, de contrée.

L’enseigne verte d’un motel attire mon attention. Je me tais, les nerfs tendus, l’œil réduit aux aguets. Il est foutrement tard et tout le monde paraît roupiller dans cette aimable communauté.

— Descendez, petite âme, invité-je.

— Pourquoi ?

— Je vais aller changer de bagnole dans le parking et je n’ai pas envie que vous essuyiez une nouvelle fois des rafales de pruneaux au cas où il serait gardé.

Elle hésite, puis consent à descendre.

— Vous en aurez pour longtemps ? chuchote-t-elle.

— Pour cinq minutes ou pour cinquante ans, réponds-je en embrayant.

XIII

LA TIRELIRE

Et tout se passa aimablement. Je pus changer ma voiture borgne (elle avait un phare brisé, ne l’oublie pas) contre une aveugle (puisqu’au moment où j’empruntai la seconde, ses phares étaient éteints). Je jetai mon machin, comment qu’on dit déjà ? Dévolu ! Merci. Je jetai donc mon dévolu (et un dévolu absolument neuf qui aurait pu me faire de l’usage, mais quoi, quand on est d’un tempérament gaspilleur on ne se refait pas) sur une superbe Cadillac Séville qui ressemblait à un sorbet vanille-pistache. Il était trois heures et quelque chose du matin. Nous pouvions donc espérer jouir de trois à cinq heures de liberté, selon que le proprio de la Cad’ était un lève-tôt ou un trainailleur. Liberté aussi relative que provisoire, car cet empaffé de vigile avait dû balancer notre signalement. Encore qu’ébloui par mes loupiotes, et malgré la force de la sienne, il n’avait pu nous retapisser en détail.

Toujours était-il qu’il me fallait me manier la rondelle si je voulais m’arracher à ce monumental merdier.

Je retrouvas la môme Abigail claquant des chailles sous un arbre. Elle montit auprès de moi, et nous partissâmes à la belle aventure, un peu épuisés de partout, vu que la noye tirassait en longueur et que les émotions t’effilochent le système nerveux.

Je parcouras une demi-douzaine de kilomètres avant d’aborder le gras du sujet.

— Abigail, mon amour, fis-je à voix clarinette (je veux dire claire et nette), vous m’avez dit, avant notre fuite, que vous saviez où vous procurer beaucoup d’argent. Le moment est venu d’aller chercher ce magot. Je suppose qu’il s’agit des deux millions de dollars remis à Fratelli ?

A quoi bon biaisouiller puisqu’elle est au courant de ce qui a provoqué ma venue chez Meredith.

D’ailleurs, elle rétorque, très spontanément :

— Oui, en effet.

— Puis-je vous demander où roupille ce fric ?

— Dans un coffre de banque.

— Vous possédez la signature ?

— Oui. Jimmy et moi partagions tout.

— Vous avez testé en sa faveur et lui vous donnait procuration sur ses combines ?

Elle opine.

— Dites donc, vous n’avez pas de papiers à votre nom puisque vous avez emprunté et bricolé ceux de Dolorosa ; jamais on ne vous laissera accéder au coffre.

— Il s’agit d’un coffre loué sous numéro, car il se trouve dans la succursale d’une banque suisse. Il me suffit de signer en écrivant les chiffres en lettres. Le préposé confrontera les écritures et me laissera ouvrir le compartiment.

— Car vous possédez la clé ?

— Oui.

— Pendant seize ans vous avez réussi à la conserver ?

Elle caresse le clip fermant son col.

— Elle est là, Jimmy avait fait réaliser ce bijou spécialement pour qu’on puisse y loger la clé.

— Bravo. Alors, direction ?

— New York.

Je me livre (pieds et poings liés) à un rapide calcul. Me dis exactement ceci : de Waginston à Nouillork, il y a environ cinq cents kilbus. Par l’autoroute, ça va chercher cinq plombes, la vitesse y étant limitée. Or, dans cinq heures d’ici, le proprio de la Séville se sera aperçu de la substitution de bagnole. L’autre tire étant pleine de sang à l’arrière, les archers vont se manier le train pour nous courser. Nous serons automatiquement coiffés sur le ruban d’autoroute comme dans une nasse. Prendre le train présenterait le même danger. Le mieux serait peut-être d’aller à Washington en espérant trouver de la place à bord d’un zinc ultra matinal. Seulement notre signalement a été répandu par les sbires du père Meredith et nous risquons pareillement d’être poivrés. Cruel dilemme.