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Il avait alors glissé dans la serrure un passe-partout qu'il s'était mis à tourner méthodiquement et régulièrement vers la droite et vers la gauche. En matière de casse de coffres-forts, il se considérait comme un amateur, mais en une longue carrière que n'apprenait-on pas ? A la quatrième minute, il avait entendu un déclic : c'était la première des trois tiges de la serrure qui sortait. Les deux autres lui avaient pris moins de temps, deux minutes environ.

La porte d'acier avait émis un grincement. Akhimas avait glissé la main et trouvé à tâtons des feuilles de papier. S'éclairant avec sa lampe, il avait constaté qu'il s'agissait de listes de noms et de schémas. Monsieur X aurait sans doute été heureux de posséder ces papiers, mais les conditions du contrat ne prévoyaient pas le vol de documents.

Et, pour l'heure, Akhimas avait autre chose en tête. Une surprise l'attendait : la serviette n'était pas dans le coffre.

Akhimas avait passé tout le vendredi sur son lit, plongé dans des réflexions intenses. Il savait d'expérience que, confronté à une situation délicate, il ne faut surtout pas se laisser aller à son premier mouvement, mais faire le mort, se ramasser comme le fait le cobra avant de bondir, rapide comme l'éclair, pour porter la mort. Si les circonstances le permettent, bien sûr. En l'occurrence, elles le permettaient puisque les mesures de prudence essentielles avaient été prises. La nuit précédente, Akhimas avait quitté le Métropole pour s'installer à La Trinité, un ensemble de garnis

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situé à l'emplacement d'une ancienne hôtellerie de monastère. Les ruelles sales et tortueuses de ce quartier étaient à deux pas de la Khitrovka, or c'était là et nulle part ailleurs qu'il fallait chercher la serviette.

En quittant le Métropole, Akhimas n'avait pas pris de voiture. Il avait commencé par tourner un long moment dans les rues encore plongées dans l'obscurité de la nuit pour s'assurer qu'il n'était pas suivi, et, à La Trinité, il s'était inscrit sous un nouveau nom.

La chambre était sombre et malpropre, mais bien située, avec une entrée indépendante et une excellente vue sur la cour.

Il avait besoin d'analyser sérieusement ce qui s'était passé.

La nuit précédente, il avait soigneusement fouillé l'appartement de Sobolev sans trouver la serviette. En revanche, sur le rebord de la fenêtre située à l'extrémité de la chambre et solidement fermée, il avait trouvé une petite plaque de boue. Il avait levé la tête : le vasistas était entrouvert. Quelqu'un était récemment sorti par là.

Akhimas avait longuement regardé le vasistas, réfléchi et tiré des conclusions.

Il avait enlevé la plaque de boue et fermé la fenêtre par laquelle il était entré.

Il était ressorti de la chambre par la porte, qu'il avait ensuite refermée de l'extérieur à l'aide de son passe-partout.

Le hall de l'hôtel était sombre et silencieux, seule une bougie brûlait sur le comptoir de la réception, près du veilleur de nuit. Celui-ci somnolait et n'avait pas remarqué la sombre silhouette qui venait de surgir sans bruit du couloir. Quand la clochette avait retenti, il s'était redressé, mais le client était déjà dans la rue. Nom d'un chien, pas moyen de dormir, avait-il marmonné en bâillant avant d'aller remettre le verrou.

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Akhimas marchait à grandes enjambées en direction du Métropole, réfléchissant à ce qu'il convenait d'entreprendre à présent. De noir, le ciel commençait à devenir gris ; fin juin les nuits sont courtes.

Un équipage avait tourné le coin, et Akhimas avait reconnu la silhouette du capitaine de Cosaques de Sobolev. Celui-ci enlaçait une silhouette blanche, qu'un autre officier soutenait de son côté. La tête de l'homme en blanc ballait au rythme des cahots. Deux autres voitures suivaient.

Tiens, avait pensé distraitement Akhimas, je me demande comment ils vont s'y prendre pour passer devant le veilleur de nuit. Ils trouveront bien quelque chose, ils ne sont pas militaires pour rien !

Le chemin le plus court pour rejoindre le Métropole passait par une cour intérieure, et Akhimas l'avait empruntée plus d'une fois au cours des dernières quarante-huit heures. Comme il venait de s'engager sous la voûte sombre qui y menait, ses pas résonnant sur les pavés, il avait soudain senti une présence étrangère. Il ne l'avait perçue ni par la vue ni même par l'ouïe, mais par un étrange et inexplicable sentiment périphérique qui, par le passé, lui avait bien des fois sauvé la vie. La peau de sa nuque avait comme deviné un vague mouvement, un léger frémissement de l'air. Cela pouvait être un chat se faufilant ou bien un rat grimpant sur un tas d'ordures, et, dans ces cas-là, Akhimas n'avait pas peur de paraître ridicule à ses propres yeux : sans hésiter, il avait fait un bond de côté.

Sa joue avait senti comme un courant d'air venu d'en haut. Du coin de l'oil, Akhimas avait entrevu, tout près de son oreille, l'éclat pâle d'une lame d'acier fendant l'air. D'un mouvement rapide, fruit d'une longue expérience, il avait saisi son " velodog " et tiré sans viser. Un cri sourd avait retenti, une silhouette avait filé. Le rattrapant d'un bond, Akhimas avait asséné au fuyard un vigoureux coup de canne.

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Puis il avait éclairé l'homme à terre avec sa petite lanterne. Visage grossier, bestial. A travers ses cheveux gras et emmêlés coulait un sang noir. Les doigts courts et puissants qui pressaient son flanc étaient également luisants de sang.

L'assaillant était vêtu à la russe : chemise boutonnée sur le côté, gilet de drap, pantalon de velours, bottes graissées. Une hache au manche étonnamment court gisait à ses pieds.

Akhimas s'était penché davantage, dirigeant le rai de lumière sur le visage de l'homme, et il avait vu briller deux yeux ronds aux pupilles anormalement dilatées.

Un coup de sifflet avait retenti du côté de la rue Néglin-naïa, un autre venant du passage du Théâtre. Il fallait faire vite.

Il s'était accroupi, de deux doigts avait saisi le visage de l'homme un peu au-dessous des pommettes et avait appuyé, tout en repoussant la hache sur le côté.

- Qui t'envoie ?

- C'est la misère, noble monsieur, avait dit le blessé d'une voix rauque. Je demande pardon.

Akhimas avait pressé son doigt sur le nerf facial, laissé l'homme se tordre de douleur pendant un moment et répété la question :

- Qui t'envoie ?

- Lâche-moi... Lâche-moi, cormoran, avait soufflé le blessé tout en martelant la pierre de ses talons. Tu vois bien que je suis en train de passer...

- Qui ? avait demandé pour la troisième fois Akhimas en lui appuyant sur le globe oculaire.

En même temps qu'un gémissement, un épais filet de sang avait jailli de la bouche du mourant.

- Micha, avait-il grommelé d'une voix à peine audible. Micha le Petit... Lâche-moi ! J'ai mal !

- C'est qui, ce Micha ?

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Akhimas avait encore intensifié la pression. Cette fois, c'était une erreur. L'assassin manqué vivait de toute façon ses derniers instants. Le gémissement s'était mué en un râle sifflant, le sang coulait sur sa barbe en un flot continu. Il était clair qu'il ne pourrait plus rien dire. Akhimas s'était redressé. Le sifflet du sergent de ville trillait tout près.

Aux environs de midi, toutes les possibilités avaient été envisagées et la décision d'Akhimas était prise.

Ainsi donc, on avait commencé par le voler, puis tenté de le tuer. Ces deux événements étaient-ils liés ? Certainement. Celui qui le guettait sous le porche savait quand et par où il passerait.

Donc : 1) il avait été suivi la veille alors qu'il mettait son itinéraire au point, et cela avait été fait très habilement, car il n'avait rien remarqué ; 2) quelqu'un savait pertinemment ce à quoi il s'était employé dans la nuit ; 3) l'homme qui avait pris la serviette savait à coup sûr que Sobolev ne reviendrait plus dans sa chambre, sinon pourquoi refermer si soigneusement le coffre-fort et ressortir par le vasistas ? Le général aurait de toute façon découvert le vol.