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Les deux hommes avaient pénétré dans une pièce, et, une minute plus tard, des coups de feu avaient éclaté. Qui l'avait emporté ? Akhimas était certain que ce n'était pas Micha. Et puisqu'il en était ainsi, il n'était pas raisonnable d'aller s'exposer au feu d'un agent aussi expéditif. Plutôt attendre qu'il ressorte dans le couloir. Non, il faisait trop sombre. Il pouvait rater son coup, et le blesser au lieu de le tuer.

Akhimas était retourné dans la taverne et s'était couché sur un banc.

L'habile policier était apparu presque aussitôt, et Akhimas avait eu le plaisir de constater qu'il avait la serviette. Fallait-il tirer ou attendre encore ? Mais le bossu tenait son arme prête à servir et, ses réactions étant rapides comme l'éclair, il était capable de tirer au moindre geste. Akhimas avait cligné l'oeil débarrassé de sa vessie de porc. N'était-ce pas le même Herstal ? L'homme n'était-il pas le marchand qu'il avait vu chez Knabe ?

Puis les événements s'étaient succédé à une vitesse vertigineuse. L'agent avait arrêté le cabaretier, retrouvé les deux hommes qui l'avaient accompagné, dont l'un, le Kirghize, était encore en vie.

Détail intéressant : pendant que le bossu bandait la nuque fracassée de l'Asiate avec un long torchon, les deux hommes avaient parlé japonais. Voilà qui tenait du prodige : un Japonais à la Khitrovka ! Les sonorités propres à cette langue étaient connues d'Akhimas depuis une affaire vieille de trois ans, un contrat qui l'avait amené à Hong Kong. L'agent appelait le Japonais " Massa ".

A présent que le policier ne cherchait plus à déguiser sa voix pour jouer les vieillards chevrotants, Akhimas était de plus en plus persuadé de reconnaître ce timbre. Il avait prêté une oreille encore plus attentive : mais oui, pas de doute, c'était monsieur Fandorine ! Un jeune homme sacrement débrouillard, décidément ! On n'en rencontrait pas souvent des comme ça.

Et Akhimas avait définitivement renoncé à prendre des risques inutiles. Avec un coco pareil, il fallait se montrer doublement prudent. D'autant plus que le policier ne relâchait pas son attention : ses yeux étaient des pistolets dirigés dans toutes les directions à la fois, et il ne lâchait pas son Herstal.

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Les trois hommes - Fandorine, le Japonais et le tenancier ligoté - étaient sortis dans la rue. Akhimas les avait observés par la petite fenêtre poussiéreuse. Sans lâcher la serviette, le policier avait couru chercher un fiacre tandis que le Japonais gardait le prisonnier. Le cabaretier avait bien manifesté quelque velléité de résistance, mais le robuste petit Japonais avait émis un sifflement haineux et, d'un mouvement, renversé le solide Tatar.

Il va encore falloir que je me démène pour récupérer la serviette, avait pensé Akhimas. Mais tôt ou tard monsieur Fandorine finirait par se calmer et par relâcher sa vigilance. En attendant, il importait de vérifier si son débiteur, Micha le Petit, était bien mort.

Akhimas avait enfilé d'un pas rapide le couloir sombre et tiré la porte entrouverte, pour se retrouver dans une minuscule pièce faiblement éclairée. Apparemment il n'y avait personne.

Il s'était approché du lit froissé, l'avait tâté : encore tiède.

Là, un faible soupir lui était parvenu. Akhimas s'était retourné brutalement et avait découvert une silhouette recroquevillée. Micha le Petit était assis par terre, se tenant le ventre des deux mains. Il avait levé ses yeux qui luisaient d'un éclat humide, sa bouche s'était tordue comme s'il avait été sur le point de pleurer et il en était sorti un nouveau son faible et plaintif :

- C'est moi, frangin, Micha... J'suis blessé... Aide-moi... T'es qui, frangin ?

D'une chiquenaude, Akhimas avait sorti la lame de sa navaja, s'était penché et avait tranché la gorge du blessé. Voilà, comme ça il serait plus tranquille. Et puis, comme on dit, à beau jeu, beau retour.

Il avait regagné la salle en courant et repris sa place sur le banc.

Depuis la rue parvenaient un bruit de sabots et un grincement de roues. Fandorine était entré en courant, cette fois

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sans la serviette. Akhimas l'avait vu disparaître dans le couloir : il allait chercher Micha le Petit. Mais où était la serviette ? L'avait-il confiée au Japonais ?

Akhimas avait glissé ses jambes par terre.

Non, il n'avait pas le temps !

Il s'était de nouveau allongé en commençant à pester. Mais il ne fallait surtout pas céder à l'énervement : c'est de là que venaient toutes les erreurs.

Bientôt, Fandorine avait surgi des entrailles du labyrinthe. Son visage était révulsé, et il promenait son Herstal dans toutes les directions.

N'accordant qu'un court regard à l'aveugle, il s'était précipité dehors.

Et l'on avait entendu :

- En avant ! Fonce rue Malaïa Nikitskaïa, à la direction de la gendarmerie !

Akhimas avait libéré son autre oeil. Il fallait faire vite.

Arrivant à la direction de la gendarmerie, il avait sauté en marche du fiacre et, d'un air impatient, avait demandé à l'homme en faction :

- Deux des nôtres viennent d'amener un prisonnier. Où sont-ils ?

Le gendarme ne s'était nullement étonné du ton autoritaire de cet homme décidé, certes en guenilles, mais au regard à l'éclat impérieux.

- Ils sont montés directement chez Son Excellence. Il n'y a pas deux minutes qu'ils sont arrivés. Quant à l'homme qu'ils ont arrêté, il a été remis à l'officier de garde pour les formalités.

- Lui, je m'en fiche ! avait-il lancé avec un geste agacé de la main. C'est Fandorine que je veux voir. Tu dis qu'ils sont chez Son Excellence ?

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- Cela même. Vous prenez le petit escalier, après c'est dans le couloir à gauche.

- Comme si je ne le savais pas !

Suivant l'indication donnée, Akhimas s'était rué à l'étage. A droite, tout au fond du couloir, apparaissait une porte blanche derrière laquelle on entendait un cliquetis. Bon, la salle de gymnastique. Rien de dangereux.

Il avait tourné à gauche. Le large couloir était vide, si ce n'était, de loin en loin, un commissionnaire en uniforme ou en civil surgissant d'un cabinet pour s'engouffrer immédiatement dans un autre.

Brusquement, Akhimas s'était figé : après une longue suite d'absurdités et de malchances, la fortune lui souriait enfin. Devant une porte dont la plaque indiquait " Réception ", il venait d'apercevoir le Japonais, assis sur une chaise, la serviette à la main.

Fandorine devait être en train de faire son rapport à la direction sur les événements de la nuit. Pourquoi était-il entré sans la serviette ? Il avait envie de faire le malin, de crâner. Les événements de la nuit avaient été nombreux, il avait de quoi raconter. Il restait donc quelques minutes.

S'approcher d'un pas tranquille. Lui donner un coup de couteau sous la clavicule. S'emparer de la serviette. Sortir comme il était entré. C'était l'affaire d'une minute.

Akhimas avait examiné le Japonais avec attention. Celui-ci regardait droit devant lui, tenait la serviette de ses deux mains et avait toute l'apparence d'un ressort tendu. Akhimas avait eu l'occasion, à Hong Kong, d'apprécier la maîtrise parfaite qu'ont les Nippons du combat à mains nues. Les maîtres de la boxe anglaise ou de la lutte française ne leur arrivaient pas à la cheville. D'un seul geste, ce court sur pattes avait jeté à terre le solide Tatar, tenancier de la taverne. L'affaire d'une minute, vraiment ?

Il ne pouvait pas prendre de risques. La moindre anicroche, le plus petit bruit, et on accourrait de tous côtés.

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II fallait penser, penser vite, car le temps passait.

Brusquement, il avait fait demi-tour et s'était dirigé à pas rapides vers l'endroit où cliquetaient les rapières. En ouvrant la porte sur laquelle on pouvait lire " Salle de gymnastique des officiers ", Akhimas avait vu une dizaine de silhouettes en masque et en tenue blanche d'escrime. Ils avaient l'air malin, ces nouveaux mousquetaires I

Ah, voilà, l'entrée des vestiaires.