Выбрать главу

Je demeure anéanti à la vue de ce déchet. Je comprends que cet être vit ici depuis des années, sans le moindre contact avec d’autres êtres ni avec le jour.

Comment a-t-il pu subsister ? Mystère. Mystère que je me promets d’éclaircir dans un moment, mais pour l’instant j’ai une tâche plus impérieuse à accomplir.

Dominant mon effroi, je m’accroupis à l’orée du terrier.

— Monsieur, appelé-je doucement, vous m’entendez ?

Il ne répond pas. Sa carcasse tragique laisse voir les battements de son pauvre cœur. Plus haut, je crois vous avoir fait une réflexion à propos de l’acharnement de la vie. Où trouver exemple plus saisissant ?

— Je viens vous délivrer, continué-je à voix basse. Sortez de là, nous allons vous soigner.

Il ne réagit pas. Ma voix lui fait peur. Je réalise qu’il a totalement perdu la raison. Il est désormais pire qu’un animal. Suprême étape avant l’anéantissement définitif.

J’avance la main pour le saisir. Il ne réagit que lorsque mes doigts se referment sur la fange dont il est recouvert. Alors il pousse une plainte. Je le tire à moi. Il a si peu de forces que, malgré son opposition marquée, je n’ai aucun mal à le dégager de sa tanière. Tout en l’amenant dans le conduit, je m’obstine à lui parler, plus pour me persuader que j’ai bien affaire à un homme que dans l’espoir de l’apprivoiser. Jamais la charité humaine n’a été aussi méritoire.

— Venez, mon vieux…

Marrant, au fond (du trou) de vouvoyer cette loque.

Il n’a plus de vêtements. Sa débilité est totale. Ses membres et son échine se sont arrondis. Il a une forme de fœtus ou de singe.

— Alors ? demande depuis là-haut une voix réverbérée par le conduit.

Impossible de savoir si c’est l’organe du Gros ou celui d’Ambroise.

— C’est horrible, dis-je. Préparez-vous au pire. Je vais attacher ce malheureux avec la corde et vous le remonterez très lentement, car il est complètement épuisé…

Je me défais de la corde pour la passer autour du squelette vivant.

— Tâchez de ne pas vous évanouir quand vous le verrez, crié-je encore à mes compagnons, car je vous préviens que vous n’avez jamais rien vu de semblable. Il faudrait tout de suite appeler un médecin.

Ils se mettent à haler. Le type crie. Mais ses plaintes l’affaiblissent. Je vois ce corps dévasté s’élever progressivement. Alors, profitant du temps mort que je dois passer dans la fosse, je décide d’explorer celle-ci en détail afin de comprendre ce qui a pu se passer. Le fond du trou est garni d’une couche visqueuse, composée de terre humide et d’excréments.

En y regardant de plus près, j’aperçois un tas d’os minuscules. M’est avis que ce pauvre diable s’est nourri de rats pendant son interminable claustration. Il y a des dents aussi : de minuscules dents de rongeur, plus petites que des grains de riz, et des dents humaines : celles qu’a perdues l’emmuré.

Dominant mon dégoût, je me file à plat ventre pour explorer ce que j’appelle la grotte. C’est une excavation possédant les dimensions d’une grosse malle.

Il est clair que le prisonnier l’a creusée lui-même. Mais trois choses l’ont stoppé : l’impossibilité dans laquelle il se trouvait d’évacuer la terre résultant des fouilles, les fondations des bâtiments, et les infiltrations.

À cause de celles-ci, il n’a pu creuser sous les fondations, en revanche c’est cette eau qui lui a permis de survivre dans son enfer. Au fond de la grotte, je remarque un léger monticule doré. Vérification faite, je découvre avec ahurissement qu’il s’agit de grains de maïs. Mais je ne suis pas au bout de ma surprise car, ayant saisi les grains, j’en vois couler d’autres par une légère fissure de la muraille. Ça ressemble un peu à ces distributeurs de cacahuètes que l’on trouve sur les comptoirs des bistrots. S’il y a pas gourance, ce maïs provient du silo de la grange mitoyenne. Il sourd, comme l’eau, par une légère fissure. Une vingtaine de grains s’écoulent, reconstituant le petit monticule qui forme valve. Je m’explique maintenant comment le séquestré a réussi l’opération survie. Ce Bombard des catacombes mangeait du maïs cru, buvait l’eau des infiltrations et se payait à l’occasion des rats et des cancrelats.

Je ressors de l’infâme niche et braque vers l’orifice le faisceau de mon projo. L’homme est presque arrivé à destination. Là-haut il se fait soudain un grand, un terrible silence.

CHAPITRE VII

— Ohé, du donjon ! appelé-je…

La voix de Béru (je la reconnais non pas à son timbre, mais à son vocabulaire) laisse tomber :

— Hé ben ! mon pote, t’as bien fait de prévenir ! Il a pas bonne mine, l’estivant !

— Vous avez demandé un toubib ? lancé-je.

— Ambroise y est été.

— Grouillez-vous de me retourner l’ascenseur, c’est pas le Plazza-Athénée ici !

Trois minutes plus tard, la corde fait retour et on m’extrait de cette infernale geôle.

Ils ont étendu le type sur le lit et la vermine se met à grouiller sur le drap blanc. Il lui en sort de partout, sous toutes les formes homologuées ou non. C’est l’exode des poux, des puces, des vers, des cancrelats. Ces messieurs-dames sentent que leur règne est fini et qu’il va falloir les mettre dare-dare avant le grand fourbissage. C’est le sauve-qui-peut ; le saute-qui-peut ; le chauve-qui-pue.

On a beau se solliciter la charité, se répéter qu’il s’agit d’un homme, nous sommes pétrifiés et demeurons à deux bons mètres de ce cadavre vivant, hypnotisés par sa déchéance, subissant une espèce d’atroce délectation.

— Tu parles d’un cadeau pour le coiffeur et la manucure, bavoche la Glandoche.

Ambroise regarde de tous ses yeux, comme s’il voyait pour la dernière fois.

— Ainsi, il y avait quelqu’un, soupire-t-il. Depuis le temps, mais comment ?

En termes menus, je leur raconte l’opération-survie du rescapé, les infiltrations d’eau et de maïs, les rats, les bestioles.

— Et l’air ? demande le fermier.

— Je pense qu’il y a des fissures en haut du conduit, car on respire à peu près normalement là-dedans.

C’est le Gravos qui, le premier, pose la question cruciale : celle que, bien que vous souffriez d’une hypertrophie congénitale du cervelet, vous vous êtes déjà posée, avides de tout savoir comme je vous connais.

— Comment qu’il est arrivé dans ce trou ? demande-t-il.

Je hausse les épaules.

— Tu penses bien qu’on l’y a enfermé.

— C’est affreux, balbutie Ambroise, comment peut-on faire une chose pareille !

Il est sincèrement courroucé, le cousin du Gros. Mes doutes à son égard se sont envolés, maintenant que j’ai pu constater que la séquestration de l’emmuré remonte bien à plusieurs années.