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— C’est à quel nom ? nous demande-t-elle, croyant avoir affaire à des clients.

— Au nom du père, de la mère, et peut-être aussi du Saint-Esprit, gouaillé-je.

Et, comme elle se renfrogne, ce qui est fort dommage, je m’empresse d’ajouter :

— Nous désirons rencontrer Mme Chkoumoune, c’est de la part de ses parents.

Elle domine sa surprise et nous prie d’attendre. Tandis qu’elle s’absente, le toubib sort de son cabinet pour raccompagner un client. C’est un petit homme pas plus haut que ça, genre nain-qui-veut-passer-inaperçu. Il est par contre, développé dans le sens de la largeur, a moins de cheveux que la grande glace de votre salle de bains et possède un air de gorille auquel on vient de voler ses bananes.

Il nous file un regard indifférent, emmène son client sur le palier, referme et nous demande :

— On s’occupe de vous ?

— On, docteur, réponds-je.

Il va alors pêcher le patient suivant dans le salon d’attente, car c’est toujours dans les salons d’ATTENTE qu’on fait poireauter les PATIENTS.

La belle blonde aux formes capiteuses revient. Cette môme, je serais disponible, je lui cloquerais un rencart aussi sec. Je suis certain qu’en deux minutes trente-cinq de baratin approprié, j’obtiendrais son prénom et un rendez-vous. Je ne peux m’empêcher de lui considérer la malle arrière pendant qu’elle nous drive dans les profondeurs de l’appartement. Je sais pas si vous avez déjà vu une belle créature vêtue seulement d’une blouse blanche bien ajustée. Je peux vous assurer que c’est un spectacle de qualité. Personnellement, je préfère ça à la Tour Eiffel, beaucoup trop maigre pour mon goût.

Nous entrons dans un livinge entièrement meublé Lachaise de l’époque Charles de Gaulle où une dame d’une trente-sixaine d’années est en train de faire ce que doit toujours faire la femme d’un médecin lorsqu’elle est honnête, à savoir qu’elle brode une nappe.

Le motif de cette dernière représente des oiseaux de paradis tenant dans leurs becs des rameaux d’or. C’est gracieux, mièvre et distingué. La brodeuse ne ressemble pas à sa maman. C’est une personne plutôt grande (je voudrais voir le docteur Chkoumoune au turbin) avec un teint mat, des cheveux bruns et des yeux veloutés.

— Messieurs ? interroge-t-elle.

— Madame ! salué-je.

— Maâme, échote Béru.

Elle a une crispation en devinant que nous sommes perdreaux :

— Il n’est rien arrivé de fâcheux à mes parents ?

— Du tout, dis-je en montrant ma carte afin de confirmer ses doutes. Je suis le commissaire San-Antonio, et voici mon adjoint, l’inspecteur Bérurier. Nous voudrions certains renseignements sur votre ex-mari, Vincent Dauvers.

Son visage s’altère comme le type qui traversait le désert de la soif avec un quart Perrier pour toute provision.

— Qu’a-t-il fait ? questionne Mme Chkoumoune, née Lachaise.

— Je tique :

— Pourquoi ce cri du cœur, madame ?

— Parce que je redoute toujours une catastrophe avec Vincent !

— Il y a longtemps que vous ne l’avez vu ?

— Environ cinq ans, répond-elle sans hésiter.

— Il s’est manifesté dans l’intervalle ?

— Non, jamais, mais je m’attendais chaque jour à ce qu’il le fasse.

— Pourquoi ?

— Parce que c’est un sale bonhomme.

Il se dégage quelque chose d’agréable de cette femme. On sent qu’elle a été élevée sans chichi par ses braves parents. Il en a résulté une franchise spontanée et une grande simplicité.

— Vous avez été mariée combien de temps avec lui ?

— Deux ans, un cauchemar !

— Il est peintre, m’a-t-on dit ?

— C’est surtout lui qui le disait. En réalité, son chevalet lui servait plutôt de paravent.

— Bref, coupe Béru, c’était pas Buffet ?

— Oh, non, fait Mme Chkoumoune.

— Dommage, boutade le Gros, c’eût z’été tout indiqué chez un marchand de meubles.

Il est surpris que cette splendide réplique ne fasse rire personne, estime ses contemporains imbéciles et se renfrogne.

— De quoi vivait-il ? poursuis-je, en montrant par une juste mimique que je n’approuve pas les interruptions de mon acolyte.

— D’expédients, dit la femme du docteur, ensuite de moi, et puis à nouveau d’expédients, je suppose… Mais pourquoi toutes ces questions à son propos, commissaire ? Il a fait quelque chose de mal ?

— Peut-être bien, madame, avoué-je, pardonnez-moi de ne pouvoir vous en dire plus long pour le moment.

— On est ligoté par le secret professionnel, emphase Sa Majesté, faut nous comprendre ; c’est comme votre mari ; lui, il va pas glapir sur les toits les chaudes-lances de ses clients !

Je foudroie Mister Pomme-à-l’huile d’un regard injecté de sang et je rebranche ma distillerie.

— Madame, vous venez de me dire que Vincent Dauvers était un sale bonhomme et qu’il vivait d’expédients, pouvez-vous me fournir un exemple ?

Elle hausse les épaules et d’un geste hérité de sa mère, se gratte le dessus de la main avec la pointe de son aiguille.

— Tenez, fait-elle, je vais vous raconter sa dernière vilenie, pour vous le situer…

— Disez, disez ! encourage Béru.

— Au bout de deux ans d’une vie impossible, j’ai donc demandé le divorce. Il a accepté à condition que mon père lui verse une certaine somme d’argent. Papa a accepté. Nous avons divorcé et il a dilapidé son pécule en un rien de temps, joueur comme il était ! Après, il est revenu à la charge ; mais mon père a refusé de casquer. Tout ce qu’il lui a proposé, c’est d’habiter le Franc-Mâchon en attendant de trouver une situation… Vincent est parti là-bas, mais il m’a fait prendre en constat d’adultère avec mon mari actuel. Il en avait le droit, les délais n’étant point écoulés, et il a voulu me faire chanter…

— Et alors ?

Elle a un sourire confiant, un sourire radieux d’épouse qui aime et s’estime aimée.

— Avec le docteur Chkoumoune, il n’avait aucune chance ! En apprenant son comportement, Radada (c’est le surnom que je donne à mon époux) a bondi jusqu’au Franc-Mâchon où il a eu une explication avec ce voyou. Je ne sais pas ce qu’il lui a dit, mais Dauvers ne s’est plus jamais manifesté.

Béru en gémit d’aise. Il perd toute notion de savoir vivre, ce qui est extrêmement rare chez lui, et m’entraîne.

— Viens un peu dans l’embrasement de la fenêtre, San-A. ! m’ordonne-t-il comme s’il était mon supérieur hiérarchique et non mon subordonné.

Je le suis, ne possédant pas à un moment élevé le sens de mes prérogatives.

— Faudrait bien vérifier que ton gus revenant, c’est pas le Dauvers, chuchote-t-il. Ça cadrerait trop bien, bonté divine ! Montre-z’y sa bobine, à la dame. Ses vieux étaient mirauds. Si ça serait lui, je te parie ma culotte que c’est le docteur qui l’a assaisonné.

— Tu changes de coupable plus souvent que de chemise, murmuré-je, bien certain d’énoncer une vérité. Laisse-moi tout de même te dire que j’allais le faire…

Je retourne à la nappeuse qui attend, point trop vexée par nos apartés poulardiens.

— Excusez-moi, madame.

J’ai déjà la main sur la photo, mais je me ravise. Il y a mieux à faire.

— Auriez-vous une photographie de votre ex-mari à nous confier ?