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– Ah voilà qui est particulier. Dites donc, Machin, en voilà un fait divers épatant comme vous dites.

– Quoi donc, monseigneur? fit un jeune homme à qui ces paroles s’adressaient et qui s’approcha avec empressement.

– Ça, dans votre journal, justement… Cette machine intitulée: La résurrection de Charlot

– Alors, fit le jeune homme que le prince appelait Machin, Votre Altesse trouve que c’est épatant? Eh bien! il ne me reste qu’à remercier Votre Altesse, car c’est moi qui ai rédigé ce papier…

– Bah! et c’est vrai?

– Vrai d’un bout à l’autre, dit le journaliste. Et même, j’ai su tout à l’heure de nouveaux détails.

– Qu’est-ce que c’est? demandèrent en s’approchant les deux ou trois habitués présents dans le salon.

– Une machine épatante, dit le prince, que Machin a écrite dans la Gaule. Il prétend que c’est vrai, mais je n’en crois rien. À notre époque, avec l’électricité, en plein Paris… non.

– C’est donc bien extraordinaire? fit l’un des membres du cercle.

– Racontez, Machin, racontez… j’adore les faits divers; il n’y a que ça d’amusant dans les journaux… Vous avez eu à Paris un auteur de génie… comment l’appelez-vous donc déjà?… Chose… Machin…

– Victor Hugo?…

– Non. J’y suis. C’est Rocambole!

– Justement! s’écria le journaliste. C’est en souvenir de Rocambole que j’ai intitulé mon papier: La résurrection de Charlot. Messieurs, vous n’avez pas connu Charlot?… Je l’ai connu, moi!

Le valet de pied, toujours à son poste, près de la porte, immobile et raide, écoutait. Non sur ses lèvres, mais dans ses yeux, il y eut un étrange sourire.

– Quel homme est-ce? demanda le prince d’Olsteinburg.

– La quarantaine. Brun. Très fort. La barbe noire. Un cou de taureau. On me l’a montré un soir. Je le reconnaîtrais entre mille. Mais cela n’est rien. J’ai particulièrement étudié sa manière de faire. D’après tous les coups que l’on connaît de lui, je reconstitue une affaire qui demeure ténébreuse pour tout le monde. Je vous prie de remarquer, monseigneur, que, seul de toute la presse, j’indique que le coup de la rue Royale n’a pu être exécuté que par Charlot. Si la police le pince, vous verrez que j’avais raison. C’est la rentrée en scène de Charlot. Depuis plus d’un an, on n’entendait plus parler de lui. Sans doute, il opérait à l’étranger, à Londres, Vienne ou Pétersbourg. Le revoici dans nos murs! Vous allez voir les coups d’audace se succéder dans Paris! Je mettrais ma tête à couper que c’est Charlot! Le vol de la rue Royale, c’est le retour de Charlot, la bienvenue de Charlot, la résurrection de Charlot!…

– Mais enfin, qu’est-ce qu’il a fait? demanda l’un des auditeurs.

– Racontez, Machin, racontez, fit le prince.

– Messieurs, vous savez tous que Rieffer, le grand joaillier de la rue Royale, a été dévalisé la nuit dernière. Eh bien! voici comment le coup a été fait. Vous voyez la maison, n’est-ce pas? L’entrée avec son entresol vitré. À droite de l’entrée, le magasin de Rieffer. À gauche, Bichot, le fleuriste. Bon. Maintenant, si vous pénétrez dans l’entrée, vous trouvez, tout de suite à droite, la loge du concierge. Donc, cette loge s’adosse immédiatement à la boutique du joaillier. Encore un détaiclass="underline" le premier étage de la maison est occupé par Émile, le grand perruquier de l’Opéra. La nuit dernière, à onze heures, les employés de Rieffer, sous sa surveillance, descendent la devanture en tôle qui supporterait l’assaut du canon. Ils s’en vont. Resté seul, Rieffer cadenasse l’intérieur par un système qu’il est seul à connaître. Puis il sort par une porte de derrière donnant sur la cour de la maison, porte blindée en fer, et se fermant au secret comme un coffre-fort. Et pour entrer dans son magasin, il faudrait d’abord démolir les six étages de la maison. Bon. La maison s’endort. Le concierge éteint l’électricité, barricade la grande porte et se couche. À minuit, c’est-à-dire, notez bien, à une heure où la rue Royale est encore sillonnée de passants, d’agents et d’innombrables voitures, à une heure où il faut être fou pour supposer qu’un magasin comme celui de Rieffer va être attaqué, à minuit, donc, le concierge entend un violent coup de sonnette… Le concierge a constaté que tous ses locataires sont rentrés. Au coup de sonnette, il fait le mort. Deuxième et troisième coups de sonnette, de plus en plus forts. Le concierge se lève, vient à la porte, colle son nez à la grille du judas et voit un monsieur archi correct. Le concierge commence à craindre d’avoir fait un impair en laissant poser ce monsieur; mais il n’ouvre pas et demande à travers le judas: «Que désirez-vous?…» Et le monsieur répond d’autorité: «Je suis le secrétaire du régisseur de la scène de l’Opéra. Il faut que je parle immédiatement à Émile pour la représentation de demain soir; Veuillez le réveiller…» Notez que le monsieur ne demande pas à entrer dans la maison. Il demande simplement qu’on réveille le perruquier. Notez que cent fois on est venu déranger Émile à des heures tardives. Tout naturellement, le concierge ouvre, et dit: «C’est au premier, la porte à… – Bon! bon! je sais!», interrompt le monsieur. Le concierge rentre dans sa loge et, à l’instant même où il y met le pied, il se sent pris à la gorge par un nœud coulant; en même temps, un grand foulard est jeté sur sa tête et serré de façon qu’il n’y voie plus. Le malheureux ne peut ni jeter un cri, ni faire un mouvement. Saisi par deux bras d’une force herculéenne, il est jeté sur son lit. Aussitôt, il sent qu’on lui applique sous le nez, à travers le foulard, quelque chose qui a une odeur désagréable… Il veut crier, la corde se resserre à son cou… Il veut se débattre, la poigne de fer le maintient… Il veut respirer, et il aspire à pleins poumons le chloroforme… En quelques secondes, il perd connaissance, et ne s’est réveillé qu’au matin…

«Le monsieur correct, le secrétaire du régisseur, c’est Charlot!

– Bah!… Vous êtes sûr?

– Aussi sûr que je le suis de raconter en ce moment la chose à Votre Altesse et à ces messieurs.

– Eh bien! c’est un rude homme, votre Charlot. Il me plaît… Quand on se mêle de faire du fait divers, au moins faut-il le faire proprement. Je voudrais le voir, votre Charlot!

Le valet de pied, sans bouger de place, considéra le prince d’Olsteinburg. Et l’étrange sourire qui était, non sur ses lèvres, mais dans ses yeux, s’aviva d’une flamme bientôt éteinte.

– Une fois le concierge endormi sur son lit, Charlot a tranquillement fait entrer un ou plusieurs hommes à lui, très probablement plusieurs, au moins deux. Ces hommes attendaient sans doute devant la maison. Ils sont entrés avec un pic à manche très court et deux fortes pinces en fer. Ces outils ont été retrouvés sur place.

– Au fait, ce sera toujours un dédommagement pour maître Rieffer… Voilà un coquin de belle envergure. Maintenant, je vais risquer quelques louis…

Le prince s’était levé et se dirigeait vers la table de jeu. Le valet de pied soulevait la portière…

– Toi, dit le prince en lui tirant l’oreille, rappelle-toi que je ne veux plus être servi que par toi.

Dix minutes plus tard, le prince d’Olsteinburg prenait la banque, et les pontes sérieux se tâtaient pour la forte bataille; le prince avait mis deux cent mille francs devant lui.