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Fandorine s'était retourné vers l'employé d'un air impatient :

" Alors, qu'est-ce que tu attends ? Apporte des bougies. "

Et il avait pénétré dans le royaume de la mort.

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Dieu merci, le cercueil était fermé, sinon, au lieu d'entreprendre ce qu'il avait à faire, il lui aurait sans doute fallu s'occuper de la demoiselle. Près du chevet, un livre de prières était ouvert et un gros cierge achevait de se consumer.

" Madame, avait lancé Fandorine en se tournant vers le salon. Je vous prie de ne pas entrer dans cette pièce. Vous me gêneriez. (Puis, s'adressant en japonais à Massa :) Vite, la lampe ! "

Muni de sa lampe électrique anglaise, il s'était dirigé vers le coffre. Braquant la lumière sur le trou de la serrure, il avait lancé par-dessus son épaule :

" Loupe numéro quatre ! "

Voyez-moi ça ! Ils avaient dû la tripoter, cette fichue porte, à en juger par la quantité d'empreintes. Deux ans auparavant, au Japon, Eraste Pétrovitch, aidé du professeur Garding, avait réussi à retrouver l'auteur d'un double assassinat dans le quartier anglais en relevant des empreintes digitales sur les lieux du crime. Cette nouvelle méthode faisait maintenant fureur, mais, en Russie, il faudrait des années pour mettre en place un laboratoire de dactyloscopie et des fichiers. Quel dommage, les traces étaient si nettes ! Et juste à proximité du trou de la serrure. Bon, voyons maintenant ce que nous avons à l'intérieur.

" Loupe numéro six. "

Ce fort grossissement faisait apparaître avec netteté des griffures fraîches. Le coffre avait donc été ouvert à l'aide d'un rossignol, et non avec une clé. Par ailleurs, chose étrange, il restait des traces d'un produit blanc dans la serrure. Fandorine en avait prélevé une minuscule pincée, qu'il avait examinée. De la cire, apparemment. Curieux.

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Soudain, dans son dos, une petite voix fine et tendue s'était fait entendre.

" C'est dans ce fauteuil qu'on l'a trouvé ? "

Eraste Pétrovitch s'était retourné, contrarié. Ekatérina Alexandrovna se tenait sur le seuil, serrant frileusement ses bras autour d'elle. La demoiselle ne regardait pas le cercueil, elle faisait même tout son possible pour l'éviter. Non, elle examinait le fauteuil dans lequel Sobolev était censé avoir trouvé la mort. En tout cas, s'était dit Fandorine, elle n'a sûrement pas besoin de savoir où les choses se sont vraiment passées.

" Je vous avais demandé de ne pas entrer ! " avait-il sèchement lancé à l'institutrice, sachant qu'en pareille circonstance la sévérité est plus efficace que la compassion.

Que la bien-aimée du défunt général se souvienne de ce qui les avait amenés ici en pleine nuit. Qu'elle s'en souvienne, et qu'elle se ressaisisse. Ekatérina Alexandrovna avait fait demi-tour et regagné le salon.

" Asseyez-vous, lui avait crié Fandorine. Cela peut être long. "

L'examen méticuleux des lieux avait pris plus de deux heures. Le portier, qui avait depuis longtemps cessé d'avoir peur du cercueil, s'était installé dans un coin et somnolait doucement. Massa suivait son maître telle une ombre en fredonnant une chanson et en lui tendant de temps à autre les instruments qu'il réclamait. Ekatérina Alexandrovna ne s'était plus montrée. A un moment, Fandorine avait jeté un regard dans le salon : elle était assise à la table, le front appuyé sur ses bras croisés. Comme si elle avait senti le regard posé sur elle, elle avait sursauté, foudroyé l'assesseur de collège

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d'un coup d'oil incendiaire, mais n'avait posé aucune question.

Ce n'est qu'à l'aube, quand la lampe était devenue inutile, que Fandorine avait enfin trouvé un indice. Sur l'appui de la fenêtre la plus à gauche se dessinait la trace ténue d'une semelle : fine, féminine, mais la chaussure était de toute évidence celle d'un d'homme. A la loupe, on pouvait distinguer un dessin à peine perceptible composé de croix et d'étoiles. Eraste Pétrovitch avait levé la tête. Le vasistas était entrouvert. S'il n'y avait eu cette empreinte, il n'aurait accordé aucune importance à ce détail, le passage étant extrêmement étroit.

Il avait interpellé le portier endormi : " Eh ! l'ami, réveille-toi ! Est-ce que le ménage a été fait dans l'appartement ?

- Bien sûr que non, avait répondu le garçon en se frottant les yeux. Quelle idée ! Vous voyez bien vous-même. "

Et d'un bref signe de tête il avait indiqué le cercueil.

" Et est-ce que les fenêtres ont été ouvertes ?

- Je ne peux pas le savoir. Mais j'en doute. Là où se trouve un mort, on n'ouvre pas les fenêtres. "

Eraste Pétrovitch avait examiné les deux autres fenêtres, sans plus rien trouver de notable.

A quatre heures et demie, il avait fallu interrompre l'inspection, le maquilleur et ses aides venant d'arriver afin de préparer Achille pour son dernier voyage.

L'assesseur de collège avait libéré le portier et pris congé d'Ekatérina Alexandrovna sans rien lui dire. Elle lui avait fermement serré la main, l'avait regardé dans les yeux d'un air scrutateur, mais

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avait su s'abstenir de paroles superflues. On l'a dit, c'était une Spartiate.

Eraste Pétrovitch avait hâte de se retrouver seul pour réfléchir aux résultats de sa perquisition et élaborer un plan d'action. Malgré sa nuit blanche, il n'avait pas du tout sommeil et n'éprouvait aucune fatigue. De retour dans sa chambre, il entreprit son travail d'analyse.

Apparemment, cette visite nocturne à l'appartement 47 n'avait pas donné grand-chose, pourtant le tableau qui se dessinait était assez clair.

A dire vrai, dans un premier temps, l'idée qu'on ait assassiné le héros national pour de l'argent était apparue à Fandorine comme une hypothèse improbable et même loufoque. Pourtant, quelqu'un était entré par le vasistas durant la nuit. Quelqu'un qui avait ouvert le coffre et dérobé la serviette. Et la politique n'avait rien à voir là-dedans. Le voleur n'avait pas emporté les documents gardés dans le coffre, alors que ceux-ci étaient suffisamment importants pour que Goukmassov juge nécessaire de les enlever avant l'arrivée des autorités. On pouvait en conclure que celui qui avait forcé le coffre-fort ne s'intéressait qu'à la serviette.

Autre détail important : le voleur savait que Sobolev était absent de chez lui et qu'il ne risquait pas de rentrer à l'improviste ; il avait en effet pris tout son temps pour ouvrir la serrure. Le plus intéressant était cependant que, délesté de son contenu, le coffre n'avait pas été laissé ouvert mais soigneusement refermé, ce qui, comme on le sait, demande beaucoup plus de temps et de savoir-faire que de l'ouvrir. Pourquoi prendre ce risque supplémentaire, dans la mesure où la disparition de la serviette serait de toute façon découverte

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par son propriétaire ? Et pourquoi ressortir par le vasistas quand on pouvait passer par la fenêtre ? Conclusions...

Fandorine se leva et fit quelques pas dans la pièce.

Le voleur savait que Sobolev ne reviendrait plus. Du moins vivant. Et d'un.

Il savait également que personne, en dehors du général lui-même, ne partirait à la recherche de la serviette, puisque Sobolev était le seul à savoir qu'elle contenait un million de roubles. Et de deux.

Tout cela supposait un degré d'information absolument fantastique. Et de trois.

Et, bien sûr, quatre : il était indispensable de retrouver le voleur. Ne serait-ce que parce qu'il n'était peut-être pas seulement le voleur, mais également l'assassin. Un million constitue un mobile sérieux.

Retrouver le voleur, facile à dire. Mais comment ?

Eraste Pétrovitch s'installa à sa table et prit du papier à lettres.

Soucieux de ne pas gêner son maître dans l'appréhension du sens de la Grande Spirale sur laquelle sont enfilées toutes les causes et toutes les conséquences, les plus grandes comme les plus petites, Massa était jusqu'à cet instant resté collé au mur, essayant même de faire le moins de bruit possible en respirant. Mais là, il bondit en demandant :