Direction générale des Chemins de fer de l’Est à Cracovie
Reich sprotektor, Chemins de fer Réunis à Prague
Direction générale du Trafic Varsovie
Direction du Trafic du Reich Minsk
Puis, le texte principal :
Sujet : Trains spéciaux pour personnes à réinstaller dans la période du 20 janvier au 28 février 1943.
Nous joignons une liste des trains spéciaux (Vd, Rm, Po, Pj et Da) décidée à Berlin le 15 janvier 1943 pour la période du 20 janvier au 28 février 1943 et un plan de circulation pour les voitures à utiliser dans ce type de trains.
La formation du train sera notée pour chaque remise en circulation et grande attention sera portée à ces instructions. Après chaque voyage complet, les voitures seront nettoyées à fond, fumigées si nécessaire, et dès achèvement du programme, préparées à d’autres utilisations. Le nombre et les types de voitures seront déterminés au départ du dernier train et me seront communiqués par téléphone avec confirmation sur fiches de service.
March remonta dans la liasse jusqu’à l’horaire. Il le parcourut à nouveau.
Theresienstadt/Auschwitz, Auschwitz/Theresienstadt, Bialystok/Treblinka, Treblinka/Bialystok : les syllabes tambourinaient dans son cerveau fatigué comme le rythme des boggies sur des rails.
Il parcourut du doigt les colonnes de chiffres, essayant de déchiffrer le message sous-jacent. Donc : un train est chargé dans la ville polonaise de Bialystok à l’heure du petit déjeuner. À midi, il est dans cet enfer, Treblinka. (Tous les voyages n’étaient pas aussi brefs — il frissonna à l’idée des dix-sept heures de Berlin à Auschwitz.) Dans l’après-midi, les voitures sont déchargées à Treblinka et fumigées. À vingt et une heures, le même soir, elles repartent vers Bialystok, où elles arrivent à l’aube, prêtes à être à nouveau chargées, à l’heure du petit déjeuner.
Le 12 février, le schéma s’interrompt. Au lieu de retourner à Bialystok, le train vide est envoyé sur Grodno. Là, deux jours sur une voie de garage et puis — dans le noir, bien avant l’aube — il repart chargé vers Treblinka. Il y est vers midi. Déchargement. Et la nuit, nouveau départ vers l’ouest, cette fois pour Scharfenwiese.
Que déduire encore de ces documents, quand on est inspecteur à la Kriminalpolizei de Berlin ?
Oui, des chiffres. Disons : soixante personnes par voiture, une moyenne de soixante voitures par train. Déduction : trois mille six cents personnes par convoi.
En février, les convois tournent à la moyenne d’un par jour. Déduction : vingt-cinq mille personnes par semaine ; cent mille par mois ; un million deux cent cinquante mille personnes par an. Et cela est la moyenne obtenue au cœur de l’hiver d’Europe centrale, quand les aiguilles gèlent, quand les congères bloquent les voies, quand les partisans se manifestent en sortant des bois comme des fantômes pour placer leurs bombes.
Et donc, nouvelle déduction : les chiffres devaient être bien plus importants au printemps et en été.
Il se tenait à la porte de la salle de bains. Charlie, en combinaison noire, lui tournait le dos, penchée sur le lavabo. Avec ses cheveux mouillés, elle paraissait plus chétive, presque fragile. On voyait bouger les muscles de ses épaules pâles, tandis qu’elle se massait le crâne. Elle rinça une dernière fois ses cheveux et tendit la main à tâtons derrière elle. Il lui tendit la serviette.
Elle avait disposé divers objets au bord de la baignoire : une paire de gants de caoutchouc verts, une brosse, un bol, une cuillère, deux flacons. March prit les flacons et examina les étiquettes. Le premier contenait un mélange de carbonate de magnésium et d’acétate de sodium, l’autre, une solution de peroxyde d’hydrogène à un vingtième. Devant le miroir, au-dessus du lavabo, elle avait ouvert le passeport de la fille. Magda Voss fixait March de ses grands yeux tranquilles.
« Tu es sûre que ça va marcher ? »
Charlie noua la serviette en turban autour de sa tête.
« D’abord rouge. Puis orange. Puis blond platiné. »
Elle récupéra les flacons.
« À quinze ans, j’étais complètement toquée de Jean Harlow. Ça mettait ma mère hors d’elle. Fais-moi confiance. »
Elle enfila les gants de caoutchouc et dosa les produits chimiques dans le bol. Elle mélangea avec la cuillère, jusqu’à obtenir une épaisse pâte bleue.
SECRET DU REICH. MINUTES DE LA CONFÉRENCE. 3 °COPIES.
COPIE NUMÉRO…
(Le chiffre avait été gratté.)
Personnes ayant participé à la conférence du 20 janvier 1942 à Berlin, Am grossen Wannsee, 56/58, sur la solution finale de la question juive (…).
March avait lu deux fois les minutes cet après-midi. Il se força à y revenir, fouillant dans la pile. « Environ onze millions de Juifs sont impliqués dans cette solution finale du problème juif… » Pas seulement les Juifs allemands. Les minutes faisaient état de plus de trente nationalités d’Europe, y compris des Juifs français (865 000), hollandais (160 000), polonais (2 284 000), ukrainiens (2 994 684) ; et encore des Juifs anglais, espagnols, irlandais, suédois et finnois ; la conférence avait même réservé un sort aux Juifs albanais (en tout 200).
En fonction de cette solution finale, les Juifs devraient être déplacés à l’Est sous une autorité appropriée et de manière adéquate en vue d’une utilisation comme main-d’œuvre. Séparés par sexes, les Juifs capables de travailler seront amenés dans ces régions sous la forme d’importantes colonnes de travail pour la construction des routes, à la suite de quoi, la majorité disparaîtra probablement d’elle-même par élimination naturelle.
L’inévitable reliquat final, qui assurément constituerait le noyau le plus résistant, devra être traité de façon appropriée, puisqu’il représente une sélection naturelle qui, libérée, serait à considérer comme le germe d’un nouveau développement juif. (Voir la leçon de l’Histoire.)
Lors du déroulement pratique de la solution finale, l’Europe devra être passée au peigne fin, d’ouest en est.
« Déplacés sous une autorité appropriée et de manière adéquate… Le noyau le plus résistant devra être traité de façon appropriée… » Appropriée, adéquate. Les mots favoris du lexique bureaucratique — le lubrifiant capable de gommer les aspérités déplaisantes, le cachetrouille permettant d’éviter d’être précis.
March déplia un jeu de photostats de mauvaise qualité. Les copies des minutes originales de la conférence de Wannsee, compilées par le SS-Obersturmbannführer Eichmann, de l’Office central de Sûreté du Reich. Il s’agissait d’un document dactylographié, couvert d’amendements et de ratures nerveuses, de cette écriture nette que March avait appris à reconnaître comme celle de Reinhard Heydrich.
Ainsi, Eichmann avait écrit :
Finalement, l’Obergruppenführer Heydrich a été interrogé sur les difficultés pratiques qu’entraînait le traitement de quantités aussi importantes. L’Obergruppenführer a expliqué que différentes méthodes avaient été expérimentées. L’usage d’armes à feu étant à considérer comme une solution inadéquate pour différentes raisons. Le procédé était lent. La sécurité limitée, avec risque de panique parmi ceux qui attendaient l’application du traitement spécial. On avait également constaté que cette méthode pouvait avoir un effet délétère sur nos hommes. L’Obergruppenführer a invité le Sturmbannführer Dr Rudolf Lange (KdS Lettonie) à faire part de son expérience.