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– Comment! c’est vous, madame? s’écria le pair de France.

– Oui, monsieur, moi, moi que vous étiez loin d’attendre, n’est-ce pas? moi qui ai surpris le secret d’un rendez-vous dont je cherche vainement à m’expliquer le motif. Quel rapport peut-il exister entre vous et madame Ducoudray, ou plutôt entre vous et Fernande? Où l’avez-vous vue? d’où la connaissez-vous? Voyons, répondez, parlez, dites.

– Mais, madame, balbutia le comte, pressé ainsi du premier coup dans ses derniers retranchements, est-ce bien sérieusement que vous me faites une scène de jalousie?

– Très-sérieusement, monsieur. Je suis confiante, c’est vrai, trop confiante peut-être, car depuis six semaines je crois à toutes les histoires de bureaux, de réunions préparatoires et de commissions que vous me faites; mais la confiance a ses bornes, et ce que je vois depuis ce matin de mes propres yeux m’éclaire.

– Mais qu’avez-vous vu, au nom du ciel, madame? s’écria le comte épouvanté.

– J’ai vu que madame Ducoudray est jeune, jolie, élégante, et, dit-on, fort coquette. J’ai vu votre inquiétude quand on a parlé d’elle, votre étonnement quand elle a paru, les signes d’intelligence que vous lui avez faits.

– Moi?

– Oui, vous. Il est vrai qu’elle n’y a pas répondu, elle. Mais, enfin, vous lui avez donné un rendez-vous; vous ne le nierez pas, puisque vous y êtes, puisqu’en me voyant venir vous m’avez prise pour elle. Eh bien, je suis à ce rendez-vous, j’y suis à sa place. J’ai pris les devants; vous me devez donc une explication, et je suis en droit de l’exiger, moi qui, malgré toutes les infidélités que vous avez dû me faire, n’ai jamais un instant trahi la foi jurée.

Cette avalanche de reproches eut cela de bon pour le comte, qu’elle lui donna le temps de préparer sa réponse. Aussi, lorsque madame de Barthèle s’arrêta pour reprendre haleine, était-il à peu près remis de son émotion, et avait-il déjà avisé un moyen de sortir du mauvais pas où il s’était embourbé.

– Comment! madame, dit-il avec l’apparence du plus grand sang-froid et haussant légèrement les épaules, vous n’avez pas deviné?

– Non, monsieur, je n’ai pas deviné; j’ai l’esprit fort obtus, je l’avoue, et j’attends que vous m’expliquiez…

– Vous n’ignorez pas, redit M. de Montgiroux en baissant la voix, quelle est la femme que vous avez mise en rapport avec Maurice?

– Une femme charmante, monsieur, d’une élégance parfaite, la fille du marquis de Mormant, l’amie de madame de Neuilly. Vous ne direz pas, je l’espère, monsieur, que la jalousie me rend injuste pour ma rivale.

– Oui, continua le comte, enchanté au fond du cœur que la baronne rendît si entière justice à sa maîtresse: avec tout cela, c’est une personne fort connue, trop célèbre même, et que son bon ton, ses bonnes manières, sa bonne naissance ne sauraient absoudre.

– Eh! mon Dieu! monsieur, ne rencontrez-vous pas tous les jours dans le monde des femmes qui mènent une vie bien autrement scandaleuse que celle de madame Ducoudray?

– Oui, dit M. de Montgiroux; mais ces femmes sont mariées ou sont veuves.

– Ah! la belle excuse que vous donnez là! Eh bien, que Fernande rencontre un jeune lion ruiné ou un vieux beau amoureux qui fasse la folie de l’épouser, Fernande deviendra une femme comme une autre, et je dirai plus, une femme mieux qu’une autre; et alors tout le monde s’empressera autour d’elle; ses talents, que personne ne connaît, parce qu’elle vit dans un cercle excentrique, feront les délices des soirées les plus aristocratiques. Eh! monsieur, n’ayez pas l’air de nier, il y a mille exemples de cela; et moi toute la première, moi qui, il me semble, ai mené une vie exemplaire, eh bien, moi, je la recevrais.

Le comte sourit à cette ingénuité de la baronne, mais il reprit:

– Eh bien, moi, je serai plus rigoriste que vous, ma chère baronne. Je suis de votre avis: Fernande est une personne adorable, une créature charmante, et je comprends qu’elle fasse un jour une de ces passions qui enlèvent un homme au-dessus des préjugés et qui font une position à une femme qui n’en a pas; mais je dis qu’en attendant que Fernande ait cette position, c’est à moi de lui faire comprendre qu’elle ne doit pas rester plus longtemps ici, et qu’il est inconvenant d’accepter l’hospitalité dans cette maison, et qu’elle ne peut point passer la nuit sous le même toit que Maurice et sa femme.

– Eh bien, cher comte, je suis charmée de vous dire, si vous n’étiez venu ici que pour cela, que votre rendez-vous est inutile, attendu que, me doutant de quelque chose de pareil, je viens de faire dire par madame de Neuilly aux gens de Fernande de retourner à Paris: et comme madame de Neuilly a dû leur donner cet ordre au nom de leur maîtresse, madame Ducoudray est ici jusqu’à demain soir.

– Vous n’avez pas fait une pareille chose, j’espère!

– Si fait, monsieur, et j’en suis même enchantée.

– Vous serez donc toujours inconséquente?

– Inconséquente! parce que j’aime Maurice, parce que je ne veux pas que Maurice meure, parce que je veux conserver celle qui l’a sauvé comme par miracle en paraissant devant lui, qui peut par son départ précipité le jeter ce soir dans l’état où il était ce matin! Inconséquente tant que vous voudrez, monsieur; mais je suis mère avant tout, et madame Ducoudray restera.

– Ne l’espérez pas, madame, reprit le comte, car elle-même se rendra justice. Une telle visite, toute bizarre qu’elle est, peut avoir son excuse dans une erreur, dans une plaisanterie; mais la prolonger, c’est vouloir un scandale.

– Ce scandale, qui le fera?

– Madame de Neuilly.

– N’avez-vous pas vu comment elle a accueilli Fernande?

– Parce qu’elle la prend pour madame Ducoudray.

– Eh bien, elle continuera de la croire ce qu’elle n’est pas, au lieu de savoir ce qu’elle est.

– Mais d’un instant à l’autre elle sera tirée de son erreur.

– Par qui?

– Par le premier venu, par monsieur Fabien ou par monsieur Léon.

– Quels motifs auraient-ils de lui faire une pareille confidence?

– Qui peut lire dans le cœur de deux jeunes fous comme ceux-là?

– Prenez garde, monsieur de Montgiroux; si vous en veniez à les accuser, je reviendrais à croire que vous êtes jaloux d’eux, parce que vous faites la cour à madame Ducoudray.

– Et vous vous tromperiez, chère amie, reprit M. de Montgiroux avec une recrudescence de tendresse pour la baronne; je ne suis jaloux que du repos de Clotilde et du bonheur de Maurice.

– Eh bien, mais il me semble que, moi aussi, je n’ai pas d’autre but que de rendre un mari à sa femme, en retenant ici madame Ducoudray.

– Et si, au contraire, vous le lui enleviez?

– Comment cela?

– Oui, si une passion assez violente pour avoir failli coûter la vie à Maurice ne lui a rendu la vie qu’avec l’espérance que cette passion serait partagée! C’est donc vous alors qui avez introduit dans la chambre même de Clotilde une rivale préférée; ne voyez-vous pas là, chère baronne, un immense danger pour l’avenir de ces deux enfants?

– C’est vrai, à la bonne heure, voilà une considération sérieuse, et vous voyez bien que lorsqu’on me parle raison, je suis raisonnable.