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m'a apporté le flacon de poison. Il m'a promis monts et merveilles, mais je n'ai pas cédé. Alors il est passé aux menaces. Il était comme fou. J'ai préféré ne pas discuter et j'ai promis. Mais je n'ai pas donné de poison à Sobolev, parole d'honneur ! Il est mort comme ça, d'une crise cardiaque. Kolia, crois-moi. Je suis une mauvaise femme, cynique et vénale, mais je ne suis pas une meurtrière.

Cette fois, dans les yeux verts se lisait une prière, mais il n'y avait pas pour autant d'humilité. Une femme fière. Mais il ne pouvait cependant pas la laisser en vie. Dommage !

Akhimas avait poussé un soupir et mis sa main droite sur le cou dénudé de la jeune femme. Son pouce reposait sur l'artère et son médium sur la quatrième vertèbre, à la base du crâne. Il restait à presser très fort, et ces yeux vifs, qui le regardaient d'en haut avec tant de confiance, allaient se brouiller, puis s'éteindre.

Et là, il s'était passé quelque chose d'imprévu : Wanda avait pris elle-même Akhimas par le cou, l'avait attiré à elle et avait pressé sa joue brûlante sur son front.

- Est-ce toi ? avait-elle murmuré. Est-ce toi que j'attends depuis si longtemps ?

Akhimas regardait sa peau blanche et fine. Il lui arrivait quelque chose d'étrange.

Quand il était reparti à l'aube, Wanda dormait profondément, la bouche entrouverte comme un enfant.

Akhimas était resté une bonne minute penchée sur elle, sentant un curieux frémissement dans la partie gauche de sa poitrine. Puis il était sorti sans faire de bruit.

Elle ne parlera pas, pensait-il en retrouvant la rue Pétrovka. Si elle n'a rien dit à Fandorine hier, ce n'est pas maintenant qu'elle va le faire. Il est inutile de la tuer.

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Mais il n'avait pas la conscience tranquille : il est inadmissible de mêler le travail et les affaires personnelles. Jusque-là il ne se l'était jamais permis.

Mais une voix provenant de l'endroit où quelque chose en lui remuait de façon inquiétante lui avait murmuré : " Et Evguénia ? " II était vraiment temps qu'il se retire des affaires.

Ce qui s'était passé cette nuit ne devait pas se répéter. Il n'aurait plus aucun contact avec Wanda.

Qui pouvait établir un lien entre le marchand Klonov, qui, jusqu'à la veille habitait l'hôtel Métropole, et la chanteuse de VAIpenrose ? Personne. Si ce n'était à la rigueur le kellner Timofeï. C'était peu vraisemblable, mais mieux valait ne pas prendre de risques. Ce serait plus sûr et ne demanderait pas longtemps.

La voix avait murmuré : " Le kellner va mourir pour que Wanda puisse vivre. "

En revanche, avec Knabe, les choses tournaient plutôt bien. Hier soir, en partant de chez Wanda, monsieur Fandorine avait sûrement rencontré l'espion. Policier méticuleux et intelligent, il n'avait pas pu ne pas s'intéresser à ce visiteur tardif. On pouvait également supposer que les véritables activités de Herr Knabe étaient depuis longtemps connues des autorités russes. Un résident des services de renseignements est un personnage important.

S'ébauchait ainsi une manoeuvre remarquable qui allait engager l'enquête dans une direction sûre.

" Et Wanda se débarrasserait de sa corde au cou ", avait ajouté, impitoyable, la perspicace voix.

Akhimas s'était installé dans un grenier, juste en face de l'immeuble de Knabe. C'était un point d'observation commode avec une excellente vue sur les fenêtres du quatrième étage, où logeait l'espion.

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Par chance, la journée était chaude. Certes, alors qu'il n'était encore que huit heures du matin, le toit en tôle qui coiffait le grenier était déjà brûlant et rendait l'atmosphère étouffante, mais Akhimas était insensible à ces menus inconvénients. Avantage, en revanche: les fenêtres de Knabe étaient grandes ouvertes.

Tous les déplacements de l'espion d'une pièce à l'autre lui apparaissaient aussi nettement que s'ils s'étaient trouvés dans la même pièce : il venait de se raser devant sa glace, avait bu son café, feuilleté les journaux en y notant quelque chose au crayon. A en juger par son allant et par l'expression de son visage (l'observation se faisait à l'aide d'une lunette qui grossissait vingt fois), monsieur Knabe était d'excellente humeur.

Un peu après dix heures, sortant de son immeuble, il était parti en direction des portes Pétrovski. Akhimas lui avait emboîté le pas. A le voir, on aurait pu le prendre pour un petit employé ou un commis : casquette à la visière laquée toute craquelée, robuste redingote à longs pans, barbichette poivre et sel.

Balançant énergiquement le bras, Knabe n'avait pas mis plus d'un quart d'heure pour arriver à la poste. A l'intérieur du bâtiment, Akhimas avait réduit la distance qui les séparait et, lorsque l'espion s'était approché du guichet du télégraphe, il s'était placé derrière lui.

Knabe avait cordialement salué le guichetier, auquel il avait visiblement déjà plus d'une fois eu affaire, et lui avait tendu une feuille :

- Comme toujours, c'est pour Berlin, à l'intention de la compagnie Kerbel und Schmidt. Des cotations boursières. Mais, je vous en prie, Pantéléïmon Kouzmitch, soyez gentil, avait-il ajouté avec un sourire, ne le confiez pas à Serdiouk comme la dernière fois. Il avait interverti deux chiffres, et moi, après, j'ai eu des ennuis avec mes supérieurs. Je vous le demande par amitié, faites-le envoyer par Séménov.

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- Très bien, Ivan Egorytch, avait répondu le guichetier sur le même ton enjoué. Ce sera fait !

- J'attends une réponse par retour, je repasserai donc tout à l'heure, avait dit Knabe.

Et, effleurant de son regard le visage d'Akhimas, il s'était dirigé vers la sortie.

A présent l'espion allait d'un pas nonchalant, un pas de promenade. Sifflotant avec insouciance, il suivait le trottoir. En bon professionnel, il avait une fois vérifié s'il n'était pas suivi, mais plus par habitude que pour autre chose. Il n'avait pas l'air de soupçonner une filature.

Et pourtant il était filé, bel et bien. Akhimas ne s'en était pas aperçu tout de suite. Mais l'ouvrier, de l'autre côté de la rue, portait beaucoup trop d'attention aux vitrines des élégants magasins qui, de toute évidence, n'étaient pas à la portée de sa bourse : l'homme surveillait l'Allemand dans le reflet des vitrines. Derrière, à une cinquantaine de pas, un fiacre suivait à petite allure. Un premier client l'avait hélé, le cocher avait refusé ; un second, pareil. Drôle de fiacre !

Monsieur Fandorine n'avait visiblement pas perdu son temps la veille.

Akhimas avait pris des mesures de précaution pour éviter d'attirer l'attention. S'engouffrant sous une porte cochère, il avait d'un geste arraché sa barbiche, chaussé des lunettes, enlevé sa casquette et retourné sa redingote. L'envers de celle-ci n'était pas ordinaire : c'était un manteau d'uniforme dont les pattes de col avaient été décousues. Un commis de magasin venait de pénétrer sous le porche, dix secondes plus tard en sortait un fonctionnaire à la retraite.