Выбрать главу

— Et pourquoi ? »

Halder le regarda avec commisération.

« Tu étais à ce point coupé du monde dans cette saleté de boîte à conserve où on était censés survivre ? Aucun écho du monde extérieur ? Le 7 décembre 1941, ballot ! les forces de Sa Majesté impériale l’empereur Hirohito du Japon ont attaqué la flotte américaine du Pacifique à Pearl Harbor. Le 11 décembre, l’Allemagne déclarait la guerre aux États-Unis. Deux bonnes raisons pour repousser la date d’une réunion, non ? »

Halder souriait. Puis, lentement, il redevint pensif.

« Je me demande…

— Quoi ? »

Il tapota le document.

« Il a dû y avoir une première invitation, avant celle-ci.

— Et ?

— Ça dépend. Parfois, quand il s’agit de gommer des détails embarrassants, nos amis de la Gestapo n’ont pas toujours l’efficacité qu’ils prétendent avoir, surtout quand ils sont pressés… »

March était déjà debout devant les rangs de cartons, regardant de haut en bas, remonté à bloc.

« Lequel ? On commence par quoi ?

— Pour une conférence à ce niveau, Heydrich se devait d’avertir les participants avec un délai d’au moins deux semaines. (Il consulta ses notes.) Ce qui veut dire, correspondance Stuckart, le dossier pour novembre 1941. Voyons. Ce devrait être le carton 26, je pense. »

Il rejoignit March devant les rayons et compta les boîtes jusqu’à celle qu’il voulait. Il la fit glisser, la serra dans ses bras.

« On se calme, Zavi. Chaque chose en son temps. L’histoire est une grande école de patience. »

Il s’agenouilla, déposa le carton devant lui, l’ouvrit, prit les liasses. Il parcourut les pièces, en fit une pile à sa gauche.

« Invitation à une réception de l’ambassadeur d’Italie : chiant. Conférence organisée par Walther Darre au ministère de l’Agriculture : très chiant… »

Il poursuivit ainsi pendant deux minutes. March, debout, se massait nerveusement le poignet. Halder se figea.

« Eh, merde !

Il relut et leva les yeux :

« Invitation de Heydrich. Pas triste du tout, je le crains. Pas du tout, du tout. »

4

Le ciel était un immense chaos. Une nébuleuse se désintégrant. Des comètes et des météorites sillonnaient le ciel, disparaissaient un instant, explosaient sur l’océan vert des nuages.

Au-dessus du Tiergarten, le bouquet final du feu d’artifice était une apothéose. Des fusées parachutes éclairaient le ciel de Berlin comme dans un raid aérien.

March, au volant, attendait de pouvoir s’engager dans Unter den Linden. Une bande de SA surgit en titubant devant lui. Deux d’entre eux, bras enlacés, se lancèrent dans un cancan approximatif à la lumière des phares. Les autres martelaient la carrosserie de la Volkswagen ou écrasaient leurs visages contre les vitres — yeux exorbités, langues pendantes ; des singes grotesques. March embraya et démarra sur les chapeaux de roues. Il y eut un bruit mat quand il envoya valdinguer un des danseurs.

Il roula jusqu’au Werderscher Markt. Tous les congés avaient été annulés. De la lumière à tous les étages. Dans le hall, quelqu’un le salua mais March l’ignora. Il descendit bruyamment les marches du sous-sol.

Des chambres fortes, des caves, des réserves souterraines… Je deviens troglodyte, pensait March. Un homme des cavernes, un reclus, un pilleur de tombes de papier.

La gorgone de l’Enregistrement était à son poste. Elle ne dormait jamais ? Il exhiba sa carte. Deux autres inspecteurs, à la grande table, parcouraient d’un œil languide des dossiers du même sempiternel papier beige. March choisit un siège dans le coin le plus éloigné, alluma la lampe orientable, abaissa au maximum l’abat-jour. De la poche intérieure de sa tunique il sortit les trois feuillets qu’il avait récupérés aux Archives du Reich.

C’étaient des photostats de médiocre qualité. L’appareil avait été réglé sur un contraste trop faible, les originaux avaient été insérés trop hâtivement et de travers. Il n’allait pas blâmer Rudi. Le pauvre avait même refusé de lui faire ces copies. Un non catégorique. L’affolement. Toute sa bravade d’étudiant attardé s’était envolée quand il avait lu l’invitation de Heydrich. March avait été obligé de le traîner, au sens propre, jusqu’à la photocopieuse. À la seconde où Halder avait terminé, il s’était précipité dans la réserve, avait fourré les papiers dans les cartons et les cartons dans les rayons. Il avait insisté pour qu’ils quittent le bâtiment par une porte à l’arrière.

« Zavi, je pense qu’on ne devrait plus se voir avant un bout de temps.

— Bien sûr.

— Tu comprends… »

Halder était resté planté là, misérable et sans défense ; au-dessus d’eux, dans le ciel, les fusées sifflaient et explosaient.

March l’avait serré dans ses bras.

« T’en fais pas. Je sais, ta famille… » et il s’était éloigné rapidement.

Document Un. L’invitation originale de Heydrich, datée du 19 novembre 1941 :

Le 31.7.1941, le Reichsmarschall du Grand Empire allemand m’a chargé, en coopération avec les organes centraux appropriés, de prendre toutes les dispositions utiles relatives aux conditions organisationnelles, techniques et matérielles nécessaires pour une solution complète de la question juive en Europe, et de lui présenter dans un bref délai un projet de proposition d’ensemble en la matière. Je joins une copie de cette instruction.

Étant donné l’importance toute particulière qui doit être accordée à ces questions, et dans l’intérêt d’assurer une unité de vue de la part des organes centraux appropriés quant aux tâches futures liées aux actions restant à accomplir en vue de cette solution finale, je propose de faire de ces mesures le sujet d’une discussion générale. Ceci est particulièrement nécessaire car à dater du 10 octobre les Juifs ont été évacués du territoire du Reich, y compris le Protectorat, en direction de l’Est, par une série ininterrompue de convois.

Je vous invite par conséquent à vous joindre à moi et à d’autres, dont la liste est incluse, pour une discussion suivie d’un déjeuner le 9 décembre 1941 à 12.00 heures dans les bureaux de l’Organisation internationale de Police criminelle, Berlin, Am grossen Wannsee, Nr. 56/58.

Document Deux. Une photocopie de photocopie, presque illisible par endroits, avec des mots effacés, comme une très vieille inscription sur une pierre tombale. La directive de Hermann Goering à Heydrich, en date du 31 juillet 1941.

Comme complément à la tâche qui vous a été assignée le 24 janvier 1939, en rapport avec une solution la plus avantageuse possible de la question juive par le moyen de l’émigration et de l’évacuation, je vous charge par la présente de procéder à tous les préparatifs nécessaires relatifs aux mesures organisationnelles, techniques et matérielles pour organiser une solution complète de la question juive dans la sphère d’influence allemande en Europe.

Là où d’autres organes gouvernementaux sont impliqués, ils devront coopérer avec nous à cet effet.

Je vous charge en outre de me présenter sous peu un projet d’ensemble relatif aux conditions organisationnelles, pratiques et matérielles de mise en œuvre de la solution finale envisagée de la question juive.

Document Trois. La liste des quatorze invités à la conférence. Stuckart était le troisième nom ; Bühler le sixième ; Luther, le septième. March reconnut deux autres noms.