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Les femmes de plaisir, la paupière livide,

Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide;

Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids,

Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts.

C’était l’heure où parmi le froid et la lésine

S’aggravent les douleurs des femmes en gésine;

Comme un sanglot coupé par un sang écumeux

Le chant du coq au loin déchirait l’air brumeux;

Une mer de brouillards baignait les édifices,

Et les agonisants dans le fond des hospices

Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux.

Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.

L’aurore grelottante en robe rose et verte

S’avançait lentement sur la Seine déserte,

Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,

Empoignait ses outils, vieillard laborieux.

Le Vin

CIV. – L’âme du vin

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles:

«Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,

Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,

Un chant plein de lumière et de fraternité!

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,

De peine, de sueur et de soleil cuisant

Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme;

Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j’éprouve une joie immense quand je tombe

Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,

Et sa chaude poitrine est une douce tombe

Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches

Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant?

Les coudes sur la table et retroussant tes manches,

Tu me glorifieras et tu seras content;

J’allumerai les yeux de ta femme ravie;

À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs

Et serai pour ce frêle athlète de la vie

L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,

Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,

Pour que de notre amour naisse la poésie

Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur!»

CV. – Le vin des chiffonniers

Souvent, à la clarté rouge d’un réverbère

Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre,

Au cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux

Où l’humanité grouille en ferments orageux,

On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête,

Buttant, et se cognant aux murs comme un poète,

Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,

Épanche tout son cœur en glorieux projets.

Il prête des serments, dicte des lois sublimes,

Terrasse les méchants, relève les victimes,

Et sous le firmament comme un dais suspendu

S’enivre des splendeurs de sa propre vertu.

Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage,