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Théo afficha le message. Celui-ci était rédigé en allemand, mais le jeune homme ne rencontra aucune difficulté pour le lire. Il songea que Michiko ne parlait pas l’allemand et il le traduisit pour elle.

— C’est une femme qui habite à Berlin, expliqua-t-il. Elle écrit quelque chose comme : « J’ai vu votre post sur un newsgroup que je lis souvent. Vous cherchez des gens qui pourraient savoir quelque chose concernant votre assassinat. Justement, une personne qui vit dans le même immeuble que moi est dans ce cas. Nous nous sommes tous rassemblés dans le hall après la chose qui est arrivée à tout le monde et nous avons échangé nos visions. Dans la sienne, un homme que je ne connais pas très bien et qui habite à l’étage au-dessus du mien regardait les infos à la télé, et on parlait du meurtre d’un physicien. J’ai cru qu’il a dit que ça s’était passé à Lucerne, mais en lisant votre post je me suis rendu compte qu’il avait dit : CERN. Jamais entendu parler, j’avoue. Bref, je lui ai fait suivre une copie de votre message, mais je ne sais pas s’il vous contactera. Il s’appelle Wolfgang Rusch et vous pouvez l’appeler au… » Suit son numéro. Voilà, c’est tout ce qu’elle dit.

— Qu’allez-vous faire ? demanda Michiko.

— Contacter ce type.

Il décrocha son téléphone et tapa son code personnel de débit pour les appels à longue distance, puis il composa le numéro qui brillait toujours sur l’écran.

Chapitre 11

FLASH INFOS

Une journée de deuil national a été décrétée aux Philippines en hommage au président Maurice Maung et à tous les autres Philippins qui ont péri pendant le Flashforward.

* * *

Un groupe se faisant appeler « Coalition du 21 avril » a entamé une vaste opération de lobbying auprès du Congrès afin que soit approuvée la création d’un mémorial sur le mail de Washington en l’honneur des Américains décédés durant le Flashforward. Il propose une mosaïque géante représentant une vue sur Times Square à New York, tel qu’il sera apparemment en 2030, d’après les visions de milliers de personnes qui ont décrit ce lieu. Il y aurait une tuile de mosaïque pour chaque victime de l’événement, avec son nom gravé au laser.

* * *

Castle Rock Entertainment a annoncé que la sortie de son très attendu blockbuster de l’été, Catastrophe, était reportée à une date plus appropriée.

* * *

Le sentiment séparatiste au Québec n’a jamais été aussi faible, selon un sondage réalisé par la revue Maclean’s : « L’apparente certitude que le Québec fera toujours partie du Canada dans vingt-et-un ans a poussé nombre de séparatistes jusque-là irréductibles à jeter l’éponge », observe un éditorial de Maclean’s.

* * *

Dans l’intention de soulager les médecins qui soignent les personnes blessées physiquement pendant le Flashforward, la Food and Drug Administration américaine a autorisé la vente libre de onze antidépresseurs qui nécessitaient auparavant une ordonnance, et ce pour une période d’une année.

Ce soir-là, ils s’installèrent une nouvelle fois sur le canapé, dans l’appartement de Lloyd. Un paquet d’imprimés et de dossiers épais de cinq centimètres qu’il avait rapporté à la maison était posé sur la table basse. Michiko n’avait pas pleuré depuis qu’ils étaient arrivés ici, mais elle craquerait sans doute avant de s’endormir, comme les deux dernières nuits. Il s’efforçait de faire au mieux : il ne tentait pas d’éviter le sujet de Tamiko — ce qui serait revenu à nier qu’elle ait jamais existé, il le savait —, mais il n’en parlait que si Michiko elle-même mentionnait son prénom.

Et il voulait encore plus éviter le sujet de leur mariage au regard de leurs visions, et de tous les doutes qui dansaient une sarabande effrénée dans leurs esprits. C’est pourquoi ils restaient assis là, qu’il la prenait dans ses bras quand elle en avait besoin et qu’ils parlaient d’autres choses.

— Gaston Béranger m’a gratifié d’un exposé magistral sur le rôle de la science, aujourd’hui, disait Lloyd. Et, bon sang, il a fini par me convaincre qu’il était dans le vrai. Nous avons dit des trucs aberrants, nous autres scientifiques. Nous avons sciemment utilisé un vocabulaire insidieux pour faire croire aux gens que nous faisons des choses qu’en réalité nous ne savons pas faire.

— Je reconnais que nous nous sommes assez mal débrouillés pour ce qui est de présenter des vérités scientifiques au public, répondit Michiko. Mais… si le CERN est responsable…, Si tu es…

Si tu es responsable…

C’était évidemment ce qu’elle aurait dit si elle ne s’était pas interrompue. Si tu es responsable…

Oui, s’il était responsable — si son expérience, enfin la sienne et celle de Théo, avait d’une façon ou d’une autre provoqué toutes ces morts, toute cette destruction, le décès de Tamiko…

Il s’était juré de ne jamais rendre Michiko triste, de ne jamais lui infliger ce que Hiroshi lui avait fait subir. Mais si cette expérience avait été le déclencheur qui avait abouti, indirectement certes, sans le vouloir bien sûr, à la mort de Tamiko, alors il avait fait bien plus de mal à Michiko que l’indifférence et la négligence de Hiroshi.

Wolfgang Rusch avait paru assez peu enclin à se livrer au téléphone, tant et si bien que Théo avait fini par lui annoncer tout à trac qu’il allait venir le voir en Allemagne. Berlin n’était qu’à huit cent cinquante kilomètres de Genève. Il pouvait couvrir cette distance en une journée de voiture, mais il décida d’appeler une agence de voyage, au cas où il resterait une place de dernière minute et donc pas trop chère sur un vol quelconque.

Il se trouva qu’il restait beaucoup de places.

Oui, il y avait bien eu une légère réduction de la flotte aérienne. Certains appareils s’étaient écrasés, même si la grande majorité des trente-cinq mille avions commerciaux en vol avaient poursuivi tranquillement leur route, sans intervention du pilote. Et oui, il y avait un afflux de gens qui n’avaient d’autre choix que ce moyen de transport pour satisfaire à des urgences familiales.

Mais, selon l’agent de voyage, tous ceux qui le pouvaient préféraient rester chez eux. Des centaines de milliers de passagers refusaient d’embarquer alors qu’ils avaient réservé des places sur ces vols. Qui aurait pu leur en vouloir ? Si le black-out se reproduisait, d’autres avions s’écraseraient. La Swissair avait renoncé aux restrictions habituelles : pas de réservation nécessaire, aucune durée minimum pour le séjour, et elle avait quadruplé le nombre des points fidélité. Les premiers clients de classe économique à embarquer étaient même invités à occuper les sièges libres en classe affaires, sans surcoût. Théo n’eut donc aucune difficulté à prendre le premier vol disponible et quatre-vingt-dix minutes plus tard il atterrissait à Berlin. Il avait occupé cette heure et demie à simuler des collisions de noyaux de plomb sur son ordinateur portable.

Quand il arriva à l’appartement de Rusch, il était un peu plus de 20 heures.

— Merci d’avoir accepté de me recevoir, dit-il.

Rusch était un homme de trente-cinq ans environ, mince, blond, avec des yeux de la couleur du graphite. Il fit un pas de côté pour laisser entrer le Grec dans son petit appartement, mais il ne paraissait pas du tout enchanté de cette visite.