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Est-ce dire que Gérard était effrayé par l’idée de tuer son frère?

Il avait bien levé le couteau sur son père!

Réfléchir à ce qu’il ferait du cadavre… Le blessé n’était plus un inconnu. Ce n’était même plus Jean Nib. C’était son frère!…Dès lors, des précautions exceptionnelles s’imposaient.

«Je le tiens ici pour dix jours, quinze jours peut-être! songea Gérard. Je puis bien m’accorder cinq ou six jours pour combiner et réussir…» Lentement, doucement, Gérard gagna la porte et l’ouvrit. De là, il jeta un long regard sur Jean Nib. Puis il se retira sans bruit.

À ce moment une ombre, dans le fond du couloir, s’effaça derrière une tenture. C’était un homme. Et cet homme, dont le visage était livide de terreur, suivit de ses yeux dilatés Gérard, qui, lentement, s’enfonçait dans l’escalier.

Pendant deux jours et deux nuits, Jean Nib se débattit dans le délire. Le troisième jour par un de ces phénomènes de vitalité qui parfois déconcertent les médecins, la fièvre le quitta. Le sixième jour, il déclara à Pierre Gildas qu’il pouvait se lever et marcher. Pendant cette période, Pierre Gildas employa tous les instants où il fut libre à soigner le blessé. Mais s’il dut assez souvent le laisser seul pendant le jour, il passa les nuits dans sa chambre. Tous les soirs, dès que l’hôtel s’endormait, Pierre Gildas pénétrait chez Jean Nib, fermait la porte à clef, poussait un fauteuil contre cette porte, plaçait un revolver à portée de sa main, et s’installait. Il dormait deux ou trois heures dans le fauteuil. Dès le moment où le blessé revint au sentiment des choses, Pierre Gildas parut attendre avec une anxiété croissante qu’il pût se lever.

Le soir du sixième jour, comme nous l’avons dit, Jean Nib se déclara assez fort pour se tenir debout et marcher.

– En ce cas, dit Gildas d’une voix sourde, il faut le tenter tout de suite…

– Ah! votre maître s’est aperçu que je suis là, n’est-ce pas?

– Oui, c’est cela! fit Gildas en tressaillant.

– Et il vous a flanqué une sérénade, hein? Moi, dans l’hôtel du comte de Pierfort! ça ne fait pas bien dans le tableau… il vous a dit de le débarrasser de moi?…

– Oui, oui… c’est tout à fait cela, alors vous comprenez…

– Oui, dit Jean Nib pensif, je comprends maintenant pourquoi vous me demandiez à chaque minute si j’étais assez fort pour me lever… N’importe! vous m’avez sauvé, je ne l’oublierai pas… Eh bien! on va se tirer…

Pierre Gildas aida Jean Nib à s’habiller. Et sauf une faiblesse naturelle, le blessé constata en effet qu’il était plus solide qu’il n’eût pu l’espérer.

– Je vais vous accompagner, dit Pierre Gildas.

– Bon! pourquoi faire? vous dérangez pas, allez…

– Il le faut!…

Gildas prononça ces mots d’une voix si étrange que Jean Nib tressaillit et songea:

– Il s’est passé quelque chose pendant que je battais la campagne. Eh bien! filons, reprit-il.

– Non, non, pas maintenant, fit Pierre Gildas en prêtant l’oreille aux bruits qui montaient de l’hôtel. Écoutez, asseyez-vous là, dans ce fauteuil. Fermez la porte à clef. Quand je reviendrai, je frapperai trois fois. N’ouvrez à personne…

Jean Nib fit signe qu’il avait compris, et Pierre Gildas s’éloigna.

Deux heures après, il revint, entra après avoir fait le signal convenu, et plaça sur la table du pain, une moitié de poulet froid et une bouteille de vin.

– Il faut manger et boire, dit-il, car vous aurez peut-être besoin de forces…

Jean Nib silencieusement, se mit à manger. Lorsqu’il eut achevé, lorsqu’il eut bu un verre de vin, il demeura silencieux comme Pierre Gildas, écoutant, lui aussi… Et, vers onze heures, lorsque tout parut endormi dans l’hôtel, ce fut lui qui murmura:

– Je crois qu’on peut y aller, maintenant!…

– Vous avez donc compris? balbutia Gildas.

– Parbleu! j’ai compris qu’il se passe quelque chose, et qu’on ne doit pas me voir sortir d’ici. Je suis habitué à ça, moi…

Il prit les devants, se mit à descendre en s’effaçant si bien, en faisant si peu de bruit, que Pierre Gildas ne le retrouva que devant la porte, dont déjà Jean Nib tâtait les verrous.

– Inutile! souffla Gildas. J’ai les clefs…

Un instant plus tard, ils étaient dehors, sur le large trottoir de l’avenue déserte. Jean Nib sonda l’avenue dans tous les sens, poussa un large soupir, et, se tournant vers Gildas:

– Adieu, dit-il brusquement. Si jamais je puis vous rendre la pareille…

Gildas secoua la tète, et dit:

– Je ne vous quitte pas ici. J’ai à vous parler. Venez.

– Qu’avez-vous donc à me demander? fit Pierre Gildas.

– Écoutez… vous m’avez sauvé la vie, c’est bien… Sans vous, je buvais à la grande tasse mon dernier bouillon, c’est encore bien… Mais mieux vaudrait pour moi être resté là-bas, au fond de la Seine… si…

– Parlez sans crainte, dit Gildas avec une sorte d’étrange ardeur mêlée d’étonnement et presque de terreur. Je vous jure que vous pouvez vous confier à moi…

– Eh bien, voilà! Lorsqu’ils m’ont arrangé comme vous avez vu avant de me jeter à l’eau… ça s’est passé dans une maison… Voyons, vous, étiez-vous près de la maison? ou bien n’êtes-vous arrivé que lorsque je battais de l’aile?

– J’étais près de la villa Pontaives, dit gravement Gildas. J’ai tout vu tout ce qui s’est passé sur la route, du moins…

– Alors, reprit Jean Nib en frémissant, dites-moi… oh! dites-moi cela, voyez-vous, et c’est comme si vous m’auriez sauvé dix fois la vie… Écoutez, c’est bien dans la villa Pontaives que ça s’est passé… j’étais là avec deux femmes… et l’une d’elles, voyez-vous…

La voix de Jean Nib devint si faible, si tremblante, qu’on eût dit un gémissement.

– J’y suis! s’écria Gildas. Vous voulez savoir ce que sont devenues les femmes?

– Oui, oui! gronda Jean Nib. Vous les avez vues? Oh! vous l’avez vue?…

– Oui! je les ai vues! Si c’est ça qui vous tourmente, rassurez-vous elles ne sont pas mortes…

Jean Nib poussa un soupir qui ressemblait à un sanglot.

– Qu’en ont-ils fait? demanda-t-il sourdement.

– Ils les ont jetées dans une voiture avec un troisième qui avait l’air d’un gamin… Puis, la voiture s’est éloignée et j’ai entendu qu’on disait au cocher: «Conduis-les au poulailler!»

– Au poulailler?… Qu’est-ce que c’est? réfléchit Jean Nib. Qu’est-ce que Biribi appelle le poulailler?… J’ai ce mot-là pour m’y retrouver… Quand je devrais interroger toute la pègre, quand je devrais…

– Nous sommes arrivés, dit Pierre Gildas.

Jean Nib, à la suite de Pierre Gildas, entra dans une maison d’assez pauvre apparence, et monta au quatrième étage, qui était le dernier de la maison. Là, ils entrèrent dans un petit logement composé de deux pièces assez étroites. L’une de ces deux pièces était sommairement meublée d’un lit de fer, d’une table, de deux chaises et de quelques ustensiles. Il y avait un peu de charbon dans la cheminée.