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Friedman parut choqué.

« C’est un service, vieux ! Entre amis. C’est ton truc. (Il tendit le paquet à March.) Tu t’en souviendras, Sturmbannführer, n’est-ce pas ? Un service ? Donné rendu ? De camarade à camarade ? »

La trousse était du genre de celles que les médecins utilisent, avec des coins renforcés et une solide fermeture de laiton — ici, ternie par l’âge. En cuir fauve, éraflé et passé. D’épaisses coutures presque noires, une poignée rendue lisse comme un galet par les années d’usage. Elle symbolisait la confiance et l’assurance, le professionnalisme, une opulence tranquille. Un objet d’avant-guerre ; peut-être même d’avant la Grande Guerre. Fabriqué pour durer une ou deux vies. Solide. Cher.

Toutes ces données, March se les énonçait en regagnant la Volkswagen. Son itinéraire évitait la Zollgrenzschutz — une autre petite faveur de Friedman.

Charlie l’empoigna comme un gosse se rue sur son cadeau d’anniversaire et pesta en découvrant qu’elle était fermée. March, sans perdre de temps, s’éloignait du périmètre de l’aéroport. Elle en profita pour fouiller dans son sac. Elle en sortit une paire de ciseaux à ongles et s’acharna sur la serrure. Les lames laissèrent de petites griffures sur le métal, sans plus.

« Tu perds ton temps, dit March. Je dois la forcer. Attends qu’on soit arrivés. »

Elle secoua la sacoche de dépit.

« Arrivés où ? »

Il se passa la main dans les cheveux.

Excellente question.

Toutes les chambres en ville étaient réservées. L’Eden avec son café-jardin sur le toit, le Bristol sur Unter den Linden, le Kaiserhof dans Mohrenstrasse — tous avaient clos leurs réservations depuis des mois. Les hôtels mammouths avec leur millier de chambres, les petites pensions autour des terminus de chemin de fer étaient bondés d’uniformes. Pas seulement ceux de la SA et de la SS, de la Luftwaffe et de la Wehrmacht, des Jeunesses hitlériennes et de la Ligue des Jeunes filles allemandes, mais tous les autres, ceux de l’Association des combattants du Reich national-socialiste, de l’Ordre de la Fauconnerie allemande, des Écoles des Cadres nationaux-socialistes…

Devant le plus fameux et le plus luxueux des palaces de Berlin — le Adlon, au coin de Pariser Platz et de Wilhelmstrasse —, les badauds se pressaient contre les barrières de métal pour apercevoir les célébrités : une vedette de l’écran, un footballeur, un satrape du Parti descendu en ville pour le Führertag… Au moment où March et Charlotte passaient, une Mercedes se rangeait ; les passagers en uniforme noir étaient assaillis par les éclairs d’une multitude de flashes.

March traversa la Platz vers Unter den Linden, prit à gauche, puis à droite, dans Dorotheenstrasse. Il se gara devant les poubelles à l’arrière du Prinz Friedrich Karl Hotel. C’est ici, lors du petit déjeuner avec Rudi Halder, que toute cette affaire avait réellement commencé. Quand était-ce ? Il ne savait plus.

Le gérant du Friedrich Karl, comme de coutume, arborait sa jaquette noire à l’ancienne et ses pantalons rayés — la ressemblance avec le vieux président Hindenburg était étonnante. Il arriva tout agité à la réception, en lissant sa paire de moustaches blanches comme si c’était un animal domestique.

« Sturmbannführer March, quel plaisir ! Quel plaisir, vraiment. Et en tenue de loisir !

— Bonjour, Herr Brecker. Ce que j’ai à vous demander est assez délicat. Il me faudrait une chambre. »

Brecker leva les mains en signe de détresse.

« C’est impossible ! Même pour un client aussi distingué que vous.

— Allons, Herr Brecker. Vous devez avoir quelque chose. Une mansarde ferait l’affaire. Un placard à balais. Vous seriez d’une très grande assistance pour la Reichskriminalpolizei… »

L’œil expert du gérant apprécia la trousse, s’arrêta sur Charlie, avec une petite lueur.

« Et voici Frau March ?

— Malheureusement, non. »

March posa une main sur la manche de Brecker et l’emmena à l’écart. La vieille réceptionniste les observait avec suspicion.

« Cette jeune personne détient des informations sensibles, mais nous souhaitons l’interroger… comment dirais-je ?

— Dans un contexte plus informel ?

— Exactement ! »

March sortit ce qui restait de ses économies et se mit à compter les billets.

« En échange de ce contexte informel, la Kriminalpolizei souhaite naturellement vous dédommager comme il convient.

— Je vois. »

Brecker louchait sur les billets en se passant la langue sur les lèvres.

« Et puisqu’il s’agit d’une affaire de sécurité, je suppose que certaines formalités… l’enregistrement par exemple… vous préférez en être dispensé. »

March cessa de compter et fourra la liasse entière dans la main moite du vieil homme, puis lui replia les doigts.

En échange de cet hara-kiri financier, March reçut la chambre d’une fille de cuisine sous les toits — on y accédait du troisième étage par un escalier de service branlant. Ils durent attendre quelques minutes à la réception, le temps d’évacuer l’infortunée occupante et de mettre des draps frais. March déclina les offres répétées du gérant de leur monter leur bagage, comme il décida d’ignorer les regards entendus du vieil homme en direction de Charlie. Il accepta en revanche la collation — pain, fromage, jambon, fruits, un pot de café noir — que Herr Brecker promit d’apporter en personne. March lui conseilla de déposer le plateau dans le couloir.

« Ce n’est pas l’Adlon », dit March quand ils furent seuls.

La petite chambre était étouffante. Toute la chaleur de l’hôtel semblait piégée là-haut, sous les tuiles. Il grimpa sur une chaise pour ouvrir la tabatière et souleva un nuage de poussière en sautant sur le plancher.

« On s’en fiche de l’Adlon ! »

Elle posa les bras sur les épaules de March, l’embrassa durement sur la bouche.

Le gérant vint déposer le plateau devant la porte. L’escalade jusque sous les combles l’avait laissé hors d’haleine. Derrière la porte, March l’écouta haleter puis s’éloigner dans le couloir. Il attendit pour s’assurer du départ du vieil homme, récupérer le plateau, le poser sur la coiffeuse vermoulue. Il n’y avait pas de verrou sur la porte de la chambre. Il bloqua la poignée avec le dossier de la chaise.

La trousse de Luther était sur le lit. March avait sorti son canif.

Le fermoir était conçu précisément pour résister à ce type d’effraction. Il fallut plusieurs minutes d’acharnement et de torsions, au cours desquelles il cassa la courte lame, pour venir à bout du mécanisme. March ouvrit le sac.

Cette même odeur de papier. L’odeur d’un classeur longtemps fermé, d’un tiroir de bureau… Un relent d’huile de machine à écrire. Et par-dessous, plus subtil, un soupçon d’antiseptique, quelque chose de médicinal…

Charlie se penchait sur son épaule. Il sentait son souffle tiède sur sa joue.

« Ne me dis pas que c’est vide.

— Non. Ce n’est pas vide. C’est plein. »

Il prit son mouchoir pour essuyer la sueur sur ses paumes. Puis il renversa la trousse et la secoua pour en répandre le contenu sur la courtepointe.

4

Déclaration écrite sous serment de Wilhelm Stuckart, secrétaire d’État, ministère de l’Intérieur :