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Faire à Wanda un cadeau d'adieu, lui donner ces malheureux cinquante mille roubles qui lui permettraient de se sentir libre et de vivre comme elle l'entendait.

Et peut-être, pourquoi pas, convenir de se revoir ? Dans une autre vie, une vie libre.

La voix qui avait depuis quelque temps élu domicile dans la partie gauche de sa poitrine et que les considérations professionnelles avaient un moment étouffée s'en donnait maintenant à cour joie. " Et pourquoi se quitter ? avait-elle murmuré. Le comte de Santa Croce n'a plus rien à voir avec

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Akhimas Velde. Sa Seigneurie n'est pas obligée de vivre seule I "

Ordre avait été donné à la voix de se taire, mais Akhimas n'en était pas moins retourné à la caisse pour rendre son billet et réserver à la place un compartiment pour deux. Cent vingt roubles de plus ou de moins n'allaient pas le ruiner et, de toute façon, il serait plus agréable de voyager sans voisins. " Ha ! ha ! ha !" avait commenté la voix.

Tu décideras demain, quand tu la verras, s'était intimé Akhimas. Ou bien elle aura ses cinquante mille roubles, ou bien elle partira avec toi.

Tout à coup il s'était souvenu : il avait déjà vécu cette scène. Vingt ans plus tôt, avec Evguénia. A cette différence près qu'alors, n'ayant pas pris de décision définitive, il n'avait pas amené de cheval pour elle. Cette fois le cheval était sellé.

Tout le reste de la journée, Akhimas n'avait pensé qu'à ça et, le soir, dans sa chambre, il était resté longuement allongé sans pouvoir s'endormir, ce qui ne lui était jamais arrivé.

Finalement ses pensées avaient commencé à s'embrouiller, supplantées par des images fugitives et incohérentes. Wanda avait surgi, son visage avait trembloté, se muant imperceptiblement en celui d'Evguénia. Curieux, lui qui pensait que les traits de celle-ci s'étaient depuis longtemps effacés de sa mémoire. Wanda-Evguénia avait regardé tendrement Akhimas et dit : " Comme tes yeux sont transparents, Lia. On dirait de l'eau. "

A un coup léger frappé à la porte, Akhimas s'était dressé sur son séant, encore à moitié endormi, et avait saisi son revolver sous son oreiller. Dehors, apparaissaient les premières lueurs de l'aube.

On avait frappé de nouveau, cette fois plusieurs coups d'affilée. Avançant à pas de loup, il avait descendu le petit escalier.

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- Monsieur Klonov I avait-on crié. Une dépêche urgente pour vous I De la part de monsieur X.

Akhimas avait ouvert, tenant dans son dos sa main armée du revolver.

Il avait devant lui un homme de haute taille, en capote. La longue visière de sa casquette empêchait de voir son visage, et l'on ne distinguait que sa moustache frisée à la façon des militaires. Après avoir remis son pli, le messager s'était retiré sans un mot pour disparaître dans l'obscurité trouble de l'aube.

" Monsieur Velde, l'enquête est arrêtée, mais une petite difficulté a surgi. Agissant de sa propre initiative, l'assesseur de collège Fandorine a découvert votre cachette et a l'intention de vous arrêter. C'est le grand maître de la police de Moscou qui nous en a informé, en nous demandant notre aval. Nous lui avons donné ordre de n'entreprendre aucune action, sans toutefois en avertir l'assesseur de collège. Fandorine se présentera chez vous à six heures du matin. Il viendra seul sans savoir qu'il ne bénéficie d'aucun appui de la police. Par son comportement, cet homme met en péril toute l'opération. Faites avec lui ce que vous jugerez bon.

Je vous remercie pour votre excellent travail. X. "

Akhimas avait été en proie à deux sentiments: l'un agréable, l'autre profondément déplaisant.

Côté sentiment agréable, tout était clair. Tuer Fandorine serait la plus belle façon de mettre un point final à ses états de service. C'était à la fois indispensable pour mener à bien cette dernière opération et l'occasion de régler un vieux compte.

Pour ce qui était du second sentiment, les choses étaient plus complexes. De qui Fandorine tenait-il son adresse ? Pas de monsieur X, tout de même. Sans compter que six heures était l'heure qu'il avait fixée à Wanda. L'aurait-elle trahi ? Voilà qui changeait tout.

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Il avait regardé sa montre. Il était quatre heures et demie. Il disposait pour se préparer de plus de temps qu'il n'en fallait. Le risque était en fait inexistant. Akhimas avait tous les avantages de son côté, mais monsieur Fandorine était un homme sérieux, aucune négligence n'était permise.

Puis avait surgi une difficulté supplémentaire. Tuer un homme qui ne s'attend pas à être attaqué était chose facile, mais il fallait d'abord faire dire à Fandorine de qui il tenait son adresse.

Si seulement ce pouvait ne pas être de Wanda.

Pour l'heure, rien n'était plus important pour Akhimas.

Dès cinq heures et demie, il s'était placé en sentinelle à sa fenêtre, dissimulé par le store.

A six heures trois minutes, un homme portant une élégante veste crème et un pantalon étroit à la dernière mode avait pénétré dans la cour intérieure, inondée de la douce lumière du matin. Cette fois, Akhimas avait eu la possibilité d'examiner dans tous ses détails le visage de sa vieille connaissance. Et ce visage lui avait plu car il respirait l'énergie et l'intelligence. Un adversaire digne de respect. Simplement, cette fois, il n'avait pas de chance avec ses partenaires.

Fandorine s'était arrêté devant la porte et s'était empli les poumons d'air. Puis, gonflant bizarrement les joues, il les avait vidés par une suite de petites expirations. S'agissait-il d'une gymnastique particulière ?

Après cela, levant la main, il avait frappé doucement.

Deux fois, trois fois, puis encore deux fois.

Troisième partie

Le blanc et le noir

on/

Eraste Pétrovitch tendit l'oreille : tout était calme. Il frappa de nouveau. Rien. Il poussa prudemment la porte, et elle céda brusquement, avec un grincement mauvais.

Etait-il possible que la souricière fût vide ?

Tendant la main qui tenait le revolver, il gravit d'un bond les trois marches du petit escalier intérieur et se trouva dans une pièce carrée au plafond bas.

Après la lumière déjà vive du jour, l'endroit lui parut très sombre. A droite, se dessinait vaguement le rectangle gris foncé d'une fenêtre aux stores baissés, plus loin, près du mur, on devinait un lit en fer, une armoire et une chaise.

C'était quoi, là, sur le lit ? Une forme, sous une couverture. Quelqu'un était allongé.

Ses yeux s'étant habitués à la pénombre, l'assesseur de collège distingua une main, ou plus exactement une manche, pendant sans vie hors de la couverture. La main, gantée, était tournée paume vers le haut. Par terre gisait un revolver coït près duquel s'étalait une flaque sombre.

Pour une surprise, c'en était une ! Une déception mêlée d'amertume étreignit le cour de Fandorine.

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Il remit dans sa poche le Herstal désormais inutile, traversa la pièce et rabattit la couverture.

Akhimas se tenait immobile près de la fenêtre, derrière l'épais rideau. Quand le policier avait frappé en utilisant le signal convenu, il avait ressenti un profond malaise. C'était donc tout de même Wanda...

Dans la chambre, tout avait été préparé pour que, au lieu de promener ses yeux fureteurs dans toute la pièce, Fandorine concentre d'emblée son attention dans une fausse direction, se place de dos et range son arme.

Les trois objectifs étaient donc atteints.

- Parfait, dit Akhimas à mi-voix. Maintenant, mains sur la nuque. Et n'essayez pas de vous retourner, monsieur Fandorine, sinon je vous tue.

Le dépit, tel fut le premier sentiment qui saisit Eraste Pétrovitch lorsqu'il découvrit sous la couverture un mannequin rudimentaire fabriqué à l'aide de vêtements et qu'il entendit dans son dos la voix calme et assurée. Il s'était fait avoir comme un imbécile !

Mais ce dépit laissa immédiatement place à la perplexité. Comment Klonov-Pevtsov avait-il eu l'idée de préparer cette mise en scène ? Avait-il surveillé la fenêtre et vu qu'à la place de Wanda arrivait quelqu'un d'autre ? Mais il venait de l'appeler par son nom ! Il savait donc qu'il allait venir et l'attendait. Comment le savait-il ? Etait-ce Wanda qui avait tout de même réussi à le prévenir ? Mais, dans ce cas, pourquoi l'avait-il attendu au lieu de disparaître ?