Espères-tu chasser ton cauchemar moqueur,
Et viens-tu demander au torrent des orgies
De rafraîchir l’enfer allumé dans ton cœur?
Inépuisable puits de sottise et de fautes!
De l’antique douleur éternel alambic!
À travers le treillis recourbé de tes côtes
Je vois, errant encor, l’insatiable aspic.
Pour dire vrai, je crains que ta coquetterie
Ne trouve pas un prix digne de ses efforts;
Qui, de ces cœurs mortels, entend la raillerie?
Les charmes de l’horreur n’enivrent que les forts!
Le gouffre de tes yeux, plein d’horribles pensées,
Exhale le vertige, et les danseurs prudents
Ne contempleront pas sans d’amères nausées
Le sourire éternel de tes trente-deux dents.
Pourtant, qui n’a serré dans ses bras un squelette,
Et qui ne s’est nourri des choses du tombeau?
Qu’importe le parfum, l’habit ou la toilette?
Qui fait le dégoûté montre qu’il se croit beau.
Bayadère sans nez, irrésistible gouge,
Dis donc à ces danseurs qui font les offusqués:
«Fiers mignons, malgré l’art des poudres et du rouge,
Vous sentez tous la mort! Ô squelettes musqués,
Antinoüs flétris, dandys à face glabre,
Cadavres vernissés, lovelaces chenus,
Le branle universel de la danse macabre
Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus!
Des quais froids de la Seine aux bords brûlants du Gange,
Le troupeau mortel saute et se pâme, sans voir
Dans un trou du plafond la trompette de l’Ange
Sinistrement béante ainsi qu’un tromblon noir
En tout climat, sous tout soleil, la Mort t’admire
En tes contorsions, risible Humanité,
Et souvent, comme toi, se parfumant de myrrhe,
Mêle son ironie à ton insanité!»
XCVIII. – L’amour du mensonge
Quand je te vois passer, ô ma chère indolente,
Au chant des instruments qui se brise au plafond
Suspendant ton allure harmonieuse et lente,
Et promenant l’ennui de ton regard profond;
Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore,
Ton front pâle, embelli par un morbide attrait,
Où les torches du soir allument une aurore,
Et tes yeux attirants comme ceux d’un portrait,
Je me dis: Qu’elle est belle! et bizarrement fraîche!
Le souvenir massif, royale et lourde tour,
La couronne, et son cœur, meurtri comme une pêche
Est mûr, comme son corps, pour le savant amour.
Es-tu le fruit d’automne aux saveurs souveraines?
Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs,
Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines,
Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs?
Je sais qu’il est des yeux, des plus mélancoliques,
Qui ne recèlent point de secret précieux;
Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques,
Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux!
Mais ne suffit-il pas que tu sois l’apparence,