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— Non. » Le cœur de Rob cognait si fort qu’il le sentait battre dans sa gorge. « J’étais occupé à sauver notre peau. Dis donc, comment il peut y avoir de multiples victimes au City Center ? Dieu n’est même pas encore levé. Ça doit être fermé, là-bas.

— Un accident de bus, peut-être.

— Je pense pas. Ils commencent pas à rouler avant six heures. »

Des sirènes. Des sirènes partout se mettant à converger comme les bips sur un écran radar. Une voiture de police les doubla à toute allure, mais à ce que Rob pouvait constater, leur véhicule devançait toujours les autres ambulances et camions de pompiers.

Ce qui nous laisse une chance d’être les premiers à se faire canarder ou exploser par un Arabe fou furieux en train de gueuler Allahou akbar, pensa-t-il. Sympa.

Mais le boulot c’est le boulot, alors il fonça dans la côte abrupte menant aux principaux bâtiments administratifs de la ville et à l’Auditorium moche comme un cul où il allait voter avant de déménager en banlieue.

« Freine ! hurla Jason. Putain, Robbie, FREINE ! »

Sortant du brouillard, des dizaines et des dizaines de gens arrivaient dans leur direction, quelques-uns sprintant de manière presque incontrôlée à cause de la pente. Certains hurlaient. Un type tomba, roula, se releva et poursuivit sa course, le pan de sa chemise déchirée claquait sous sa veste. Rob aperçut une femme aux collants déchiquetés, les tibias en sang, avec une seule chaussure. Il freina en catastrophe, le nez de l’ambulance plongeant vers l’avant, du matériel médical non sécurisé volant en tous sens. Médicaments, flacons à perfusion, paquets d’aiguilles sortis d’un placard non verrouillé — une violation du protocole — se transformaient en projectiles. Le brancard dont ils n’avaient pas eu à se servir pour M. Galen rebondit contre la paroi du véhicule. Un stéthoscope trouva l’ouverture, vint frapper le pare-brise et retomba sur la console centrale.

« Ralentis, dit Jason. Te précipite pas, OK ? N’aggravons pas les choses. »

Rob appuya doucement sur l’accélérateur et réattaqua la montée, roulant maintenant au pas. Les gens continuaient d’affluer, par centaines aurait-on dit, certains en sang, la plupart ne présentant pas de blessures visibles, tous terrifiés. Jason abaissa la vitre côté passager et se pencha au-dehors.

« Qu’est-ce qui se passe ? Quelqu’un peut me dire ce qui se passe ! »

Un homme s’arrêta, rouge et haletant.

« Une voiture. Elle est passée sur la foule comme une tondeuse à gazon. Le putain de taré m’a manqué de peu. Je sais pas combien il en a fauché. On était tous parqués comme des cochons à cause des poteaux qu’ils ont installés pour que les gens restent en file. Il l’a fait exprès et ils sont tous étalés là-haut comme… oh Seigneur, comme des poupées remplies de sang. J’ai vu au moins quatre morts. Y en a forcément plus. »

Le type commença à repartir, d’un pas lourd maintenant que l’adrénaline était retombée. Jason détacha sa ceinture et se pencha à la fenêtre pour le rappeler.

« Vous avez vu de quelle couleur elle était ? La voiture qui a fait ça ? »

L’homme se retourna, pâle et hagard.

« Grise. Une grosse bagnole grise. »

Jason se rassit et regarda Rob. Pas besoin de mots pour se comprendre : c’était la voiture qu’ils avaient évitée de justesse en quittant le McDo. Et c’était pas de la rouille sur son museau, en fin de compte.

« Avance, Robbie. On s’occupera du bordel à l’arrière plus tard. Conduis-nous au bal et essaye de renverser personne, OK ?

— Ouais. »

Quand Rob atteignit enfin le parking, la panique refluait. Des gens quittaient les lieux en marchant ; d’autres essayaient d’aider ceux que la voiture grise avait percutés ; quelques-uns — le quota de connards présent dans toutes les foules — prenaient des photos ou des vidéos avec leurs téléphones. Espérant faire le buzz sur YouTube, pensa Rob. Des poteaux chromés, traînant après eux des rubans jaunes NE PAS FRANCHIR, étaient couchés sur le bitume.

La voiture de police qui les avait doublés était garée le long du bâtiment, près d’un sac de couchage d’où dépassait une main blanche et fine. Un homme était étalé de tout son long en travers du sac qui gisait au milieu d’une flaque de sang grandissante. Le flic fit signe à l’ambulance d’approcher, son bras semblant tressauter dans l’éclat bleu stroboscopique de la barre lumineuse sur le toit de sa voiture de patrouille.

Rob se saisit du terminal de données mobile et sortit pendant que Jason courait à l’arrière de l’ambulance. Il réapparut avec son sac de premiers secours et le défibrillateur externe. Le jour continuait de se lever et Rob put lire la banderole claquant au-dessus des portes de l’Auditorium : 1 000 EMPLOIS ASSURÉS ! Toujours aux côtés de nos concitoyens ! — VOTRE MAIRE RALPH KINSLER.

OK, voilà qui expliquait pourquoi il y avait autant de monde, et si tôt le matin. Un forum de l’emploi. Les temps étaient durs partout depuis que l’économie avait fait son propre infarctus foudroyant l’an passé, mais ils l’étaient tout particulièrement dans cette petite ville au bord du lac où l’hémorragie d’emplois avait commencé avant même le début du vingt et unième siècle.

Rob et Jason se précipitèrent vers le sac de couchage mais le policier secoua la tête. Il avait le teint blême.

« Ce gars-là est mort. Les deux dans le sac aussi. Sa femme et son bébé, je suppose. Il a dû essayer de les protéger. » Il émit un son bref et guttural — quelque chose entre le rot et le haut-le-cœur —, plaqua sa main sur sa bouche puis la retira et montra du doigt. « Cette dame, là, est peut-être encore en vie. »

La dame en question était renversée sur le dos, ses jambes tordues formant avec son torse un angle qui suggérait un traumatisme grave. L’entrejambe de son élégant pantalon beige était assombri par l’urine. Son visage — ce qu’il en restait — était couvert de cambouis. Une partie de son nez ainsi que presque toute sa lèvre supérieure avaient été arrachées. Ses dents joliment recouvertes de facettes étaient dénudées dans un rictus inconscient. Son manteau et le haut de son pull à col roulé avaient aussi été arrachés. De larges ecchymoses foncées s’épanouissaient sur son cou et son épaule.

Cette putain de bagnole lui a carrément roulé dessus, pensa Rob. L’a écrasée comme un tamia. Jason et lui s’agenouillèrent près d’elle en faisant claquer leurs gants bleus. Son sac à main gisait non loin de là, abîmé par une trace de pneu. Rob le ramassa et le lança à l’arrière de l’ambulance, pensant que l’empreinte du pneu pourrait se révéler utile pour l’enquête. Et bien sûr, la femme voudrait le récupérer.

Si elle survivait, bien entendu.

« Elle ne respire plus mais j’ai son pouls, dit Jason. Faible et fuyant. Déchire-moi ce pull. »

Rob s’exécuta et la moitié du soutien-gorge, bretelles en lambeaux, vint avec. Il tira le reste vers le bas pour dégager le buste puis commença les compressions thoraciques pendant que Jason pratiquait une intubation.

« Elle va s’en sortir ? demanda le flic.

— Je sais pas, répondit Rob. On s’en occupe. Faites ce que vous avez à faire. Si d’autres véhicules de secours déboulent en trombe comme on a failli le faire, quelqu’un va se faire tuer.

— Bon sang, il y a des gens blessés couchés partout. On dirait un champ de bataille.

— Aidez ceux que vous pouvez.

— Elle respire, dit Jason. On y va, Robbie, on a une vie à sauver, là. Attrape le TDM et préviens Kiner qu’on leur amène une possible fracture des cervicales, traumatisme médullaire, blessures internes et faciales, Dieu sait quoi encore. État critique. Je te donnerai ses signes vitaux. »