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J’en suis là de mes réflexions pessimardes lorsque je parviens à l’hauteur d’une aire de parking. L’esplanade est seulement occupée par un camping-car boueux, sur les flancs duquel on a peint le drapeau suédois, lequel, comme tu le sais, se compose d’une croix jaune sur fond bleu clair. Faudrait t’énoncer ça en langage héraldique, mais je cause mal ce dialecte ampoulé. Quelque diable me poussant, je file un coup de patin et viens me ranger le long du gros véhicule. Je quitte mon siège pour m’annoncer à la porte latérale du camping-car. Je biche la poignée et la fais coulisser doucement, vu que les occupants, pas trouillards, se sont abstenus de verrouiller à l’intérieur. Les Nordiques ont beau être des gens extrêmement hygiéniques, ça fouette la ménagerie là-dedans. J’escalade le marchepied et découvre que trois personnes occupent cet appartement mobile : un couple de jeunes et une assez vieille personne. Le couple pionce dans le lit rabattable, la mémé en écrase sur une banquette aménagée en plumard. Ces gens du Nord ont la conscience tellement tranquille qu’ils dorment comme trois souches, sans que mon irruption ne les arrache des bras de Morphée. La vioque ronflotte mélodieusement, en sifflant du naze. Son dentier fait trempette dans un verre d’eau posé sur la table fixe. Sympa. Heureusement que les Suédois baisent peu : seulement une fois au cours de la nuit polaire, m’a-t-on dit, et afin d’assurer la reproduction de l’espèce, sinon cet aimable couple serait mal à l’aise pour limer avec la grande vioque à cinquante centimètres de lui.

Je fais signe à ma gentille Abigail de venir me rejoindre ; ce dont.

Lui confie alors le pistolet prélevé sur feu Martin Fisher.

— Quand ils vont se réveiller, vous les braquez gentiment, chuchoté-je pour les faire tenir tranquilles.

Là-dessus, j’embage le siège avant. La clé de contact est au tableau. Un quart de tour suffit pour que le moteur se mette à tourner. Ça réveille l’homme, lequel se dresse illico en demandant :

— Qu’est-ce que c’est ? en scandinave.

— Juste une promenade en famille, lui réponds-je. Surtout tenez-vous bien tranquilles, tous les trois, et je vous paierai l’essence. Vous pouvez continuer de dormir pendant que je conduirai, je suis très prudent, vous savez…

Il comprend l’anglais ; fatalement, si les Suédois ne parlaient pas de vraies langues, ils resteraient chez eux à sucer de la glace.

Je démarre. La grande vioque n’a pas que son dentier auprès d’elle, y a aussi son sonotone. Déconnectée, elle est bonnarde pour ne s’éveiller qu’à New York-les-bains. Elle s’évite ainsi des émotions sur son Epéda multispires et rêve que le roi de Suède la demande en mariage.

Il n’est pas son cousin !

Pas la moindre encombre !

New York est là, formidable, à perte de vue, superbe et crasseux, marin et terre à terrien à la fois, scintillant et puant la frite à la graisse de cheval mécanique. Un soleil d’Austerlitz, voire de Montparnasse, fait rutiler les millions de vitres des gratte-ciel.

Nos Suédois n’ont pas bronché. La mammy dort encore, comme prévu. Le couple, blotti sous son drap, est resté coi sous la menace du revolver.

Je me range dans un parking et je jette un billet de cinquante dollars sur le lit des gentils Scandinaves (plus naves que scandi d’ailleurs).

— Pour les frais, avec nos excuses. C’est ça, l’Amérique, les gars, vous raconterez le gag à vos potes, le soir, en mangeant du hareng.

J’aide Abigail à descendre. Avant de relourder la porte à glissière, je leur dis :

— Un conseil : ne prévenez pas la police, ils vont vous faire suer avec leur chiasse de paperasserie la journée entière.

Mon petit doigt me dit que ces ahuris vont accepter leur aventure avec philosophie. Après tout, je ne leur ai causé aucun préjudice matériel, t’es bien d’accord ?

Chose curieuse, malgré le sommeil qui brûle mes chères paupières, je me sens d’attaque. Nous allons écluser un caoua dans un bar, après quoi j’hèle un beau taxi à damiers jaune et noir comme il en pullule aux States où l’on a tellement le sens inné du bon goût et de la sobriété monacale.

Direction, la Glotmuch Zurichoise Bank.

En cours de route, je fais part à Abigail du doute qui m’assaille.

— Depuis seize ans, la location du coffre n’a pas été réglée, lui dis-je, ne craignez-vous pas que le fondé de pouvoir de cet établissement, devant cette carence, ait disposé de son contenu ?

Elle n’est pas fille de businessman pour rien, ma petite camarade.

— Comme vous y allez ! On voit que les choses bancaires vous sont étrangères. De toute manière, Fratelli avait ouvert un compte courant sous le même numéro et le montant de la location a été prélevé dessus régulièrement.

Sa parfaite tranquillité me rassure. Et puis je me dis que j’en ai rien à branlocher de ce flouze. S’il se trouve toujours dans son nid, tant mieux. Abigail le prendra et j’essaierai de l’embarquer sous de meilleurs cieux où elle pourra s’organiser une existence convenable. Ma foireuse mission sera alors terminée.

Au fond, dans toute cette aventure, j’aurai joué un rôle de mercenaire. Au service du clan Martin Fisher d’abord, puis de la fille Meredith ensuite. Il fait un exercice de style gratis, le bel Antonio. Ni lui, ni la police française n’ont le moindre intérêt dans ce rodéo ricain. C’est du temps perdu, du danger encouru pour peau-de-zob. Franchement, le plus beau coup fourré de ma carrière. Venu en Amerloquerie pour étudier le comportement d’un sexologue qu’on prétendait membre de la C.I.A. ainsi que la vie quotidienne d’une ville sans criminels, je me suis trouvé embarqué dans une galère merdique. Je risque d’y laisser ma carcasse et, en prime, ma réputation, plus celle de l’Administration française. Je connais des types beaucoup plus cons que moi qui ont réussi des affaires plus prospères.

La banque est une construction basse, de dix-huit étages seulement, tout en verre noir et le drapeau helvétique se détache là-dessus fièrement. O monts indépendants, écoutez nos accents, nos libres chants ! (Un préposé plus affable que Florian (j’ai déjà fait le calembour avec La Fontaine) reçoit Abigail avec empressement, confronte la signature qu’elle lui soumet avec celle qu’elle déposa céans voici pas loin de vingt piges, opine du bonnet, prend une clé, libère des signaux protecteurs, nous guide dans des sous-sols fortifiés, nous fait passer des grilles dont les portes se commandent grâce à des combinaisons à volants magnétiques et coercisteurs déphasés ; tout ça…

Enfin on se pointe devant un beau coffiot rembourré en extrait d’acier. Il y fiche sa clé, puis la clé que lui présente Abigail, il crique-craque. Je vous en prie, madame, avec un accent suisse-allemand qui sent l’Emmenthal. Vous n’aurez qu’à « peser » sur ce bouton de sonnette lorsque vous aurez fini de terminer. Abigail remercie que oui monsieur. Le Suissaga s’extirpe. J’ouvre la porte du coffre, le cœur me tambourinant les cerceaux, comme chaque fois dans un film d’épouvante quand la lourde des oubliettes commence à remuer, tu te rappelles ?

Elle, la gosseline attardée, plus décontracte qu’une péripatéticienne renfilant sa culotte après s’être épongé un quincaillier de province venu au Salon de l’Outil.

Je me dis : « Et s’il était vide, ce con de compartiment » ? Seize ans ! Dans un milieu de malfrats, d’espions, de requins. En pleine Amériquerie, merde, il peut s’en passer des choses et des muscades, non ? Et dans un polar à moi, donc ! Car faut pas que j’oublie les coups de théâtre. Or ce serait l’occase d’un d’eux, non ? Le coffre vide ! A la place, une carte de visite signée Arsène Lupin ! T’en ferais une bouille ! Je l’imagine ici. Mais rassure-toi, bout d’homme, il n’est point vide, le C.F. à Fratelli. Une grosse serviette de cuir noir s’y trouve, vachetement rebondie. Elle est munie d’un fermoir chromé et de deux brides supplémentaires de fixation.