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Fandorine se borna à acquiescer d'un mouvement du buste, sans rien ajouter.

En route, ils n'eurent guère le loisir de " bavarder ". En effet, alors qu'ils avaient déjà pris place dans le carrosse - le gouverneur sur la confortable banquette rembourrée, Eraste Pétrovitch sur le banc tendu de cuir qui lui faisait face -, la portière se rouvrit, et Frol Védichtchev, le valet de chambre du prince, se hissa à l'intérieur en aha-nant. Il s'installa sans façon à côté du prince et cria au cocher :

- C'est bon, Michka, tu peux y aller !

Puis, sans accorder la moindre attention à Eraste Pétrovitch, il se tourna vers Dolgoroukoï et déclara d'un ton sans réplique :

- Je viens avec vous, Vladimir Andréiévitch.

- Mon bon Frol, protesta timidement le prince, pour ce qui est de mon médicament, je l'ai pris. Et

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maintenant, ne me dérange plus, j'ai à parler de choses importantes avec monsieur Fandorine.

- Votre discussion peut attendre, fit le despotique vieillard avec un geste furieux de la main. C'est quoi ces papiers que Pétroucha a essayé de vous faire signer ?

- Tiens, Frol, regarde, dit Vladimir Andréiévitch en ouvrant la chemise. Ça, c'est une commande au peintre Guéguétchkori pour l'achèvement des fresques de la cathédrale. Tu vois, un devis a même été établi. Et ça, c'est un contrat avec l'entrepreneur Zykov. Nous allons creuser une voie ferrée sous Moscou pour pouvoir nous déplacer plus rapidement. Et le dernier papier concerne la baisse du prix du gaz.

Védichtchev jeta un coup d'oil aux documents et déclara d'un ton péremptoire :

- Il ne faut pas confier les fresques de la cathédrale à ce Guéguétchkori, c'est une fripouille notoire. Vous feriez mieux d'en charger un de nos peintres de Moscou. Eux aussi ont besoin de vivre. Ça reviendrait moins cher, et ce ne serait pas moins beau. Et d'ailleurs, où prendre l'argent ? Vous savez bien que les caisses sont vides ! Quant à ce Guéguétchkori, il a promis à votre Pétroucha de lui décorer sa datcha d'Alabine. Maintenant vous comprenez pourquoi Pétroucha se décarcasse pour lui.

- Tu penses donc qu'il ne faut pas passer commande à Guéguétchkori ? demanda Dolgoroukoï d'un air pensif en glissant le document sous les deux autres.

- Il n'en est même pas question, trancha Frol. C'est comme ce métropolitain, ça n'a aucun sens. Quelle idée d'aller faire un trou dans la terre pour

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s'en mettent bien assez dans les poches comme ça !

- Bon ! bon ! donne-moi tes documents, je les lirai dans la voiture et je les signerai, fit Dolgoroukoï en se levant. Il faut vraiment que j'y aille. Ça la fiche mal de faire attendre un personnage important. Venez, Eraste Pétrovitch, on bavardera en route.

Dans le couloir, Fandorine demanda du ton le plus respectueux :

- Est-ce possible, Excellence, comme j'ai cru le comprendre, que l'empereur ne vienne pas ? Sobolev n'était tout de même pas n'importe qui !

Dolgoroukoï jeta à l'assesseur de collège un regard de biais et dit avec gravité :

- Il ne l'a pas jugé possible. Il nous envoie son frère, Cyril Alexandrovitch. Quant à ses raisons, cela n'est pas de notre ressort.

Fandorine se borna à acquiescer d'un mouvement du buste, sans rien ajouter.

En route, ils n'eurent guère le loisir de " bavarder ". En effet, alors qu'ils avaient déjà pris place dans le carrosse - le gouverneur sur la confortable banquette rembourrée, Eraste Pétrovitch sur le banc tendu de cuir qui lui faisait face -, la portière se rouvrit, et Frol Védichtchev, le valet de chambre du prince, se hissa à l'intérieur en aha-nant. Il s'installa sans façon à côté du prince et cria au cocher :

- C'est bon, Michka, tu peux y aller !

Puis, sans accorder la moindre attention à Eraste Pétrovitch, il se tourna vers Dolgoroukoï et déclara d'un ton sans réplique :

- Je viens avec vous, Vladimir Andréiévitch.

- Mon bon Frol, protesta timidement le prince, pour ce qui est de mon médicament, je l'ai pris. Et

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maintenant, ne me dérange plus, j'ai à parler de choses importantes avec monsieur Fandorine.

- Votre discussion peut attendre, fit le despotique vieillard avec un geste furieux de la main. C'est quoi ces papiers que Pétroucha a essayé de vous faire signer ?

- Tiens, Frol, regarde, dit Vladimir Andréiévitch en ouvrant la chemise. Ça, c'est une commande au peintre Guéguétchkori pour l'achèvement des fresques de la cathédrale. Tu vois, un devis a même été établi. Et ça, c'est un contrat avec l'entrepreneur Zykov. Nous allons creuser une voie ferrée sous Moscou pour pouvoir nous déplacer plus rapidement. Et le dernier papier concerne la baisse du prix du gaz.

Védichtchev jeta un coup d'oil aux documents et déclara d'un ton péremptoire :

- Il ne faut pas confier les fresques de la cathédrale à ce Guéguétchkori, c'est une fripouille notoire. Vous feriez mieux d'en charger un de nos peintres de Moscou. Eux aussi ont besoin de vivre. Ça reviendrait moins cher, et ce ne serait pas moins beau. Et d'ailleurs, où prendre l'argent ? Vous savez bien que les caisses sont vides ! Quant à ce Guéguétchkori, il a promis à votre Pétroucha de lui décorer sa datcha d'Alabine. Maintenant vous comprenez pourquoi Pétroucha se décarcasse pour lui.

- Tu penses donc qu'il ne faut pas passer commande à Guéguétchkori ? demanda Dolgoroukoï d'un air pensif en glissant le document sous les deux autres.

- Il n'en est même pas question, trancha Frol. C'est comme ce métropolitain, ça n'a aucun sens. Quelle idée d'aller faire un trou dans la terre pour

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y faire rouler une locomotive ! C'est balancer l'argent de l'Etat par les fenêtres ! Qu'est-ce qu'on va pas chercher !

- Non, cette fois tu n'as pas raison, objecta le prince. Le métropolitain, c'est une bonne chose. Regarde un peu cette circulation, c'est à peine si on avance !

Et c'était vrai. Depuis qu'il avait tourné dans la rue Néglinnaïa, le carrosse du gouverneur était immobilisé, et les gendarmes de l'escorte avaient beau se démener en tous sens, ils n'arrivaient pas à dégager la voie, encombrée comme tous les samedis par les télègues et les chariots des marchands.

Védichtchev secoua la tête, comme pour signifier que le prince aurait dû comprendre de lui-même qu'il avait tort de s'obstiner.

- C'est sûr, les conseillers municipaux vont dire que cette fois Dolgoroukoï a complètement perdu la tête. Et, à Piter, vos ennemis ne vous épargneront pas non plus. Ne signez pas, Vladimir Andréiévitch !

Le gouverneur eut un soupir attristé et écarta à son tour le second document.

- Et pour le gaz, qu'est-ce que je fais ? Védichtchev prit la note, 1 éloigna de ses yeux et remua les lèvres.

- Celui-là, ça va, vous pouvez le signer. La ville y gagne, et ça soulagera les Moscovites.

- C'est aussi ce que je pense !

Son visage s'illuminant, le prince déploya un petit pupitre fixé à la portière, comportant un nécessaire d'écriture, et apposa sur le troisième document une ample signature.

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Abasourdi par cette scène incroyable, Eraste Pétrovitch s'appliquait à faire comme si de rien n'était et regardait par la fenêtre avec un intérêt croissant. C'est alors qu'ils arrivèrent devant la maison de la princesse Béloselskaïa-Bélozerskaïa qui accueillait chez elle le duc de Lichtenbourg et son épouse. Née Zinaïda Dmitrievna Soboleva, cette dernière avait reçu par son mariage morganatique le titre de comtesse Mirabeau.

Eraste Pétrovitch savait qu'Evguéni de Lichtenbourg, major général de la garde russe et chef des cuirassiers impériaux de Potsdam, était un neveu de l'empereur Nicolas Ier. Le duc n'avait pourtant pas hérité du célèbre regard de basilic de son terrible grand-père, l'empereur Paul : les yeux de Son Excellence étaient du bleu de la faïence saxonne, et, derrière leur pince-nez, ils vous considéraient avec douceur et respect. La comtesse en revanche ressemblait beaucoup à son illustre frère. A première vue elle n'avait pas la même prestance, ni son allure martiale, et l'ovale de son visage était doux, mais ses yeux bleus étaient en tout point semblables. On ne pouvait s'y tromper, elle appartenait à la même lignée, celle des Sobolev. Dès le départ, l'entretien partit dans tous les sens.