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« Tu as maigri », dit-elle.

Ce pourrait être un compliment aussi bien qu’une accusation.

« Il a des problèmes d’estomac, dit Holly. Il est allé faire des examens et les résultats devaient arriver aujourd’hui mais…

— Parlons d’autre chose, Hol, la coupe Hodges. On est pas en consultation, là.

— Vous ressemblez de plus en plus à un vieux couple, vous deux », dit Izzy.

Holly répond d’un ton pragmatique :

« La vie de couple gâcherait notre entente professionnelle. »

Pete rigole et Holly lui jette un regard perplexe alors qu’ils franchissent le seuil de la maison.

C’est une magnifique demeure de style Cape Cod, et bien qu’elle soit située au sommet d’une colline et que ce soit l’hiver, il fait bien chaud à l’intérieur. Dans l’entrée, tous les quatre enfilent une fine paire de gants en caoutchouc et des surchaussures. C’est fou comme tout revient, pense Hodges. Comme si j’étais jamais parti.

Dans le salon, il y a un tableau représentant deux petits enfants aux yeux immenses accroché à un mur et un grand écran de télé sur un autre. Il y a un fauteuil de repos installé en face de la télé avec une table basse à côté. Sur la table basse, un soigneux éventail de magazines people style OK ! et de torchons à scandale style Inside View. Au milieu de la pièce, Hodges remarque deux profondes rainures dans le tapis. C’est là qu’elles s’installaient le soir pour regarder la télé, se dit-il. Ou peut-être toute la journée. Maman dans son fauteuil de repos, Martine dans son fauteuil roulant. Qui devait peser une tonne à en juger par ces empreintes.

« Comment s’appelait la mère ? demande Hodges.

— Janice Ellerton. Mari, James, mort il y a vingt ans, selon… » De la vieille école comme Hodges, Pete utilise un carnet au lieu d’un iPad. Il le consulte. « … selon Yvonne Carstairs. C’est elle et Georgina Ross, l’autre aide à domicile, qui ont trouvé les corps quand elles sont arrivées ce matin peu avant six heures. Elles étaient payées plus si elles arrivaient plus tôt. Ross n’a pas été d’une grande aide…

— Elle ne faisait que bredouiller, dit Izzy. Mais Carstairs a été bien. Elle a gardé la tête froide. Appelé la police aussitôt, on était sur les lieux à six heures quarante.

— Quel âge avait maman ? demande Hodges.

— On sait pas encore exactement, répond Pete, mais plus toute jeune.

— Elle avait soixante-dix-neuf ans, dit Holly. L’un des articles que j’ai lus en attendant que Bill vienne me chercher disait qu’elle avait soixante-treize ans au moment du Massacre du City Center.

— Ouais, plus toute jeune pour s’occuper d’une fille tétraplégique, commente Hodges.

— Elle était en forme pour son âge, dit Isabelle. Du moins d’après Carstairs. Une femme de tête. Et elle avait toute l’aide dont elle avait besoin. Elle pouvait se le permettre grâce…

– À l’argent de l’assurance, finit Hodges. Holly m’a mis au courant sur la route. »

Izzy jette un œil à Holly. Holly ne remarque rien. Elle examine la pièce. En fait l’inventaire. Renifle l’air. Passe une main sur le dossier du fauteuil de maman. Holly souffre de troubles émotionnels, elle prend irrationnellement tout au pied de la lettre, mais elle a aussi les sens en alerte comme personne.

Pete dit :

« Il y avait deux aides à domicile le matin, deux l’après-midi et deux le soir. Sept jours sur sept. Une compagnie privée qui s’appelle… » — retour à ses notes — « … Home Helpers. Elles se chargeaient du lourd. Il y a aussi une femme de ménage, Nancy Alderson, mais apparemment elle est en congé. Le calendrier de la cuisine dit : Nancy à Chagrin Falls. Avec aujourd’hui, mardi et mercredi barrés. »

Deux hommes, portant eux aussi des gants et des surchaussures, arrivent du fond du couloir. La partie de la maison qu’occupait la défunte Martine Stover, suppose Hodges. Ils transportent des caisses de collecte de preuves.

« C’est bon pour la salle de bains et la chambre, dit l’un d’eux.

— Vous avez trouvé quelque chose ?

– À peu près ce à quoi on pouvait s’attendre, répond l’autre. On a retiré pas mal de cheveux blancs de la baignoire, pas étonnant étant donné que c’est là que la vieille dame l’a fait. Il y avait aussi des traces d’excréments dans la baignoire, mais peu. Ce à quoi on s’attendait aussi. » En voyant le regard interrogateur de Hodges, le technicien ajoute : « Elle portait une couche. Elle s’était préparée.

— Beurk », lâche Holly.

Le premier technicien dit :

« Il y a une chaise de douche, mais elle est dans un coin avec une pile de serviettes propres dessus. On dirait qu’elle n’a jamais servi.

— On devait lui faire sa toilette au gant », dit Holly.

Elle a toujours l’air dégoûtée, soit à l’idée de la couche, soit par les traces de merde dans la baignoire, mais ses yeux continuent de scanner la pièce. Il se peut qu’elle pose une question ou deux, ou qu’elle lâche un commentaire, mais la plupart du temps elle restera silencieuse car les gens l’intimident, surtout en tête à tête. Mais Hodges la connaît bien — du moins autant qu’on le peut — et il peut voir qu’elle est aux aguets.

Elle parlera plus tard, et Hodges écoutera attentivement. L’an passé, durant l’affaire Saubers, Hodges a appris qu’écouter Holly porte ses fruits. Elle pense en dehors des clous, parfois carrément à l’opposé, et elle est dotée d’une intuition troublante. Et, bien que craintive par nature — Dieu sait qu’elle a ses raisons —, elle sait être courageuse. Holly est la raison pour laquelle Brady Hartsfield, alias le Tueur à la Mercedes, se trouve maintenant au Kiner Memorial, à la Clinique des Traumatisés du Cerveau de la région des Grands Lacs. Elle lui a défoncé le crâne avec une chaussette bourrée de billes de roulement avant que Hartsfield ait pu déclencher une catastrophe bien plus vaste que celle du City Center. Il vit maintenant dans une quatrième dimension que le neuro en chef de la clinique appelle « état végétatif persistant ».

« Les tétraplégiques peuvent prendre des douches, précise Holly, mais ça leur est difficile à cause de tout le matériel médical auquel ils sont rattachés. Donc pour eux c’est plutôt des toilettes au gant.

— Allons dans la cuisine, où il y a du soleil », dit Pete, et dans la cuisine ils vont.

La première chose que remarque Hodges, c’est l’égouttoir, où une unique assiette — ayant contenu le dernier repas de Mme Ellerton — a été mise à sécher. Les plans de travail sont étincelants et on pourrait manger sur le sol tellement il est propre. Hodges a dans l’idée que son lit à l’étage est soigneusement fait. Elle a peut-être même aspiré les moquettes. Et puis il y a la couche. Elle a pris soin de tout ce qu’elle a pu. Ayant lui-même à une époque sérieusement envisagé le suicide, Hodges peut comprendre.

6

Pete, Izzy et Hodges s’installent à la table de la cuisine. Holly ne tient pas en place, tantôt debout derrière Isabelle pour regarder la série de photos intitulée ELLERTON/STOVER sur l’iPad d’Izzy, tantôt furetant dans les divers placards, ses doigts gantés aussi légers que des papillons.

Tout en commentant, Izzy fait défiler les photos sur l’écran.

La première montre deux femmes d’âge mûr. Elles sont toutes les deux balèzes et baraquées dans leur uniforme Home Helpers en nylon rouge. L’une d’elles — Georgina Ross, suppose Hodges — pleure en se tenant les épaules si bien que ses avant-bras sont pressés contre son buste. L’autre, Yvonne Carstairs, ne semble pas faite du même bois.