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Il porte un imper trop long qui lui ramone les pompes. Il a un cache-col tricoté par sa bergère, dans les tons marron, et son vieux bitos aux bords relevés par-derrière et gondolés par-devant. Un mégot est piqué sous sa moustache mitée pareil à un anus de poulet négligé. L’Illustre s’amène de sa démarche chancelante. Son nez long et étroit confère à sa physionomie un je ne sais quoi d’endeuillé, de navré, de navrant, d’affligeant, de résigné, de miséricordieux, de soumis, et d’attendrissant.

Quand on voit la photo de Pinaud sur un journal, d’instinct on sort sa pointe Bic pour lui dessiner des lorgnons.

En m’apercevant, sa gueule en berne s’éclaire d’un sourire aussi pâle qu’un coucher de lune sur le mont Blanc.

— Ah ! Enfin ! fait-il, du ton du pèlerin qui arriverait à Lourdes après cinquante-deux ans de marche à pied dans les mêmes chaussures.

Il avise mes valoches.

— Tu débarques ?

— A l’instant. Alors, Vénérable extinction de race, on me cherche ?

— M’en parle pas, San-A. !

Il hoche sa tête de tamanoir navré.

— Assieds-toi, Pinuche, on va t’offrir un cordial.

Il déboutonne son imper style soutane.

— Il sera le bienvenu, affirme le Superflu. Depuis quarante-huit heures, je suis dans un état !

— Ton troquet a fait faillite ?

— Non. D’ailleurs je m’en occupe plus.

— Alors ?

— Ton cousin Hector, Antoine…

M’man pousse un cri et lâche sa bouteille de Chartreuse verte que je rattrape au vol.

— Il lui est arrivé quelque chose ? balbutie ma brave femme de mère.

— Il a disparu.

Malgré ma vaste intelligence, mon abondance de phosphore et le surdéveloppement de ma matière grise, je mets deux secondes six dixièmes à réaliser.

— Comment ça, disparu ?

Il lève ses bras de plainte.

— Disparu, quoi !

Félicie emplit trois verres à liqueur de Chartreuse. J’en tends un au Facultatif. Il le boit cul sec (il a un imperméable, je le répète) et fait claquer sa langue d’hépatique.

— Attends, Pinaud, j’aimerais que tu me mettes un peu au parfum. Comment peux-tu savoir que mon cousin Hector a disparu ?

— Tu sais bien que nous sommes associés ! s’étonne l’amoindri.

— Associés ?

— Saperlipopette, dit-il en vieux français, nous t’avions bien annoncé que nous allions fonder une agence de police privée…

Alors là, mes chéries, votre San-A. en a les cannes qui font bravo. Je suis obligé de m’asseoir pour supporter la suite du trajet.

— Hector et toi, associés !

— Mais oui. On a fondé le mois dernier la Pinaudère Agency.

— La quoi !

— La Pinaudère Agency, répète l’Achevé. Nos deux noms mélangés. Pinaud, mon nom. Et Dère, çui de ton cousin. On a choisi Agency pour que ça fasse amerlock ; de nos jours y a que ça qui plaît.

Il sort une carte de sa poche et la dépose sur la table. Je cramponne le bristol et je lis à haute et intelligible voix afin que Félicie en profite :

LA VERITE, RIEN QUE LA VERITE,TOUTE LA VERITE

Grâce à la Pinaudère Agency Limited

Recherches de toute nature, filatures.

Les spécialistes des enquêtes délicates.

On croit rêver. Quand je vois des trucs pareils, je remercie Félicie de m’avoir mis au monde. Rien qu’une carte comme celle-ci, ça vaut la trajectoire, non ?

— Alors Hector a démissionné de son ministère ?

— Oui. Il avait eu un nouvel incident très grave avec son sous-chef. Figure-toi qu’à la suite d’une réprimande de celui-ci, Hector lui a fait un pied de nez ; oh ! dans son dos, bien sûr. Mais un collègue d’Hector l’a vu et a rapporté…

— La vilaine ! Ça marche votre agence ?

— Pas mal. On a eu deux adultères et une recherche en paternité.

— Il est bien, Totor, en poulaga ?

— Parfait. C’est l’homme consciencieux, quoi !

— Et il aurait disparu avec sa conscience ?

— Xactement. Figure-toi qu’il était sur une filature dans la bourgeoisie.

— Attends, raconte par le commencement.

— Avant-hier, à l’Agency, on a eu la visite d’une dame tout ce qu’il y a de bien : manteau d’astrakan à col de vison, tu vois le genre ?

— I see ; after ?

— La dame que je te parle voulait faire surveiller son mari, dont au sujet duquel elle avait des doutes sur sa fidélité. Le mari fréquentait une petite Asiatique et la dame voulait des preuves.

« Comme j’avais une enquête en cours, j’ai mis Hector sur la filature… »

— A Roubaix ?

— Non, pourquoi ?

— Une filature, je croyais…

Le Détritus jette un regard effaré à Félicie.

— Il ne peut pas rester sérieux ! Et pourtant, c’est grave, quoi !

— T’inquiète pas, Pinuchard, c’est ma soupape qui fonctionne. Alors ?

— Hier matin, Hector s’est mis au travail. Il devait venir au rapport à midi, mais je l’ai pas vu. Le soir, il n’était pas là non plus. J’ai commencé à m’inquiéter. Je suis été chez lui, mais j’ai trouvé porte close et sa concierge ne l’avait pas revu depuis le matin… Du coup, j’ai pris le traczir pour de bon. J’ai pensé à toi. C’est ton cousin, je m’ai dit que tu ferais quelque chose !

Sacré vieux boy-scout ! Jouer les Callaghan à son âge, et avec cette patate d’Hector comme assistant.

— Tu as revu la cliente ?

— Non. Elle attend de nos nouvelles. Elle a téléphoné ce matin, mais notre secrétaire a répondu que…

— Ah ! parce que vous avez une secrétaire ?

— Ben alors, on est une maison sérieuse. Et on a des bureaux aux Champs-Elysées, si tu veux le constater au verso de notre carte.

La stupeur m’étourdit. Ils ont becté du lion, les deux raclures de fond de malle.

La Pinaudère Agency ne deviendrait-elle pas un organisme réputé ?

— Notre secrétaire, reprend le Délabré, a biaisé. Mais il va falloir que je lui dise quelque chose à cette personne ! Et cet Hector qui a disparu sans laisser de trace. Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé !

C’est aussi le tourment de Félicie. Quel pastaga ! J’arrive de voyage et au lieu de déguster peinardement les ris de veau de m’man, voilà un turbin calamiteux et familial qui me choit sur le râble.

— Comment se nomme la dame qui fait filer son jules ?

Pinaud se renferme comme la vertu d’une rosière dans un slip en fil de fer barbelé.

— Secret professionnel, riposte-t-il.

— Quoi ! tonitrué-je. Môssieur vient chialer dans votre giron parce qu’il n’est pas foutu de retrouver sa crêpe d’associé, et il prétend jouer les X-27 !

— Parfaitement, objecte le Fossile. Le secret professionnel, c’est une chose sacrée, San-A.

Je rengaine mes rognes. Il est si émouvant, Pinoskof, avec ses yeux en virgule et sa moustache de rat qui ne sait pas fumer.

— Bien, alors tu vas te mettre sur les talons du bonhomme que devait suivre Hector. Observe son comportement et tu apprendras peut-être quelque chose de positif. Rendez-vous ce soir à tes bureaux. Disons sur les choses de six heures, vu ?

— Vu !

— Tiens, je t’ai rapporté un souvenir du Mexique.

Je lui cloque sa bouffarde à coulisse et il est aux anges.

— Merci, c’est merveilleux, San-A. Ce que tu es gentil, tout de même ! Qu’est-ce que ça représente ?

— C’est un calumet de la paix. Fume avec ça, et c’est la sauvegarde de tes moustaches.