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Et bien qu’elle n’ait pas souvent même une obole

Pour se frotter la chair et pour s’oindre l’épaule,

Je la lèche en silence avec plus de ferveur

Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur.

La pauvre créature, au plaisir essoufflée,

A de rauques hoquets la poitrine gonflée,

Et je devine au bruit de son souffle brutal

Qu’elle a souvent mordu le pain de l’hôpital.

Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle,

Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle,

Car, ayant trop ouvert son cœur à tous venants,

Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.

Ce qui fait que de suif elle use plus de livres

Qu’un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres,

Et redoute bien moins la faim et ses tourments

Que l’apparition de ses défunts amants.

Si vous la rencontrez, bizarrement parée,

Se faufilant, au coin d’une rue égarée,

Et la tête et l’œil bas comme un pigeon blessé,

Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,

Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d’ordure

Au visage fardé de cette pauvre impure

Que déesse Famine a par un soir d’hiver,

Contrainte à relever ses jupons en plein air.

Cette bohème-là, c’est mon tout, ma richesse,

Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,

Celle qui m’a bercé sur son giron vainqueur,

Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur.

VIII

Ci-gît, qui pour avoir par trop aimé les gaupes,

Descendit jeune encore au royaume des taupes.

IX

Noble femme au bras fort, qui durant les longs jours

Sans penser bien ni mal dors ou rêves toujours,

Fièrement troussée à l’antique,

Toi que depuis dix ans qui pour moi se font lents

Ma bouche bien apprise aux baisers succulents

Choya d’un amour monastique -

Prêtresse de débauche et ma sœur de plaisir

Qui toujours dédaignas de porter et nourrir

Un homme en tes cavités saintes,

Tant tu crains et tu fuis le stygmate alarmant

Que la vertu creusa de son soc infamant

Au flanc des matrones enceintes.

X

Tous imberbes alors, sur les vieux bancs de chêne

Plus polis et luisants que des anneaux de chaîne,

Que, jour à jour, la peau des hommes a fourbis,

Nous traînions tristement nos ennuis, accroupis

Et voûtés sous le ciel carré des solitudes,

Où l’enfant boit, dix ans, l’âpre lait des études.

C’était dans ce vieux temps, mémorable et marquant,

Où forcés d’élargir le classique carcan,

Les professeurs, encor rebelles à vos rimes,

Succombaient sous l’effort de nos folles escrimes

Et laissaient l’écolier, triomphant et mutin,

Faire à l’aise hurler Triboulet en latin. -