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Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,

Et que languissamment je me tournai vers elle

Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus

Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus!

Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,

Et quand je les rouvris à la clarté vivante,

À mes côtés, au lieu du mannequin puissant

Qui semblait avoir fait provision de sang,

Tremblaient confusément des débris de squelette,

Qui d’eux-mêmes rendaient le cri d’une girouette

Ou d’une enseigne, au bout d’une tringle de fer,

Que balance le vent pendant les nuits d’hiver.

APPENDICE I. SUPPLÉMENT AUX FLEURS DU MAL

Nouvelles Fleurs du Mal

I. – Épigraphe pour un livre condamné

Lecteur paisible et bucolique,

Sobre et naïf homme de bien,

Jette ce livre saturnien,

Orgiaque et mélancolique.

Si tu n’as fait ta rhétorique

Chez Satan, le rusé doyen,

Jette! tu n’y comprendrais rien;

Ou tu me croirais hystérique.

Mais si, sans se laisser charmer,

Ton œil sait plonger dans les gouffres,

Lis-moi, pour apprendre à m’aimer;

Âme curieuse qui souffres

Et vas cherchant ton paradis,

Plains-moi!… sinon, je te maudis!

II. – L’examen de minuit

La pendule, sonnant minuit,

Ironiquement nous engage

À nous rappeler quel usage

Nous fîmes du jour qui s’enfuit:

– Aujourd’hui, date fatidique,

Vendredi, treize, nous avons,

Malgré tout ce que nous savons,

Mené le train d’un hérétique;

Nous avons blasphémé Jésus,

Des Dieux le plus incontestable!

Comme un parasite à la table

De quelque monstrueux Crésus,

Nous avons, pour plaire à la brute,

Digne vassale des Démons,

Insulté ce que nous aimons,

Et flatté ce qui nous rebute;

Contristé, servile bourreau,

Le faible qu’à tort on méprise;

Salué l’énorme Bêtise,

La Bêtise au front de taureau;

Baisé la stupide Matière

Avec grande dévotion,

Et de la putréfaction

Béni la blafarde lumière.

Enfin, nous avons, pour noyer

Le vertige dans le délire,

Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,

Dont la gloire est de déployer

L’ivresse des choses funèbres,

Bu sans soif et mangé sans faim!…

– Vite soufflons la lampe, afin

De nous cacher dans les ténèbres!

III. – Madrigal triste

I

Que m’importe que tu sois sage?

Sois belle! et sois triste! Les pleurs

Ajoutent un charme au visage,

Comme le fleuve au paysage;

L’orage rajeunit les fleurs.