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- Major général Sobolev le second, de la suite de Sa Grandeur impériale.

Mais Varia, vexée de voir le peu de cas que le général faisait de sa personne, lui demanda d'une manière provocante :

- Sobolev le second, et qui est Sobolev le premier ? Le général marqua son étonnement :

- Comment cela ? Mais mon père, le lieutenant général Dimitri Ivanovitch Sobolev, commandant de la division cosaque du Caucase. Vous n'allez pas me dire que vous n'avez jamais entendu parler de lui?

- Non, je n'ai jamais entendu parler ni de lui ni de vous, fit Varia d'une voix froide.

Elle mentait, car toute la Russie connaissait Sobolev le Second, le héros du Turkestan, qui avait conquis Khiva et Makhram.

On disait du général des choses diverses. Les uns le considéraient comme un soldat d'une vaillance exceptionnelle, un chevalier sans peur et sans reproche, et voyaient en lui un futur Souvorov ou même un Bonaparte, d'autres dénonçaient le poseur et l'ambitieux. Les journaux racontaient que Sobolev avait réussi à faire face tout seul à toute une bande de Tekints, et que, blessé sept fois, il n'avait pas reculé ; que, traversant un désert aride à la tête d'un petit détachement, il avait mis

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en pièces la terrible armée d'Abdurrahman Bey. Et pourtant d'autres relations de Varia rapportaient des rumeurs d'une tout autre nature, parlant d'une exécution d'otages et d'une vague disparition du trésor de Kokand.

Mais en regardant les yeux clairs et lumineux du beau général, Varia comprit que les sept blessures et l'armée d'Abdurrahman Bey étaient la vérité, et que l'histoire des otages et celle de l'argent du khan n'étaient qu'inventions malveillantes de gens envieux.

Cela d'autant plus que Sobolev commençait à regarder Varia de nouveau, en ayant l'air cette fois de lui trouver quelque chose.

- Mais qu'est-ce qui vous amène en ce lieu où coule le sang, madame ? Et vêtue de la sorte pardessus le marché ! Je suis intrigué.

Varia se présenta et raconta brièvement ses aventures. Son instinct sûr lui disait en effet que Sobolev n'allait pas la trahir et qu'il ne la ferait pas reconduire à Bucarest sous bonne escorte.

- Votre fiancé a de la chance, Varvara Andréevna, fit le général en caressant Varia du regard. Vous êtes une jeune fille exceptionnelle. Permettez-moi cependant de vous présenter mes camarades. Je crois que vous avez déjà fait connaissance avec monsieur McLaughlin, et voici Serge Véréchtchaguine, mon second, frère du peintre. (Un adolescent mince et beau garçon coiffé d'un bonnet circassien s'inclina avec émotion devant Varia.) Lui-même dessine d'ailleurs à la perfection. Durant une mission de reconnaissance sur le Danube, il a si bien représenté les positions turques que c'était une merveille. Mais où est

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Paladin ? Hé ! Paladin, venez par là, je vais vous présenter à une jolie femme.

Varia considérait avec curiosité le Français qui venait d'arriver le dernier. Il était merveilleusement beau (un bandeau sur sa manche portait l'indication " Correspondant " et le n° 32), non moins beau que Sobolev dans son genre : un nez mince, légèrement camus, une moustache claire frisée vers le haut avec une petite barbe espagnole tirant sur le roux, des yeux gris remplis d'intelligence. Cela dit, pour le moment ses yeux étaient en train de jeter des éclairs de colère :

- Ces bandits font la honte de l'armée turque ! s'exclama avec passion le journaliste en français. Tout ce qu'ils savent faire, c'est égorger des civils, mais dès qu'il s'agit de se battre, il n'y a plus personne. A la place de Kérim Pacha, je les désarmerais tous, et je les pendrais !

Mais McLaughlin interrompit son envolée :

- Calmez-vous, preux chevalier, il y a là une dame. Vous avez de la chance, vous venez de lui apparaître sous le visage d'un héros romantique, ne perdez pas la face ! Regardez comme elle s'intéresse à vous !

Varia devint cramoisie et jeta à l'Irlandais un regard furieux dont il se contenta de rire. Paladin en revanche se conduisit comme il sied à un vrai Français : il mit pied à terre et s'inclina.

- Charles Paladin, mademoiselle, pour vous servir.

- Varvara Souvorova, répondit-elle fort courtoisement, je suis heureuse de faire votre connaissance. Et merci à vous tous, messieurs, d'être arrivés si à propos.

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- Mais permettez-moi de vous demander votre nom à vous, dit Paladin en jetant un regard intrigué en direction de Fandorine.

- Eraste Fandorine, répondit l'engagé volontaire en regardant bizarrement non pas le Français mais Sobolev. J'ai participé à la campagne de Serbie, et aujourd'hui je me rends à l'état-major auquel j'ai à transmettre une information importante.

Le général considéra Fandorine de la tête aux pieds et voulut respectueusement lui manifester sa sympathie :

- Je parie que vous en avez vu de toutes les couleurs ? A quoi vous occupiez-vous avant la Serbie ?

Après un petit moment d'hésitation, Fandorine répondit :

- Je faisais partie du ministère des Affaires étrangères. Je suis conseiller titulaire.

C'était inattendu. Il était donc diplomate ? A dire vrai les nouvelles rencontres qu'elle venait de faire avaient quelque peu fait oublier à Varia l'impression forte (pourquoi le taire ?) qu'avait produite sur elle son peu loquace compagnon de route, mais maintenant, de nouveau, elle se tournait vers lui avec admiration. Un diplomate engagé volontaire, avouez que ce n'est pas une chose courante. Non, il n'y avait pas à dire, tous les trois, Fandorine, Sobolev et Paladin, étaient étonnamment séduisants, chacun à sa manière.

- Quelles informations ? fit Sobolev soudain renfrogné.

Fandorine gardait le silence, il n'avait visiblement pas envie de répondre à la question.

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Mais le général lui lança sur un ton vif :

- Arrêtez de jouer aux grands secrets de la cour de Madrid ; car enfin c'est incorrect à l'égard de ceux qui viennent de vous sauver la vie.

L'engagé volontaire baissa tout de même la voix, et les correspondants tendirent l'oreille.

- Je viens de Vidin, mon général, et il y a trois jours Osman Pacha s'est mis en route pour gagner Plevna avec un corps d'armée.

- Qu'est-ce que c'est que cet Osman, et qu'est-ce que c'est que Plevna ?

- Osman Nuri Pacha est le meilleur chef de guerre de l'armée turque. C'est lui qui a vaincu les Serbes. Il a tout juste quarante-cinq ans, et il est déjà michur, c'est-à-dire feld-maréchal, et ses hommes n'ont rien à voir avec ceux qui protégeaient le Danube. Quant à Plevna, c'est une petite ville à une trentaine de verstes d'ici, en direction de l'ouest. Il faut y arriver avant Osman et occuper ce point stratégique qui protège l'accès de Sofia.

Sobolev se donna une telle claque sur la cuisse que son cheval fit un petit saut sur le côté.

- Ah ! si j'avais au moins un détachement. Sachez malheureusement, Fandorine, que je ne suis plus aux affaires. Il faut que vous vous rendiez à l'état-major pour parler au commandant en chef. Pour ma part, je dois achever ma mission de reconnaissance, mais je vais vous attribuer une garde qui vous conduira à Tsarévitsy. Ce soir, j'aurai le plaisir de vous attendre chez moi, Varvara Andréevna. Dans la tente des correspondants de presse, on ne s'ennuie jamais !

- Avec plaisir, dit Varvara en glissant un regard apeuré en direction du jeune officier prisonnier que l'on avait couché dans l'herbe.

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Deux Cosaques s'occupaient du blessé, accroupis auprès de lui.

- Il est mort, hein ? demanda-t-elle à voix basse.

- Il est tout ce qu'il y a de plus vivant au contraire, lui répondit le général. Il a eu de la chance, l'animal, maintenant il vivra cent ans. Quand nous sommes arrivés à la hauteur des Bachi-Bouzouks, il lui ont tiré une balle dans la tête avant de prendre la fuite. Mais une balle, comme chacun le sait, ce n'est pas intelligent. Elle est partie de biais et lui a seulement arraché un peu de peau. Alors, les gars, en avez-vous fini avec le pansement du capitaine ? lança-t-il aux Cosaques d'une voix forte.