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« Tu t’améliores, inspecteur Hodges, et il te reste encore une minute. Détends-toi et continue à taper. C’est plus facile si tu te détends. »

La voix ne résonne plus du fond d’un couloir : bien que Brady se tienne maintenant juste en face de lui, elle provient d’une galaxie fort, fort lointaine. Brady se penche et fixe avidement le visage de Hodges. Mais il y a des poissons qui nagent entre eux. Des petits roses, des petits bleus, des petits rouges. Parce que Hodges se trouve dans l’écran du Fishin’ Hole à présent. C’est un aquarium et il est le poisson. Il sera bientôt dévoré. Dévoré vivant.

« Allez, Billy Boy, attrape les poissons roses ! »

Je ne peux pas le laisser entrer, se dit Hodges, mais je ne peux pas non plus l’en empêcher.

Il attrape un poisson rose qui se change en 9, et ce n’est plus seulement des doigts qu’il sent à présent, mais une autre conscience qui se déverse dans son esprit. Elle se répand comme l’encre dans l’eau. Hodges essaye de se débattre mais il sait qu’il va perdre. La force de cette personnalité envahissante est phénoménale.

Je vais me noyer. Me noyer dans l’aquarium. Me noyer dans Brady Hartsfield.

À la mer, à la mer, près de la magnifique m…

Un carreau se brise non loin. « Et c’est un HOME RUN ! » claironne un joyeux chœur de garçons.

Le lien unissant Hodges à Hartsfield est rompu par l’effet de surprise, brut et inattendu. Hodges sursaute dans son fauteuil et lève la tête alors que Brady pivote vers le canapé, les yeux écarquillés et la bouche béante d’effarement. Le Victory .38, que seul son petit canon maintient contre ses reins (le barillet l’empêche de s’enfoncer plus profond), s’échappe de sa ceinture et tombe sur le tapis en peau d’ours.

Hodges n’hésite pas une seule seconde. Il balance le Zappit dans le foyer de la cheminée.

« T’as pas intérêt ! » beugle Brady en se retournant. Il lève le SCAR. « Fais pas ça, mer… »

Hodges attrape l’objet le plus proche, pas le .38 mais le porte-crayons en céramique. Son poignet gauche va très bien et la distance est courte. Il le jette au visage que Brady a volé, le jette de toutes ses forces et atteint sa cible, en plein dans le mille. Le crâne en céramique se fracasse. Brady hurle — de douleur, oui, mais surtout de stupéfaction — et du sang jaillit de son nez. Quand il essaie de redresser le fusil, Hodges déplie les jambes, essuyant un autre violent encornement, et balance ses pieds dans l’estomac de Brady. Brady titube en arrière, retrouve presque l’équilibre, trébuche sur un pouf et s’étale sur la peau d’ours.

Hodges tente de se propulser hors du fauteuil mais ne réussit qu’à renverser la table basse. Il tombe à genoux au moment où Brady se redresse sur son séant en ramenant le SCAR contre lui. Une détonation retentit avant qu’il ait le temps de le braquer sur Hodges, et Brady hurle à nouveau. Uniquement de douleur, cette fois. Incrédule, il tourne la tête vers son épaule où du sang coule par un trou dans sa chemise.

Holly est assise. Elle a un bleu monstrueux au-dessus de l’œil gauche, quasiment au même endroit que celui de Freddi. Son œil gauche est rouge, injecté de sang, mais l’autre est brillant et aux aguets. Elle tient le Victory .38 à deux mains.

« Tire encore ! rugit Hodges. Tire, Holly ! »

Alors que Brady se met debout dans une embardée — le visage hébété, une main plaquée sur sa blessure, l’autre tenant le SCAR —, Holly tire encore. La balle part trop haut, ricoche sur la cheminée en pierres apparentes au-dessus du feu qui ronfle.

« Arrête ! » crie Brady, se baissant pour esquiver. Il se démène en même temps pour redresser le SCAR. « Arrête ça, espèce de salo… »

Holly tire une troisième fois. La manche de Brady tressaute et il hurle. Hodges ne sait pas si la balle l’a transpercé mais elle l’a au moins éraflé.

Hodges se remet debout et tente de s’élancer vers Brady qui se débat toujours avec son fusil automatique. Il ne parvient qu’à se traîner d’un pas lourd.

« T’es sur le passage ! crie Holly. Bill, pousse-toi, t’es sur le toufu passage ! »

Hodges tombe à genoux et rentre la tête. Brady pivote et court. Le .38 claque. Des éclats de bois giclent de l’encadrement de la porte trente centimètre sur sa droite. Puis il a disparu. La porte d’entrée est ouverte. De l’air froid s’engouffre, excitant la danse du feu.

« Je l’ai raté ! s’écrie Holly, accablée. Idiote et bonne à rien que je suis ! Idiote et bonne à rien ! »

Elle lâche le Victory et se gifle le visage.

Hodges intercepte sa main avant qu’elle puisse recommencer et s’agenouille près d’elle.

« Non, tu l’as touché au moins une fois, peut-être deux. C’est grâce à toi si on est encore en vie. »

Mais pour combien de temps ? Brady s’est enfui avec son maudit fusil d’assaut, il se peut qu’il ait une ou deux recharges en rab, et Hodges sait qu’il ne mentait pas sur la capacité du MK 17 à démolir des blocs de béton. Il a vu un fusil d’assaut similaire, le HK 416, faire exactement ça sur un champ de tir privé dans les collines du comté de Victory. Il y était allé avec Pete et, sur le chemin du retour, ils avaient plaisanté comme quoi le HK devrait être une arme de police réglementaire.

« Qu’est-ce qu’on fait ? demande Holly. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

Hodges récupère le .38 et fait tourner le barillet. Plus que deux cartouches, et de toute façon, le .38 n’est efficace qu’à bout portant. Holly souffre d’un traumatisme crânien, à tout le moins, et lui est quasiment invalide. L’amère vérité, c’est qu’ils avaient une chance de l’avoir et que Brady s’est échappé.

Il la serre dans ses bras et répond :

« Je sais pas.

— Peut-être qu’on devrait se cacher.

— Je pense pas que ça marcherait », dit-il, mais il ne précise pas pourquoi, et il est soulagé qu’elle ne demande pas.

C’est parce qu’il reste encore un peu de Brady en lui. Ça ne durera probablement pas longtemps, mais Hodges a dans l’idée que pour le moment, c’est aussi efficace qu’une balise radar.

32

Brady titube, enfoncé dans la neige jusqu’à mi-mollet, les yeux hagards, le cœur de soixante-trois ans de Babineau battant la chamade dans sa poitrine. Il a un goût métallique sur la langue, son épaule le brûle et une pensée tourne en boucle dans sa tête : Cette pute, cette pute, cette sale petite pute, pourquoi je l’ai pas tuée tant que je pouvais ?

Et en plus, il n’a plus le Zappit. Ce bon vieux Zappit Zéro, et c’est le seul qu’il a apporté. Sans lui, il n’a aucun moyen d’atteindre les esprits des gens connectés à leur propre Zappit. Il est là, pantelant, debout devant le chalet Têtes et Peaux, sans manteau dans le vent froid et la neige cinglante. Les clés de la voiture de Z-Boy sont dans sa poche — avec une recharge de munitions pour le SCAR — mais à quoi lui serviraient-elles ? Ce tacot pourri n’aurait pas monté la moitié de la première côte qu’il serait déjà enlisé.

Je dois leur régler leur compte, se dit-il, et pas seulement parce qu’ils le méritent. Le 4 × 4 avec lequel Hodges est arrivé est le seul moyen de repartir, et soit c’est lui, soit c’est la salope qui a les clés. Ils les ont peut-être laissées sur le contact mais c’est un risque que je peux pas me permettre de prendre.